Le numéro d'écrou 26106 plaide non coupable. Pourtant, il est l'un des locataires du pavillon B du couloir de la mort de la prison centrale de Kénitra. Condamné à mort pour le meurtre d'un homme à Casablanca en 2002, il réclame que justice soit faite, «parce que je suis innocent, et j'ai des preuves solides pour me sortir d'ici», assure-t-il. Son plaidoyer s'appuie sur les aveux d'un autre détenu, lui aussi condamné à mort pour le même crime, qui est «prêt à dire la vérité et démontrer que je n'ai rien à voir dans ce meurtre». Selon les dires de Zouheir M'hamed, il aurait avoué devant la police et il est disposé à le faire aujourd'hui si on lui en donne l'occasion. Entre temps, M'hamed purge sa peine et attend des jours meilleurs. A'est l'histoire d'un vendeur de bétail sans problèmes, qui, un jour, se fait juger et se voit condamné à mort pour meurtre. Une vie ordinaire qui se mue, en l'espace de quelques instants en purgatoire. Le destin dicte ses lois et Zouheir M'hamed en paie le prix. Est-il innocent ? Est-il coupable ? Ment-il ? dit-t-il la vérité, qui est la sienne et de son acolyte, qui est prêt aujourd'hui à rétablir les faits ? Peut-être que devant le juge, si on arrivait à rouvrir ce dossier, de nouvelles données pourraient faire tourner le vent en faveur de M'hamed. Mais d'ici-là, les murs du silence et l'implacable fatalité, sont le lot quotidien d'un homme de 50 ans, père de huit enfants. Situation délicate, invivable, mais sauf miracle, M'hamed est plongé dans les enfers ad- infinitum L'histoire du berger Le bétail et des plaines. Un homme qui n'a rien connu d'autre que le rouge de la terre, l'odeur de l'humus, quelques cours d'eau, des arbres, et des murs en pisé. Une famille, des frères, des sœurs, un père et une mère. La vie à la campagne dans toute sa nudité et sa splendeur. Le peu qui est de loin, meilleur que le beaucoup. Une enfance calme et sans accros. Des jeux de fils de bled, entre ballons en plastique et quelques courses effrénées sur la rocaille. Des amis, des complices, l'école pour un temps, puis le grand vague du pays. Zouheir M'hamed a vécu tout ceci comme n'importe quel gamin de son village, à L'Brouj, région de Beni Meskine. «Je suis un type sans problèmes. J'ai grandi dans le bled au milieu de ma famille. J'ai toujours suivi à la lettre les conseils de mes parents. Et mon père a toujours été le chef et sa parole était sacrée. Jamais, je ne me suis bagarré ni cherché des noises à qui que ce soit. J'ai travaillé la terre et un jour, j'ai décidé de devenir vendeur de bétail. C'est un métier qui peut rapporter mieux que le travail dans les champs. Je me suis marié avec une fille du bled et j'ai eu huit enfants, que Dieu les garde, parce que ce sont mon seul espoir dans cette vie. Toute ma vie, j'ai été un homme droit qui gagnait sa vie en travaillant honnêtement. Et un jour, alors que j'allais vers mes cinquante ans, je suis condamné à mort pour un meurtre que je n'ai pas commis». Le tableau est presque idyllique. Et M'hamed peut aisément couler dans le paysage. Il a, pour ainsi dire, la tête de l'emploi. Un homme assez calme, certes ravagé par le sort, mais posé. Il sait ce qu'il dit, réfléchit avant de parler et ne s'étale pas trop en détails insignifiants. Contrairement à beaucoup d'autres condamnés à mort que nous avons rencontrés, M'hamed va à l'essentiel et ne se perd pas en cours de route dans des conjectures sur le possible et le probable. «Je sais que certains ont pensé que j'ai perdu la tête et tué cet homme. Mais ce n'est pas la vérité. Je ne suis pas fou pour détruire ma vie et celle de mes huit enfants sur un coup de tête. Non, je sais que c'est une très mauvaise passe, un coup du destin, mais je crois en Dieu et je sais que je vais sortir d'ici». Des témoins et des aveux La chronique de ce meurtre est déroutante. Et ce, pour plusieurs raisons. Il y a d'abord deux thèses à prendre en considération. D'un côté un homme qui succombe à un empoisonnement criminel. Zouheir M'hamed et deux autres personnes sont impliqués dans le même dossier. Deux condamnations à mort pour M'hamed et Fahim Mohamed, et 3 ans de prison pour Bechar Bouchaïb, qui a été accusé de ne pas avoir alerté les autorités sur ce crime dont il avait connaissance. Mais une autre thèse parle d'un homme tué à coups de couteau et de bâton. Laquelle est la bonne ? Pour le savoir, il a fallu exhumer le corps un mois après l'enterrement. Nous sommes donc face à un cadavre qui doit livrer ses secrets. Meurtre par empoisonnement à