L'autobiographie de Günter Grass ne devait initialement être publiée que le 1er septembre. Mais sa maison d'édition a avancé sa sortie, en raison du scandale suscité par les aveux du Prix Nobel de littérature 1999. En épluchant les oignons, l'écrivain allemand révèle avoir été enrôlé dans la Waffen SS à la fin de la Deuxième guerre mondiale. En Allemagne, en Autriche et en Suisse, où le livre est déjà sorti, la première édition est déjà quasiment épuisée en librairie. L'affaire Grass prend corps et un troisième penseur germanique doit faire face au lynchage pseudo intellectuel. Certains voudraient mettre les deux « ss », qui ferment le nom de l'écrivain allemand en majuscule, pour que le jeu de lettres nous donnent l'affabulation SS nazie. Simpliste, surtout pour l'un des écrivains les plus profonds de la fin du XX siècle. L'auteur du «Tambour», entre autres grands livres de la littérature, a fait sauter le couvercle de la marmite du lynchage dont sont friands tous les exégètes de l'immunité de l'histoire. J'entends par là, que le fait d'ouvrir la brèche aux accusateurs, on ne peut s'attendre qu'à une avalanche de racontars, d'approximations et de lieux communs. Après la cabale, des actes d'excommunication se précisent : la Fédération des expulsés allemands a appelé l'écrivain à verser la totalité des recettes issues des ventes aux victimes du nazisme en Pologne, "comme geste de réconciliation". Le député européen Elmar Brok lui a demandé de renoncer à la remise d'un prix international de littérature décerné par la ville de Görlitz, située à la frontière polonaise. Le comité germano-polonais de prix tiendra d'ailleurs une réunion extraordinaire le 5 septembre pour discuter de la question. Bref, comme pour Martin Heidegger et Peter Handke, Grass devra ramer pour se faire « réhabiliter ». Dans la foulée haineuse, les détracteurs oublient que Günter Grass est un écrivain réellement engagé. Il participe aux campagnes électorales du Parti socialiste allemand, descend dans la rue distribuer des tracts. On omet de citer dans les longs pamphlets que le cas Grass est un phénomène sans doute unique en Europe d'engagement politique de la part d'un écrivain à succès. Non pas un engagement à la petite semaine, mais un soutien permanent pour les ouvriers, contre l'injustice, pour les étrangers, contre les inégalités sociales et politiques. On ne dit pas non plus que Günter Grass sort de chez lui et va vers la Ruhr, où il descend dans un puits de mine, avec accompagnement de caméras de télévision, pour y haranguer des «gueules noires », serrer des mains et plaider la cause de ceux qui triment et soutiennent les économies libérales de ce monde. On ne dit pas non plus que l'écrivain à succès fait du porte-à-porte pour distribuer des tracts aux ménagères et vendre les journaux du parti sans le moindre calcul intéressé. Ce n'est pas l'ambition politique qui lui donne toute cette verve et cette fougue. Mais plutôt le caractère d'un homme rompu à toutes les ficelles, capable de river son clou, chiffres à l'appui, à un contradicteur, sur n'importe quel problème économique, ou de rivaliser de subtilité avec un juriste, en matière de droit constitutionnel pour montrer les limites des économies et des politiques en Occident. Alors, une question: pourquoi une telle cabale contre des écrivains ou des penseurs allemands ? Pourquoi maintenant ? La réponse pourrait émaner du fait que l'Allemagne, ou plus exactement la littérature d'expression allemande, est la seule en Europe à avoir encore du poids, dans le sens d'un réel impact dans la vie quotidienne des uns et des autres. Car une seule sortie de Grass ou de Hnadke comme hier celles de Böll ou Musil ébranlait les acquis. Le penseur, l'écrivain, l'artiste, en Allemagne, a encore cette faculté de faire contre-poids, de faire fléchir des gouvernements; il a ce pouvoir émanant de la société elle-même, rompue aux valeurs littéraires et philosophiques, qui fait que la voix d'un homme de plume, porte plus loin et plus fort que tous les discours des politiciens, des chantres sociaux et autres prestidigitateurs à la petite semaine. Dans le cas Grass, il ne faut pas oublier que la biographie en question n'est pas un mea culpa de bas étage d'un écrivain rongé par le remords et la culpabilité. Loin s'en faut. C'est la volonté d'un homme de mettre le point, en toute clarté sur sa vie, avec le bon et le moins bon. Maintenant on veut lui prêter des accointances avec Hitler ? Pour ma part, je n'ai que faire de ce passé d'un jeune homme de dix-sept ans affilié à un parti de terreur. A-t-il tué ? A-t-il pressé une détente, torturé un juif ou un autre être humain ? Aucune preuve ne peut venir noircir le parcours jusque-là honnête et humain d'un grand écrivain dont on devrait saluer la force et la profondeur, l'honnêteté et la bravoure dans un monde où les « écrivains » sont vains. Biographie Né à Dantzig, Günter Grass étudie la peinture et la sculpture avant de se tourner vers la littérature. C'est au cours d'un long séjour à Paris qu'il écrit son premier roman, Le Tambour, qui, traduit en onze langues, lui assure une fulgurante renommée. Tandis qu'il confirme son génie de conteur et de satiriste dans des œuvres romanesques comme Le Chat et la Souris, Les Années de chien, Anesthésie locale, Le Turbot, et Une rencontre en Westphalie, il sait, par ailleurs, évoquer ses expériences et ses préoccupations politiques dans Evidences politiques, Le Journal d'un escargot, Les Enfants par la tête, et Propos d'un sans patrie. À L'Appel du crapaud, qui aborde la réconciliation germano-polonaise, succède Toute une histoire, le roman de l'Allemagne avant et après la réunification. Enfin, il nous donne sa vision personnelle et caustique du siècle finissant dans Mon siècle.