La rue marocaine semble se délecter des dernières arrestations opérées dans le sillage de la lutte contre les pratiques mafieuses. Elle se réjouit des poursuites engagées contre la douzaine de sénateurs qui auraient "acheté" leurs mandats auprès des grands électeurs. La vox populi applaudit les coups de filets qui ont fait tomber du gros gibier et permis de mettre en prison des pointures de la taille de l'ancien directeur de la sécurité des palais royaux. Le nettoyage éthique est en marche. Corruption, trafic de drogue, népotisme, détournement…Le temps des comptes est arrivé. Le peuple applaudit sa justice et, avant tout, la colère salvatrice de son Souverain. En vérité, le processus de moralisation de la vie publique a été enclenché dès l'avènement de Mohammed VI. Moins de quatre mois après son intronisation, le Roi remercia le sempiternel ministre de l'intérieur, devenu une espèce de " vice-roi " au fil des gouvernements. Les mois qui suivront verront la quasi-totalité du corps préfectoral évacué et remplacé par une nouvelle génération de managers de la chose publique territoriale. Une telle révolution était quasiment inimaginable. Les Occidentaux eux-mêmes doutaient de la capacité des nouvelles équipes appelées autour du Roi à affronter les lobbies solidement ancrés dans la haute administration, les affaires et le gotha politique. Compétence et servilité " Durant des décennies, le critère de choix des élites était lié à leur degré de servilité par rapport au Makhzen. Confronté à une guerre de légitimité face aux prétentions politiques des partis issus du mouvement national, feu Hassan II avait davantage besoin de la fiabilité des hommes que de leur compétence. Pour les retards accumulés aux registres du développement humain, Mohamed VI place la compétence et la capacité à mobiliser les partenariats à la tête des critères de nomination aux avant-postes du gouvernement et de l'administration", affirme Stephen Herber, chercheur associé au Centre d'Etudes Stratégiques de Londres. Le grand nettoyage n'est donc pas le fruit d'un " coup de tête ". Il fait partie d'une construction politique stratégique globale visant l'instauration et l'approfondissement d'une tradition de bonne gouvernance dans notre pays. Les intimes de l'ex-Prince Héritier savaient que le style, les priorités et la philosophie politique du nouveau Roi étonneront par leur audace. Mais cette audace ne pouvait être productive sans faire appel à une conceptualisation appropriée. Remplir les prisons de cols blancs n'est pas un but en soi. Faut-il encore armer le pays d'un arsenal juridique approprié, ménager l'investissement, prévenir les boomerangs corporatistes, inventorier les fortunes amassées indûment, traquer les connexions entre les services de l'Etat et les milieux criminels…etc. Durant près de sept ans, les démystifications ont succédé aux poursuites judiciaires. Des parrains ont été déférés devant la justice ; des équipes de police judiciaire, des magistrats et des limiers de l'investigation ont été formés. Des garde-fous ont été instaurés au niveau des walis, représentants personnels du Roi dans les différentes contrées du Royaume. Ces walis travaillent aujourd'hui à la lumière de l'obligation de résultats. Les gouverneurs sont priés de respecter les objectifs préalablement débattus et validés. La feuille de route des walis semble obéir à deux impératifs: huiler les procédures afin que les " projets structurants " et la " politique de la ville " soient à l'abri des humeurs bureaucratiques, d'une part, et le respect des procédures normatives, d'autre part. Pour cela, des outils aussi précieux que les agences urbaines et les centres régionaux d'investissement sont mis en branle pour accompagner le développement, avant tout humain. Le critère du nombre d'emplois créés figure au premier rang des attributs d'éligibilité des projets. Les dérogations sont prononcées non pas " à la tête de l'investisseur ", mais au vu du business plan et de sa portée en termes de valeur ajoutée et de nombre de postes créés. Etait-ce la cas auparavant ? Sûrement pas. L'affaire de Slimani-Laâfoura atteste de la gabegie qui présidait à la gestion des projets. "Même les moqaddems et les chioukhs pouvaient balafrer impunément, en masse, des villes entières au moyen de l'habitat insalubre. Les caïds, les chefs de cercles, les