Alors que le Premier ministre israélien, Ehud Olmert, adresse, à travers des canaux diplomatiques occidentaux, des messages d'apaisement à Damas selon lesquels l'Etat hébreu veut faire la paix, les grands généraux de l'armée estiment, de leur côté, que le déclenchement d'une guerre avec la Syrie est fort probable. Au même moment, une délégation dirigée par l'ancien ministre de la Défense, Chaoul Mofaz, est actuellement à Washington pour convaincre leurs alliés américains de relancer les négociations avec le président Bachar Al-Assad. A la veille de la visite, le 19 juin, d'Ehud Olmert aux Etats-Unis et sa rencontre avec Georges Bush, les pressions s'accentuent sur ce dernier en provenance de plusieurs milieux aussi bien politiques que militaires de l'establishment israélien afin de démarrer des négociations explicites avec la Syrie pour aboutir à la signature d'un accord de paix. Si l'administration américaine n'est pas chaude, au moins pour l'instant, vis-à-vis d'une telle initiative, considérant qu'il y a d'autres priorités dans la région, à savoir les négociations avec les Palestiniens, et le dossier nucléaire iranien, il faut s'attendre toutefois à un changement de position au dernier moment. Surtout si le régime syrien accepte de composer en ce qui concerne l'Irak et le Liban. Ce qui éloignera Damas de facto de son allié stratégique l'Iran. De toute manière, force est de noter qu'Israël insiste, ces derniers jours, pour diffuser les informations concernant ces éventuelles négociations. Dans cet objectif, le gouvernement israélien a tenu une réunion exceptionnelle, mercredi dernier, en présence de ses conseillers militaires et sécuritaires, pour discuter des répercussions des informations données par certains généraux à la presse locale. Quoi qu'il en soit, il y a lieu de rappeler que l'armée israélienne et les responsables de ses services de sécurité sont les moins influencés par l'opinion publique, et encore moins par les élections ou les sondages, notamment ceux qui sont liés au retrait du plateau du Golan annexé. Ces responsables estiment que depuis la conférence de Madrid, il y a maintenant environ 17 ans, la paix avec la Syrie est une question stratégique dans tous les cas de figure. De ce fait, ils sont maintenant en train d'arranger les priorités des négociations. Les analystes politiques avisés considèrent aujourd'hui qu'après l'échec de la deuxième guerre du Liban, et les perturbations au niveau des négociations avec les Palestiniens, il est nécessaire de s'orienter vers la Syrie. A Tel-Aviv, tout le monde connaît bien le prix du deal avec Damas. Cela dit, on n'a jamais entendu, jusque là, un changement radical de la position israélienne qui va jusqu'à accepter le retrait total du Golan comme préalable à ces négociations de paix. Et si ce n'est pas le cas, il n'y a plus alors aucune raison de discuter d'autre chose. L'establishment israélien est en train de gagner du temps pour surmonter sa crise interne. De ce fait, il focalise sur une «opération de paix» même si elle n'aboutit pas à une véritable paix. Les Israéliens trouveront toujours des alibis pour retarder cette paix, comme il le font d'ailleurs avec le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Ils veulent, dans ce cadre de négociations, poser d'avance leurs conditions, durcir leurs positions afin que tout revienne par la suite à la case départ. Ainsi Tel-Aviv pourra, le cas échéant, retarder les échéances, atténuer les pressions internes et, le plus important, neutraliser les résolutions onusiennes en attendant les résultats des négociations qui reflèteront sans doute les rapports de force. Comme cela a été le cas avec les Palestiniens après les accords d'Oslo. L'approche de paix israélienne n'a qu'un seul but : faire toujours courir les Arabes tant que les Israéliens occupent les terres depuis juin 1967. Manœuvres syriennes On reproche au pouvoir syrien son discours de «langue de bois» parce qu'il répète à chaque occasion les mêmes propos comme «le retour des négociations au point où elles se sont arrêtées à Madrid», ou encore «la terre contre la paix». La réponse de Damas est donc claire : pas de recul et pas de négociations sur le principe du retrait total du Golan. Ces négociations tourneront donc autour de la forme et les conditions du deal. Négocier sans trancher sur le retour du plateau du Golan à la Syrie pourrait nuire à ses intérêts stratégiques. C'est pourquoi la Syrie nie toutes négociations discrètes, à l'heure actuelle, avec le gouvernement Olmert. Ce, alors que ce dernier les confirment. Les proches du secrétaire d'Etat américain, Condoleeza Rice, qui vient de rencontrer Chaoul Mofaz, ont fait savoir à un des alliés des Etats-Unis au Liban qui se trouve actuellement dans la capitale américaine qu'Israël n'a, jusqu'à cette date, pas trancher la question du retrait total du Golan. Pis encore, elle n'a pas l'intention de le faire dans les circonstances actuelles. Plus particulièrement après le revers cuisant essuyé par son armée au Liban. L'establishment israélien craint, dit-on à Washington, que s'il accepte le principe du retrait, Damas ne coupera pas les ponts ni avec Téhéran ni avec le Hezbollah libanais. Ceux qui suivent de près les