Après avoir été victime des vicissitudes qui sont une conséquence des relations peu amènes entre le Maroc et l'Algérie, l'économie de la région de l'Oriental sort de son long sommeil. La contrebande à grande échelle doublée des politiques économiques et sociales inadaptées du passé ont porté un coup fatal au développement de cette zone économique pourtant dotée d'un grand potentiel. Depuis 2003, les idées foisonnent et des projets pharaoniques émergent pour tirer l'Oriental d'affaires. Plus rien ne sera comme avant pour le tourisme, l'industrie, les métiers de l'offshoring. Le City Center d'Oujda, un des projets phare de la requalification urbaine à bâtir, sera un hub pour des centaines d'entreprises. Entretien. La Gazette du Maroc : La contrebande handicape énormément le développement de la région de l'Oriental. Quelles recettes comptez-vous mettre en œuvre pour la tirer d'affaires ? Mohamed Brahimi : Il y a lieu de signaler avant tout que l'Oriental est une région doublement frontalière. C'est un élément justifiant ce constat. Si la contrebande est un phénomène naturel dans les régions frontalières du monde ; dans l'Oriental, elle prend cependant des formes relativement volumineuses et surtout ostentatoires, même si depuis quelques mois la tendance est à la régression. Le plan d'action que nous avons mis en place a permis de contenir de façon très importante ce phénomène en rendant notamment ce trafic de marchandises plus risqué et par conséquent plus cher. Ce plan n'a pas la prétention d'éradiquer totalement la contrebande ou de rendre les frontières quasi-hermétiques. Ce ne peut être un objectif réaliste ne serait-ce qu'en raison de l'étendue de la frontière sur plus de 550 kms pour la région de l'Oriental et de la difficulté matérielle de couvrir un territoire vaste et au relief difficile et accidenté. Dans un souci d'efficacité, nous avons adopté une stratégie ciblée par produits et orientée sur les principales sources, à l'amont de la chaîne. Nous sommes confrontés à un trafic bâti sur des réseaux ancrés depuis plusieurs années ; ce qui a donné lieu à une économie informelle qui fait vivre plusieurs milliers de ménages. Nous prenons garde de ne pas engager d'action frontale qui pourrait avoir des conséquences de précarisation sociale ; laquelle serait à coup sûr contreproductive ; sans légitimation ni banalisation de ce commerce illicite. Pourquoi cette stratégie ciblée ? M.B : J'aimerais vous situer les enjeux et surtout l'environnement fondateurs et qui entretiennent ces flux importants de contrebande. Il y a d'abord à la base des facteurs objectifs comme l'étendue de la frontière, la difficulté de la rendre imperméable et la tradition d'échanges frontaliers. Ensuite, la frontière avec l'Algérie ne correspond pas à un tracé étanche avec de part et d'autre des biotopes et des populations distincts. Mais les développements que la contrebande a pu prendre sont particulièrement liés au différentiel qui existe entre les deux pays au niveau des droits de douane et des taxes à la consommation. Ils sont aussi et surtout la conséquence toute naturelle du différentiel qui concerne la convertibilité des monnaies des deux pays et le taux de change qui en découle, qui se situe sur le marché informel dans un rapport de un à dix. Avec de telles marges, les réseaux de contrebande ont une forte propension à ne pas reculer devant le risque. Nous sommes persuadés que ces facteurs vont évoluer dans les années à venir éliminant de ce fait, l'environnement objectif actuel favorable à la contrebande pour laisser place aux échanges frontaliers traditionnels. L.G.M : La contrebande du carburant est particulièrement florissante dans l'Oriental de sorte que l'économie de la région en dépend étroitement. N'est ce pas dangereux à terme ? M.B : L'exemple du carburant nonobstant les risques qui s'y rattachent n'est pas celui qui menace le plus frontalement l'économie de la région ; A la limite, selon une logique strictement arithmétique, on peut considérer le pays n'étant pas producteur, qu'un carburant acquis à ce coût par les producteurs agricoles, industriels ou de services de la région contribue à renforcer leur compétitivité. En revanche, la contrebande de produits comme le ciment ou la farine affecte plus gravement les structures économiques régionales et rend la région moins captive pour l'investissement. Le plus grand risque, en ce qui concerne le carburant, est le risque de dépendance auquel a donné lieu la disparition progressive des stations de stockage et de distribution dans la région. Pour lever ce risque, il y a lieu de mener une action de lutte susceptible d'inciter à reconstituer la capacité de stockage et de distribution de l'Oriental. Nous sommes conscients de cette réalité et nous nous employons à nous protéger des risques de cette dépendance, qui s'est installée progressivement. L.G.M : Avez-vous une stratégie pour attirer les investisseurs vers la région, sachant que la contrebande est un facteur limitatif ? M.B : Depuis le 18 Mars 2003, date du discours historique de SM Le Roi, la région de l'Oriental est en mouvement et fonctionne sur d'autres rythmes. De grands chantiers d'infrastructures et d'équipements structurants et d'importants moteurs de croissance économique, sont engagés pour en faire un futur grand pôle économique national. La région se taille d'ores et déjà des parts d'intérêt et renforce sa capacité d'attrait pour les investisseurs. De grands groupes internationaux y sont déjà installés ou projettent de le faire. L.G.M : La région de l'Oriental est connue pour son énorme potentiel dans tous les domaines. Malheureusement, ce potentiel est rarement transformé en opportunité. Que faites-vous à ce niveau