Kassimi Hassan est passé devant le juge pour le meurtre de son propre père. Un parricide qui pèse aujourd'hui, comme l'Himalaya sur les épaules du numéro d'écrou 24557, du pavillon B de la prison centrale de Kénitra. Natif de Douar Krayed, dans la région de Taounat, Kassimi Hassan accuse un autre homme d'avoir tué son père, âgé alors de 90 ans. Il se défend toujours, en clamant que c'est un complot et que le bonhomme en question a payé pour que lui, Hassan, soit condamné à sa place. Une façon comme une autre de refuser ce crime et de dire qu'il n'a pas tué son père. Dans le couloir de la mort, il y a des échelonnements des peines. C'est-à-dire, que nous pouvons être en face de personnes ayant toutes commis des homicides. Mais la nature du meurtre, définit le comment de la vie du prisonnier avec lui-même, son approche de son propre forfait, ses liens aux autres, la façon dont il voit le passé et celle dont il aborde son avenir immédiat. Parce que dans ce long couloir, l'avenir se résume juste aux minutes, voire à l'heure qui va suivre. Aucune projection sur le long terme n'est possible. Comme si les cadrans internes de l'horloge humaine ne pouvaient plus se projeter en avant. Il y a donc ceux qui ont tué des étrangers, homme, femmes ou enfants, et ceux qui ont commis des parricides ou des fratricides. Là, nous sommes devant une autre nature du crime. C'est le cas de Kassimi Hassan. Il est accusé d'avoir tué son père, âgé au moment de sa mort de 90 ans, pour une sombre histoire qui n'a ni queue ni tête. La différence des meurtres réside ici dans la négation, le refus d'admettre, quitte à se servir de n'importe quel argument pour se prouver à soi sa propre innocence. «Je n'ai rien à voir avec le meurtre de mon père. C'est un autre homme qui l'a tué, et on m'a envoyé en prison à sa place. Je ne sais pas pourquoi, mais je sais que c'est cet homme qui a pris la vie de mon père et la mienne, puisque je suis jeté ici depuis 1996, et personne ne veut croire en mon innocence ». Le père, le fils et le saint esprit «J'ai grandi à Douar Krayed à Taounat avec mon père et ma mère. Ma mère est morte il y a vingt ans, j'étais très jeune. Mon père travaillait la terre et on vivait sans problème. Non, les études, ça n'a jamais été bien. Il faut dire que je n'ai pas suivi la bonne route. Parce que je me rends compte aujourd'hui, que si j'avais fait des études, je serais sorti du douar et tout cela n'aurait jamais eu lieu ». Kassimi Hassan est un homme qui a mis un voile entre lui, aujourd'hui, et toute sa vie antérieure. Autant dire qu'il ne veut plus avoir de passé, ni de souvenirs, pas plus qu'il ne veut sentir l'air de ce douar, où un jour, on est venu le menotter pour le juger du meurtre de son paternel. Oui, Kassimi Hassan renie sa vie entière. Tout ce qu'il a pu connaître avant 1996, date de son arrestation n'existe plus. «Parlez-moi de ce qui passe maintenant. Je peux prouver que je suis innocent, mais comment faire. Personne ne me laisse une seule chance de me défendre. Tout le monde croit que j'ai pu tuer mon père. Qui peut faire une chose aussi horrible ? Qui peut tuer son père ?» Il n'y a que lui pour répondre à cette question, et apparemment il n'a pas su, parce que devant les juges, le jour du verdict, la sentence était claire : c'est Hassan Kassimi qui a tué son père et il sera condamné à mort. Les preuves sont là, l'homme qui a été pointé du doigt par Hassan s'en sort et ne sera jamais inquiété, parce que, pour les enquêteurs, rien ne peut prouver qu'il a tué le père de Kassimi Hassan, Hammou Belhoucine. Mais pour le fils accusé de parricide, toute cette histoire est une sombre machination contre lui. Mais qui l'a orchestrée ? Qui a intérêt à ce que Hassan aille en prison pour le meurtre de son père ? Qui veut en finir avec le père et le fils ? Hassan ne peut pas répondre non plus, sauf en donnant dans des accusations qui, bien entendu, ne peuvent pas tenir devant un tribunal. Conflits multiples dans un douar paumé Ce que Hassan Kassimi ne veut plus se rappeler, c'est que durant des années, les rapports entre père et fils n'étaient pas au beau fixe. Loin s'en faut. On peut même dire qu'entre les deux, c'était très conflictuel. Pourquoi ? Hassan tente une esquive : «Non, on était bien sauf que mon père était vieux et il ne me laissait pas gérer les affaires à sa place. Je ne voulais pas qu'il se fasse arnaquer. Parce que dans le douar, il n'y avait que des voleurs, et lui, faisait confiance aux autres. Moi, je voulais l'aider et prendre soin de la famille.» Les problèmes remontent au décès de la mère. Hassan s'est retrouvé seul face à un père qui a toujours tout régenté. Mais, là, il n'y a plus l'ombre bienfaitrice de la mère qui va couver son petit. Hassan perd le Nord et voit en son père, quelqu'un qui n'a pas une haute opinion de ses capacités. C'est là que le mal entre les deux prend sa source. Evidemment, Hassan, dit que son père ne voulait rien savoir et était trop vieux