cause d'un objet lourd et contendant? «Je n'ai jamais rien compris à tout cela. Un jour on m'a dit que ce type a été empoisonné. Une autre fois, on me dit que la victime a été frappée et que ce sont les coups qui ont provoqué la mort. Après autopsie, ils ont conclu a un empoisonnement. Nous avons été condamnés à mort Mohamed et moi. J'avoue que je n'ai jamais compris. J'étais faible et piégé. Mais je n'ai jamais vu cet homme! Comment ai-je pu l'empoisonner ? Plusieurs témoins ont dit cela devant la police et devant les juges. Comment puis-je tuer un homme que je n'ai jamais rencontré? Mohamed Fahim, est prêt à témoigner devant le juge, que je suis innocent et que c'est lui qui a tué cet homme». Et si Fahim parlait ? La réponse est simple dans ce type d'affaires. Si l'autre condamné endosse le crime et innocente Zouheir M'hamed, il faut se pencher sérieusement sur cette affaire. Mais, il ne faut non plus oublier que ce même Fahim Mohamed, a tout avoué devant la police, ce qui ne les a pas empêchés de conclure que les deux étaient complices et qu'ils avaient préparé le meurtre ensemble. «Oui, mais aujourd'hui compte plus qu'hier. Mon Dieu je vous dis que Fahim est prêt à témoigner et à dire devant la police, devant les juges, dans un tribunal, que c'est lui, et lui tout seul, qui a commis ce crime et que je n'ai rien à voir avec cette histoire. Il est vrai que Fahim et moi, nous nous connaissons depuis longtemps, mais ce n'est pas parce que nous sommes amis qu'il va m'innocenter et prendre toute la responsabilité du crime ? Ce que je veux savoir aujourd'hui, c'est si j'ai le droit de demander la réouverture du dossier, parce que cet homme veut parler pour apaiser sa conscience ? » Il est évident que c'est là un élément nouveau dans le dossier. Des aveux complets pourraient faire changer les données d'un procès qui semble être ficelé. Mais encore une fois, Fahim dit avoir déjà avoué devant la police en innocentant son ami. C'est que la police judiciaire s'est appuyée aussi sur ses investigations qui lui ont démontré que Zouheir M'hamed était bel et bien complice et qu'il a pris part au meurtre. « Ce qui s'est passé à l'époque, c'est que tout le monde était perdu dans cette affaire de cadavre à exhumer, pour savoir comment la victime a été tuée. Alors, jamais personne n'a fait attention à ce que Fahim disait. Et nous sommes passés devant le juge, accusés de meurtre, de complicité de meurtre, d'empoisonnement et de dissimulation des preuves et surtout, il y avait les circonstances aggravantes et la préméditation. C'est lourd tout ça, et quand le juge répétait celà, je savais que j'étais perdu. À la façon dont il prononçait les mots, je n'avais plus d'espoir. Et je me suis tu, parce que j'avais peur au tribunal. Fahim, non plus, n'avait plus rien à dire. Mais lui savait qu'il était le seul coupable et que j'étais victime dans cette affaire. Aujourd'hui, il veut parler, c'est tant mieux. Qu'est-ce qu'on perd à l'écouter si cela peut sauver un innocent qui a huit enfants qu'il a laissés derrière lui, Mon Dieu ? ». De quelle couleur est la vérité ? L'histoire de Zouheir M'hamed est compliquée. Il a un co-détenu qui veut parler. La justice, elle, a déjà statué. La condamnation à mort dure depuis cinq ans. `Les nouveaux aveux de Fahim sont-ils suffisants pour revoir tout ce dossier ? Rien n'est moins sûr. Mais l'espoir fait vivre. Et M'hamed vit avec cette idée qu'un jour, un nouveau procès aura lieu, que Fahim va tout déballer, et qu'à la fin de la séance, il rentrera chez lui, pour prendre ses enfants dans ses bras et reprendre son travail de vendeur de bétail là où il l'avait laissé, avant de se faire embarquer pour Kénitra. Ceci, à considérer que Fahim dit la vérité. Mais quelle est la garantie? Impossible de la trouver. Comme il est impossible de dire définitivement que Zouheir M'hamed a tué. Ce dernier écrit, passe des coups de fil, parle à des avocats, sa famille tente le tout pour le tout, parce qu'il y croit. C'est un fait. Fahim, de son côté, assure aujourd'hui qu'il veut faire amende honorable, mais le fera-t-il devant les juges ? Il faut voir. Serait-ce juste la volonté d'un ami de la jouer grand seigneur et d'endosser l'horreur, pour blanchir son acolyte ? Ce n'est pas exclu, même si M'hamed semble dire la vérité et surtout y croire dur comme fer. De là à statuer, il y a une distance que seul Fahim et Zouheir peuvent franchir. Ils sont les seuls à détenir la clé des champs. Et il faut qu'ils y mettent plus d'ardeur pour y arriver