relations israélo-syriennes affirment qu'après les attentats du 11 septembre et l'occupation de l'Irak, ce dossier est transféré aux Etats-Unis. Et que ces derniers estiment que le refus des négociations avec Damas fait depuis partie de son encerclement. Jusqu'à ce qu'elle se plie aux conditions posées concernant le Liban, la Palestine et l'Irak. Cette situation arrange des centres de décision en Israël car ils ne sont pas prêts, pour l'instant, à payer le prix de la solution. De ce fait, il est inconcevable que Chaoul Mofaz puisse convaincre Bush de donner son feu vert à de nouvelles négociations avec la Syrie. Car, cette reprise des discussions signifie, d'une part, briser son isolement sur le plan international et , de l'autre, provoquer l'administration américaine. Mais, dans cette foulée, les observateurs remarquent que l'étau de cet isolement se desserre progressivement depuis environ un an. Sans que la Syrie ne change ses positions vis-à-vis du problème irakien, palestinien ou libanais. Et sans qu'elle se démarque d'un pouce de la République islamique d'Iran. Avec l'échec des politiques américaines dans ces pays, la position de la Syrie s'est renforcée au point qu'elle redevient incontournable dans la région. Pour preuve, le flux des responsables occidentaux vers la capitale des Omeyyades pour convaincre son président, Bachar Al-Assad, à faire quelques concessions, afin de débloquer la situation. Ce changement relatif de la donne moyen-orientale n'est pas suffisant pour pousser Washington et Tel-Aviv à changer leurs positions concernant les négociations. La tenue d'une réunion du Conseil des ministres israéliens pour discuter ce sujet auquel s'est rejoint Shimon Perez, un des principaux hommes politiques qui refusent tout rapprochement avec la Syrie, coïncide avec la création du Tribunal international qui a l'intention d'accuser des hautes personnalités syriennes dans l'assasinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri. Il n'y a pas donc, selon les observateurs en Israël, un changement radical dans la position du gouvernement d'Ehud Olmert, malgré ses déclarations apaisantes à l'égard de la Syrie. Celles-ci devraient sans doute changer au cours de sa prochaine visite à Washington. L'Etat hébreu ne fera pas de concessions à la Syrie, mais profitera, par contre, des nouvelles pressions qui seront exercées sur elle à travers ce Tribunal, pour revenir à la politique du bâton et de la carotte. A Tel-Aviv, certains responsables politiques et généraux de l'armée, estiment que la chance est plus que jamais opportune pour appeler aux négociations sans conditions préalables, même sans aucun fondement. La Syrie y trouvera, peut-être, une occasion pour se débarrasser des pressions du Tribunal International. La question qui se pose actuellement dans les différentes chancelleries occidentales et au sein des centres de décisions des pays arabes les plus concernés par ces négociations de paix, à savoir, l'Arabie Saoudite initiatrice du plan arabe de paix, l'Egypte, la Jordanie et le Liban et, bien entendu, les Palestiniens, est-ce que Damas serait prête à répondre aux exigences israélo-américaines ? Il est très difficile de répondre pour le moment, même si le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid al-Mouallem, a indiqué à La Gazette du Maroc, jeudi dernier, que son pays ne peut commencer des négociations sans avoir d'emblée l'accord d'Israël de se retirer totalement du Golan. A Damas, les proches collaborateurs du président Assad répètent devant tous les interlocuteurs qui les avaient récemment rencontré dont, entre autres, l'ancien Premier ministre Salim Al-Hoss, ou le ministre italien des Affaires étrangères, qu'il ne faut pas que la communauté internationale croit une seule seconde que la Syrie suivra le chemin de la Libye si les pressions s'accentuent dans les prochains mois avec le Tribunal international. Et que si Washington et Tel-Aviv croient vraiment à une telle éventualité, nous serons prêts alors à leur montrer qu'ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Au Caire, qui n'est pas aujourd'hui en très bons termes politiquement certes, avec les Etats-Unis, notamment après les déclarations de Georges Bush concernant l'opposant Ayman Nour, on tient à préciser que la Syrie ne pourra pas, même si elle accepte les conditions américaines, négocier sans garanties préalables. Et que toutes nouvelles pressions sur elle qui dépasseront les limites, pourraient la pousser encore plus dans les bras de l'Iran et la rapprocher davantage de la Turquie, avec laquelle elle ne tardera pas à faire un axe régional parallèle. Ce que craint Washington et Tel-Aviv. Une situation qui ne semble arranger personne. De son côté, Israël voit que toute négociation hâtive avec la Syrie la placera dans des mauvais draps quels que soient les résultats. D'autre part, les Israéliens sont conscients que les Syriens n'attendront plus encore longtemps avant de décider de mener la guerre. Dans ce contexte, les généraux prennent très au sérieux les dernières déclarations du président iranien, Mohamed Ahmedinejad disant que les Palestiniens et les Libanais ont dès aujourd'hui déclencher le compte à rebours pour l'avenir de l'Etat hébreu.