pour se rendre compte de ce qui se tramait autour de lui. Mais Hassan n'avait-il pas d'autres projets ? Ne voulait-il pas prendre les biens du père et se refaire une vie, peut-être loin du douar ? «S'il m'avait laissé la chance, j'aurais réussi beaucoup de choses. Je voyais d'autres jeunes, comme moi partir travailler ailleurs, loin du douar et revenir plus riches. Je lui donnais des exemples, mais il ne voulait rien savoir. Pour lui, il fallait travailler au bled, et moi, je pensais que ce n'était pas une bonne idée». Petit patrimoine familial, petit lopin de terre, un père, vieillard de surcroît, et un fils, esseulé, qui veut prendre les choses en main. Pour certains, cela peut faire un bon mobile pour le crime. Pour d'autres, cela aurait pu, au moins, pousser le jeune à perdre patience. «On m'a accusé d'avoir tué mon père pour hériter de tout. C'est faux. Mon père avait 90 ans, il ne pouvait pas vivre plus longtemps. C'est cet autre type qui l'a tué pour tout prendre ». Le bonhomme en question, selon toute vraisemblance, n'a rien pris du tout. Mais Hassan, lui, s'est vu condamner d'avoir achevé son paternel, avant que son heure ne sonne. Le père devait laisser la place au fils Pour les proches, famille, voisins et connaissances dans le douar qui ont témoigné, il ne fait aucun doute que Hassan Kassimi a refroidi son père. « Les gens ne peuvent pas savoir. C'est cet homme qui a payé 20 millions de centimes pour me faire plonger, et les autres ont aussi eu peur de lui, c'est pour cela qu'ils ont pensé que j'ai tué mon père. Tout est de la faute de ce type ». Quelle que soit la vérité, Hassan Kassimi endosse le meurtre. Un meurtre opéré avec beaucoup de simplicité : plus de trente coups avec des pierres sur tout le corps, comme une lapidation. Pour un vieillard, le tour était plié. «Je ne sais même pas comment mon père a été tué. On est venu directement à moi, et on m'a arrêté. Après, certains disaient qu'il a été frappé au dos, d'autres, qu'il a été poignardé. Je vous le jure, que je ne sais toujours rien de tout cela». Pourtant, la gendarmerie établit son rapport et accumule des preuves contre Hassan Kassimi. Il était seul avec son père au moment du meurtre. Ils avaient des disputes, et des témoins l'ont certifié. Le fils était coléreux et reprochait beaucoup de choses à son père. L'arme du crime, les circonstances du meurtre, le lieu et tout le reste, n'étaient que des preuves secondaires, parce que, dès le départ, tout désignait le fils : «C'est cela que je ne comprends pas : comment ont-ils fait pour venir directement vers moi, alors que dans le douar, il y a beaucoup de personnes qui auraient pu être accusées parce qu'elles avaient des problèmes avec mon père ? » Pourtant, la gendarmerie a désigné son coupable sur la base de beaucoup d'indices, des témoignages et des preuves : « Oui, mais je vous ai dit que ce type a payé 20 millions pour en finir avec moi. Il a tué mon père et il m'a aussi tué, moi ». Le poids de la conscience Hassan Kassimi n'avouera jamais que c'est lui qui a porté le coup fatal pour prendre la vie de son père. Il ne le peut pas, parce qu'il n'accepte pas son crime. L'idée d'avoir tué son père dans un moment de grosse colère, dans un instant où il était pris de folie passagère, est trop lourde à porter. Alors, il biaise. Et surtout il pointe son doigt accusateur en direction d'un autre individu. C'est un processus mental très simple : je ne suis responsable de rien, je suis une victime des circonstances. Beaucoup de personnes le font face à des situations banales de la vie de tous les jours, mais quand il s'agit d'un meurtre, qui plus est, celui de son propre père, il est évident que les structures mentales s'arrangent de telle façon que le criminel nie son crime, le rejette en bloc. Un psychiatre interrogé sur ce cas, nous dit que « plus dans les parricides que dans d'autres crimes, les accusés plaident pour la négation. C'est un refus qui émane d'un effacement total des faits, comme une amnésie ». Mais cela ne dure qu'un moment. Tôt ou tard, les choses explosent. La vérité reprend son dû, et le criminel revit les évènements comme au jour où ils l'ont précipité dans l'abîme. Hassan Kassimi obéit à ce type de schémas : « Un jour, la vérité va éclater, et tout le monde verra que j'ai payé pour rien. Parce que je suis innocent ». Dit avec autant de virulence et de conviction, il est presque normal d'y voir un début de vérité, peut-être celle de Hassan, mais pas celle qui tient lieu de justice. Hassan aura beau se débattre dans l'oubli volontaire et dans l'amnésie partielle, le jour où les démons de 1996 à douar Krayed referont surface, il devra les affronter ; ou alors, il plongera dans d'autres méandres comme la folie. Car il est impossible, pour qui que ce soit, d'accepter le fait qu'il a un jour, tué son propre père. Et c'est cette impossibilité que Kassimi Hassan traverse encore aujourd'hui. Et il n'est pas prêt d'entrevoir le bout du tunnel.