Peu de Casablancais et de Marocains savent que la naissance de la ville blanche est due aux premiers plans d'un grand architecte et urbaniste qui porte le nom de Henri Prost. La Gazette du Maroc retrace la genèse de Casablanca en jetant la lumière sur le travail admirable d'un grand visionnaire. La naissance de Casablanca est intimement liée à celle de l'occupation ou du protectorat (c'est selon). La petite bourgade devait s'étendre pour pouvoir accueillir un flot incessant de nouveaux venus. D'abord les Français et les Européens, ensuite, d'autres Marocains venus des régions voisines à la recherche de la prospérité d'un port naissant et d'une cité émergeante. La ville intra-muros, la vieille ville, ce qui sera ensuite connu sous le nom de la médina, était un petit espace déjà presque saturé. C'est du moins ce que nous apprennent plusieurs historiens et analystes de l'histoire de Casablanca. «Tout le bâti existant devait être revu et surtout concevoir de nouveaux plans pour les nouveaux habitants… Lyautey choisit alors l'expérience de l'urbaniste Henri Prost pour concevoir le plan d'urbanisme de Casablanca. Ce plan devait obéir au principe que Lyautey recommandait sur la question des villes au Maroc», c'est ce qu'on lit dans le Siècle des excès en référence au travail de Prost. Le choix du Maréchal Lyautey n'était pas fortuit. On le sait, Lyautey avait décidé de faire de Casablanca un joyau architectural et un laboratoire d'urbanisme. Quand il se penche sur le cas de Henri Prost, il s'adresse d'abord à l'expérience, au savoir-faire et à la réputation d'un urbaniste qui avait déjà sillonné le monde arabe et qui avait une réelle érudition en termes de styles oriental et arabe. «fort de son expérience algérienne, d'un sens esthétique marqué par l'exotisme orientaliste et de la nécessité impérieuse d'administrer efficacement les villes marocaines, il tenait fermement à maintenir une ségrégation des types d'habitat, de manière à ce que coexiste au sein d'une même ville, deux cités, l'européenne et l'indigène.» C'était là le principe établi dans tous les pays que la France avait colonisés. Et l'architecture, l'urbanisme et l'habitat n'étaient que des degrés différents de la politique globale française. « Ce principe lyauteyen, selon lequel il fallait faire évoluer de manière duale deux sociétés culturelles, s'argumentait de facto par un respect de la culture autochtone». Lyautey l'avait, à maintes reprises souligné en insistant sur le fait que pour réussir une véritable transition urbaine, il fallait laisser le temps aux populations autochtones de se familiariser avec le style moderne importé d'Europe. Un véritable orientaliste au chevet de Casablanca C'est dans ce sens que nous avons assisté à la naissance de quartier comme les Habous, Aïn Choc, ou encore les quartiers Sosseca et autres. Cette vision s'appuyait aussi sur une solide argumentation dans le courant culturaliste de l'urbanisme de l'époque. Les grands urbanistes étaient sensibles à cette distinction qui émanait pour eux du respect des acquis culturels des Marocains. Pourtant, les choses n'iront pas comme Lyautey les avaient imaginées : « Mais le fameux respect, invoqué dans la conjoncture du moment colonial, avait une valeur démonstrative incontestable ; l'action poursuivie devait aboutir à transformer l'élite traditionnelle en l'attirant autrement que par la répression à la civilisation du «progrès». » Et cette approche était à double tranchant et c'est ce qui explique la thèse de grands urbanistes qui ont insisté sur les valeurs culturelles et surtout architecturales dans la compréhension d'une autre culture et surtout dans le sens de la colonisation. «En un sens, cela réussit, mais la réaction attendue fut tout à fait différente de celle escomptée; au lieu d'être subjugués, les Marocains étaient révoltés, et allaient lancer le mouvement de lutte national qui, à l'instar du fait colonial, partait de la ville. Néanmoins, ce principe d'urbanisme colonial au Maroc impliquait une stratégie géo-culturelle de première importance.»