pachas et les gouverneurs se satisfaisaient des rapports laconiques des DAG, sans jamais oser mettre un terme à la massification des bidonvilles et à l'expansion de la grande pauvreté. Dans ce business, des fortunes colossales ont été amassées par les agents d'autorité et les élus. Pourtant, personne n'osait élever la voix. Le fameux chef d'inculpation d' " atteinte aux valeurs sacrées" veillait. Quatre procédures gagnées cinq "Louons Allah pour avoir mis à la tête de notre pays un Roi aussi sourcilleux quant à la préservation de la dignité de son peuple ! Aujourd'hui, sur cinq procédures intentées contre les pouvoirs publics, quatre sont jugées au bénéfice des citoyens plaignants", nous dit Khalid Ahkak, avocat à Rabat. En vérité, la bonne gouvernance n'est pas uniquement l'affaire des procédures et des textes normatifs. Elle implique la nécessaire évolution des mentalités vers une émergence équilibrée de l'individu dans notre société. Celle-ci ne peut, en effet, adhérer puissamment au projet démocratique et modernitaire sans qu'un Marocain libre et responsable puisse se satisfaire exclusivement de ses droits sans lorgner vers ceux des autres. Les comportements népotiques ne sont pas, en effet, le résultat d'une situation conjoncturelle, même si des conditions irresponsables les ont dopés. Nous sommes les héritiers d'un imaginaire seigneurial qui a intégré et sculpté dans le subconscient collectif la " hlawa ", un acte corruptif par excellence. Faites d'humains, les institutions ne peuvent se mettre à l'abri des outrances népotiques, claniques et corruptives sans l'éducation des citoyens à la prééminence de la dignité. " En déférant les animateurs de la corruption et des trafics illicites devant la justice, l'Etat a commencé enfin à restaurer sa propre dignité. Les affaires de Jablia, Rammach et Bine Ouidane ont révélé aux Marocains le stade de délabrement de la dignité de l'Etat. Nous devons continuer à effrayer les brebis galeuses jusqu'au jour où le fonctionnaire ou l'élu véreux tremblerait à voir jusqu'à la couleur de l'argent dans les couloirs de l'administration. Sa Majesté n'a rien à craindre des lobbies et des corporations antidémocratiques. Elle peut compter sur l'adhésion totale de son peuple à la traque des ennemis intérieurs de la Patrie ", nous dit un agent de service qui a longtemps vu défiler les enveloppes devant lui. Membre de Transparency Maroc, Halima G. dresse le constat du cancer de la corruption : " Des villes et des villages ont été défigurées par la faute d'élus et surtout d'agents d'autorité qu'aucun lien affectif n'attache aux contrées qu'ils administrent. Ils valident et légitiment les comportements népotiques et corruptifs alors que la loi leur permet d'engager des procédures coercitives tant administratives que judiciaires. Nous souffrons d'un déficit de contrôle à ce niveau. Certes, les choses commencent à bouger. Des caïds ont été licenciés ou jugés. Des pachas ou chefs de cercles ont été sanctionnés. Un gouverneur vient d'être rayé de la fonction publique. Mais le citoyen lui-même doit s'auto-discipliner en privilégiant l'intérêt de tous à celui de sa petite personne. Il doit faire la grève de la " qahwa " et autre " hlawa ". C'est le prix d'une modernisation du rapport entre l'administration et les administrés ". Fierté et estime Dans les souks de Marrakech, commerçants et artisans rappellent avec fierté les nouvelles arrestations du jour. Les touristes sont briefés sur " l'avant " et " l'après ". Dans ces causettes parfois agrémentées d'un verre de thé, la fierté des Marocains transperce le regard de ces Européens ébahis par tant d‘affection et de respect voués à la Personne du Roi. Prisonniers de leurs propres schémas institutionnels, ils invoquent les procédures, les parades judiciaires, les " mises en examen "…etc. Leurs interlocuteurs n'ont qu'un mot à la bouche : " Grâce à Sa Majesté ". En tous cas, jamais un Souverain du Maroc n'a bénéficié d'autant d'attachement et même de compassion de la part du peuple. " Baz l'Sidna ! Qu'Allah Le protège des bâtards ! ". Il y a là-dedans beaucoup de respect, d'admiration, d'attachement affectif, mais avant tout une estime que n'accompagne aucune peur. Pourvu que les gouvernants et les tenants de la haute fonction publique nationale et territoriale s'en inspirent. Quant aux élus…