Après la publication de notre dernière enquête sur la spéculation foncière dans le n° 497: Immobilier: le marché s'enflamme, Driss Effina, économiste et cadre à Al Omrane apporte sa contribution sur ce dossier devenu lancinant. Le marché immobilier marocain connaît des changements profonds ces dernières années sous l'effet de plusieurs facteurs. Une première composante de ces facteurs est liée à l'environnement économique général du pays et à l'évolution démographique et son impact sur l'évolution urbaine, et une deuxième composante liée au processus d'ouverture de l'économie nationale sur le reste du Monde, avec l'effet d'entraînement de cette ouverture sur l'alignement des prix à l'international. Du côté action de l'Etat au niveau de ce secteur, elle tend de plus en plus vers plus de clarté et d'efficacité. Face à ce dynamisme du côté de l'offre en logement, les prix de l'immobilier, au niveau des grandes villes, ne cessent de croître traduisant ainsi une nouvelle confiance qui commence à s'installer chez les ménages et les investisseurs en général dans l'économie nationale qui tend à se stabiliser de plus en plus. Toutefois, cette augmentation des prix de l'immobilier, qui accompagne une intensification de la production, mérite une analyse profonde afin de connaître ses déterminants et de limiter ces effets négatifs sur les ménages, particulièrement ceux de la classe moyenne. La question posée par les observateurs et les spécialistes est de savoir qui sont les déterminants qui expliquent le plus cette hausse des prix de l'immobilier ? S'agit-t-il d'une phase transitoire après quoi il y aura retour vers les anciens prix, ou s'agit-t-il de la fin d'une phase qui marque un immobilier à des prix abordables et le début d'une phase qui marquera profondément l'avenir de ce secteur ? Côté production réglementaire en logement au Maroc, les statistiques continuent de confirmer la tendance à la hausse de la production, une hausse qui dépasse théoriquement depuis trois ans les besoins dus à l'accroissement démographique urbain annuel. Côté demande, constituée d'après des études empiriques des nouveaux ménages dus au croît démographique, d'une partie des ménages locataires ou propriétaires d'un habitat collectif et des investisseurs (personnes physiques ou morales) qui cherchent à placer leurs épargnes dans l'immobilier, secteur à rentabilité sûr et facile. La quantification de l'ensemble des composantes de la demande théorique, d'après les statistiques disponibles, dépasse largement l'offre réelle. Ainsi, une partie de la hausse des prix s'explique théoriquement par le déséquilibre du marché immobilier. Ce premier déterminant n'explique pas à lui seul toute la hausse, un autre déterminant qui trouve pleinement ses propres justificatifs, est lié au retour progressif à la vérité des prix dans ce secteur. En effet, les prix de l'immobilier avant 2000 étaient d'une part marqués par une stagnation prolongée due tout simplement à la méfiance des investisseurs dans l'économie interne et, d'autre part, ne reflétaient pas la valeur réelle des biens immobiliers. Le secteur de l'immobilier a perdu beaucoup de son attrait aux investissements, même avec les différents encouragements initiés à l'époque. Après 2000, une phase marquée par une reprise économique intense, l'immobilier va y bénéficier et enregistrera un début d'engouement et un nouveau décollage. Ainsi nous remarquerons ces dernières années un flux important des transactions immobilières sans précédent qui dépasse largement la cadence moyenne enregistrée jusqu'à la fin des années quatre-vingt-dix. Ce retour des investissements, et particulièrement la composante des investissements non productifs (spéculatif) et qui visent tout simplement la réalisation des gains faciles et rapides explique elle aussi la hausse des prix. Le quatrième déterminant est lié aux augmentations enregistrées au niveau des coûts des facteurs de production. Les intrants de production ont enregistré des augmentations importantes ces dernières années suite à la grande demande engendrée par la vague des chantiers de construction implantés partout au pays, et aussi en adéquation avec la flambée des prix des matières premières au niveau international. Le ciment reste la matière dont le prix au Maroc est pratiquement le double de son cours sur le marché international. Un autre intrant dans le processus de production de logement est celui du foncier. Cet élément commence à se faire rare au niveau des périmètres urbains des grandes villes, sachant qu'il est abondant au niveau des périphéries des grandes villes. Le foncier public, quant à lui, commence à s'épuiser et l'acteur public est appelé à s'éloigner de plus en plus des villes pour trouver des opportunités foncières. Cet éloignement engendre, lui aussi, des coûts supplémentaires. Un autre déterminant endogène lié aux normes d'urbanisme qui ont engendré des coûts indirects supplémentaires, et par la suite un impact sur le prix de l'immobilier. La recherche permanente d'améliorer l'arsenal urbanistique national par l'adoption de nouvelles normes a conduit tout simplement à rendre urbanisme ‘cher', cet urbanisme de ‘luxe' a eu tout simplement des conséquences sur le prix final de logement. Le cinquième déterminant est exogène, il est lié à la nouvelle donne de l'ouverture de l'économie interne sur l'international. Les dernières statistiques de l'office des changes montrent que les investissements directs étrangers dans le secteur immobilier ont atteint en 2005 le cap de 2,42 milliards de DH. Il s'agit là d'une demande externe sur le marché immobilier interne. Cette composante de la demande n'a jamais fait partie du modèle d'équilibre habituel de l'offre et de la demande en logement au Maroc. Les investissements étrangers dans l'immobilier sont constitués de deux composantes ; la première concerne les investissements productifs, l'autre composante est spéculative. Ce genre d'investissement ou placement de capitaux, à coût bas à l'étranger, cherche à profiter des écarts de prix entre le marché local et l'international. Tant que cette différence est importante, la rentabilité est certaine, les capitaux externes continueront d'affluer vers le marché immobilier interne. Ces investissements représentent des rentrées de devises importantes, mais en absence des règles de contrôle, ils peuvent constituer aussi une menace à la réserve de devise nationale, notamment en cas de cession et de rapatriement des capitaux y afférent. Plusieurs pays développés contrôlent ce type d'investissement en imposant des délais à respecter avant de pouvoir réaliser tout transfert de propriété. Du côté impact sur les prix, cette demande externe sur le marché immobilier local a entrainé des hausses considérables particulièrement au niveau des villes qui commencent de plus en plus à s'intégrer au reste du monde, c'est le cas de Marrakech, Agadir, Essaouira et Casablanca. En conclusion, la flambée des prix de l'immobilier accompagnée d'une forte demande reflète plus la confiance des ménages et des investisseurs dans l'économie nationale, toutefois, cette hausse doit rester sous contrôle. L'Etat est appelé à poursuivre son rôle régulateur en injectant le foncier nécessaire à l'équilibre du marché immobilier et en introduisant en permanence les mesures d'encouragement les plus adéquates. Le ménage doit pouvoir accéder dignement au logement correspondant à son pouvoir d'achat soit en propriété ou en location. La chaine de production est invitée à se capitaliser, se concentrer et se moderniser pour pouvoir bénéficier des gains en rendement et en productivité sans toucher au reste des facteurs dont notamment le coût du foncier. Enfin, la hausse des prix, qui n'est pas conjoncturelle, marque la fin d'une période et le début d'une autre caractérisée par des prix encore plus élevés qui vont entraîner certainement de profondes mutations dans le mode d'habiter du marocain.