Ramadan est là. Les débits d'alcool ont fermé leurs portes. Mais à chacun ses habitudes, en plus des us et coutumes. Les affaires qui fusent en cette période de l'année chez toutes les sections de la police judiciaire sont celles du trafic, détention et consommation de stupéfiants et de barbituriques. Déjà, des milliers de comprimés ont été saisis durant la quinzaine de jours écoulés. C'est dire que la lutte contre ce fléau aux conséquences irréparables doit s'accentuer non seulement à l'intérieur des grandes agglomérations, mais surtout aussi le long des frontières orientales. Hay Lâayoune, le 10 septembre, trois dealers ont été pris en flagrant délit de trafic de Rivotril (psychotrope). Les fouilles corporelles auxquelles ont été soumis les détaillants, ont abouti à la saisie dans leurs poches de 70 comprimés. Abdelhak Seddik, Abdelmoughit Rafik et Abdellah Saoui, ont livré le nom de leur fournisseur, un certain Mouhcine Zaazoui, connu par la police et recherché pour les mêmes motifs. Il est toujours en fuite. Le 16 septembre, la police judiciaire de Casablanca a procédé à l'arrestation d'un dealer recherché depuis le mois de novembre 2004. C'est suite à une information parvenue à la police de Mers Sultan-El Fida que Abdellah Belghazi a été mis à l'ombre. Au cours de l'interrogatoire, Abdellah avouera être détaillant et reconnaît les actes d'accusations contenus dans cinq procédures ayant été engagées contre lui pendant ces deux dernières années. Mais du fournisseur, il n'en dira mot. Une perquisition dans son domicile s'est avérée vaine. Le mis en cause a été déféré devant le tribunal de première instance. Le lendemain, 17 septembre, la même police judiciaire fait tomber dans ses filets un autre dealer recherché lui aussi pour détention et trafic de stupéfiants. Hicham Louski. Il reconnaît les faits qui lui sont reprochés et, contrairement à Abdellah, livre le nom de son fournisseur. B.S. fait de Lissasfa son fief (un quartier périphérique sur la route d'El Jadida) où la criminalité bat son plein. B.S. a pu prendre la fuite. Les recherches s'activent en coordination avec la police judiciaire de Hay Hassani. La semaine dernière, 1500 comprimés Rivotril ont été saisis à Derb Chorfa. A Hay Mohammadi, une information faisant état de l'écoulement de barbituriques sur la route de Médiouna, arrive à la police. Une surveillance a été montée. Une descente a permis l'arrestation en flagrant délit, à Garage Allal, de deux trafiquants notoires de drogues : Akraoui et Bourial. Ils ont été condamnés à plusieurs reprises pour les mêmes motifs. Les deux dealers avaient sur eux 4900 comprimés de Rivotril. L'année dernière, en pareille période, 10.000 comprimés ont été saisis en une seule prise, à Hay Mohammadi. Au mois d'août dernier, côté stupéfiants seulement, 87 dossiers ont été traités par cette même police qui a déféré 96 délinquants et dealers devant la justice pour trafic, consommation et détention de chira et de psychotropes. En une semaine seulement, pas moins de 8455 psychotropes ont été saisis. Toujours ce Rivotril ! Destruction massive Vu l'ampleur que prend ce fléau, les quantités saisies et le nombre croissant des détaillants dans les quartiers pauvres, devant les établissements scolaires et dans les glaciers, on devait se poser des questions sur le nombre partiel des consommateurs, sur leur nature et leur milieu social ainsi que sur les conséquences directes de cette dépendance. De l'oubli au meurtre Le double meurtre commis à Hay Riad à Rabat est l'illustration parfaite de cette dépendance et des conséquences qui peuvent en découler. Un Italien et sa femme belge, ont été retrouvés égorgés dans la villa qu'ils occupaient momentanément. Le mari était vice-ambassadeur de l'Union européenne. Le présumé meurtrier, Karim, 25 ans, est un drogué qui avoue avoir agi sous l'effet des psychotropes. Son corps chétif lui a facilité l'accès à la villa à travers la grille de protection. Si la presse et les communiqués officiels n'avaient pas fait l'écho de cette atrocité, le fait aurait été anodin. Mais il faut malheureusement dire que ça n'arrive pas qu'aux autres. Car, presque chaque semaine, des cas pareils surgissent dans les quartiers populaires et dans les douars. Les frères s'entretuent à cause du Rivotril. Ce même psychotrope pousse l'enfant à rouer le corps de sa mère de coups de couteau. Lorsque ces accrocs se retrouvent en criminelle ou en correctionnelle, ils disent qu'ils ont oublié. Ils ne savent pas ce qui s'est réellement passé. Les salles des audiences des différentes juridictions regorgent de dossiers de ce genre. Les mis en cause, dans leur grande majorité, sont chétifs, pâles et pleins de balafres sur le visage et sur le cou. A les voir, on croirait que leur corps a été découpé puis recollé. Si le cannabis, qui coute cher, reste l'exclusivité d'une couche sociale qui se permet de dépenser entre 70 et 150 DH par jour, le Rivotril et le Mâajoune sont «les préférés» des Autres. On est dans les vapes au prix de 7 DH. A 10 DH même lorsque la demande est forte comme pendant le mois de Ramadan. C'est ce prix dérisoire d'un poison pareil qui allèche. Les élèves, filles ou garçons, s'approvisionnent devant les établissements scolaires. Au lycée Lyautey comme au Lycée Mohammed V, des cas ont été découverts par la police et les auteurs ont été déférés devant la justice. Certains s'adonnaient même à la consommation et au trafic de la blanche. La police organise, certes, des campagnes d'assinissement d'envergure. Les tribunaux sévissent et rendent parfois des jugements sévères allant jusqu'à dix ans de prison ferme pour éradiquer le phénomène qui ne fait que persister. On ne comprend alors pas comment on n'est pas encore arrivé à considérer le Rivotril comme «arme de destruction massive» pour veiller à son blocage aux frontières. Il s'agit quand même d'un produit pharmaceutique extrêmement nocif qui nous vient d'ailleurs.