pour un cadre d'investissement adéquat et une meilleure qualité de vie ? M.B : La ville d'Oujda n'offre pas aujourd'hui aux investisseurs la qualité de vie dont ils ont besoin. Il va de soi que cet élément figure parmi les facteurs importants devant rendre notre région plus attractive. Je suis de ceux qui croient à l'effet d'attractivité de ce facteur et qui travaillent beaucoup pour l'amélioration de la qualité de vie. Aujourd'hui, la ville d'Oujda n'offre pas toutes les commodités de vie pour l'étranger et pour les compétences nationales. Par conséquent ce volet figure parmi nos préoccupations. On s'emploie notamment à susciter la création d'un cadre de vie attrayant: logement, bureaux, hôtellerie, restauration, santé, éducation de qualité etc…. Bientôt la ville d'Oujda va être dans ce sens dotée notamment d'une infrastructure commerciale participant à cet attrait. Dans le secteur de la grande distribution, Marjane et Aswak Essalam investissent à Oujda et sa région. Aswak Essalam a été attributaire d'un terrain et va bientôt démarrer son projet. Son implantation permettra à plusieurs enseignes, notamment de restauration, et de galeries commerciales de luxe d'investir la capitale régionale. Marjane de son coté installe bientôt une structure régionale et prévoit d'aménager plus de 30 hectares de zone commerciale de façon à attirer un grand nombre d'enseignes capable d'améliorer l'attractivité de la région. Ceci dit, pour rendre cette région plus captive, nous facilitons le développement d'un parc de plateaux de bureaux modernes et offrant les commodités nécessaires aux investisseurs. Une offre en résidentiel de standing est aussi en cours de formation dans la capitale de l'Oriental. L.G.M : Qu'en est-il d'Oujda City Center ? M.B : L'idée d'un City Center à Oujda, est en bonne voie. Son objectif est de répondre à une demande réelle du marché, en termes de plateaux de bureaux, de résidentiel haut de gamme, de galeries commerciales de luxe, d'hôtellerie mais aussi d'implantation d'un technopôle et d'une zone administrative. Cet important projet, qui est envisagé sur une friche de 50 ha de l'ONCF, vise à créer une nouvelle cité moderne au cœur de la ville. Il s'agira de concevoir un nouveau centre urbain correspondant aux ambitions de modernité, de progrès et fonctionnant aux nouveaux rythmes du Maroc de Mohammed VI ; susceptible de positionner Oujda dans sa vocation de futur grand pôle maghrébin et méditerranéen. L.G.M : Quels sont les échéanciers de ces différents projets ? M.B : Pour la grande distribution, nous tablons sur 2007 comme date de démarrage du premier projet. Le premier trimestre de 2007 verra aussi la fin des travaux d'un Business Center. Oujda City Center se fera sur une dizaine voire une vingtaine d'années. Il s'agit d'un projet qu'il est préférable d'inscrire dans la durée, avec plusieurs phases, devant répondre progressivement aux besoins évolutifs du marché et de l'économie régionale compte tenu de la croissance importante projetée. Dans un premier temps, l'aménagement concernera quelques 5 à 10 ha. La réserve foncière appartient à l'Office National des Chemins de Fer (ONCF) qui s'associera à un tour de table d'aménageurs développeurs. La définition et la conception de ce grand projet sont confiées à un cabinet national ayant de grandes références. Le projet a aussi fait l'objet de la réunion à Oujda d'un panel international, à l'initiative de l'Agence de Développement de l'Oriental, avec la collaboration du Secrétaire Général de l'INTA. Des professionnels de renom, venus de plusieurs pays du monde et du Maroc, se sont penchés pendant une semaine sur ce projet, et ont initié une importante réflexion qui sera investie dans la conception finale du plan d'aménagement de ce grand projet urbain. L.G.M : Quelles sont les conclusions auxquelles est parvenue l'étude Ernest & Young sur le développement des pôles industriels de l'Oriental ? M.B : L'étude confiée au groupement Ernest & Young- CID, avait pour objectif d'identifier les sites de développement industriel, capables d'être captifs et compétitifs sur la base du benchmark régional et international. C'est en somme une traduction régionale du Plan Emergence pour l'Oriental. La question qui s'est posée était de savoir si la région peut se positionner au niveau industriel et sur quels segments ? La réponse du cabinet conseil est que la région peut se positionner sur certains sites moteurs que l'étude a établis. L'étude a ainsi défini quelque 185 has de terrains industriels à aménager pour les 10 à 15 prochaines années, dont deux sites à traiter en zone franche à Nador : un site intra-portuaire (25 ha) et un autre extra-portuaire. En outre, l'étude montre l'impérieuse opportunité de créer une zone agro-industrielle à Boughriba (Province de Berkane) pour renforcer les capacités régionales de valorisation des productions agricoles du périmètre de la Moulouya.Oujda devrait accueillir une zone technopôles pour les activités de services, de logistique, de transport et pour les métiers du tourisme et de l'offshoring. La région dispose ainsi d'une feuille de route claire, fixant les métiers industriels du futur, sur lesquels nous avons d'excellents avantages comparatifs, en tenant compte à la fois de nos potentialités et de notre situation géostratégique ainsi que de notre positionnement par rapport au reste du Maroc, aux partenaires européens et aux possibilités d'échanges avec les marchés pertinents. La prochaine étape consistera en l'appropriation du projet par le gouvernement et la validation des choix retenus ; notamment l'engagement des pouvoirs publics à accompagner l'aménagement de ces sites industriels, en termes d'investissements hors-site. L.G.M : Jusqu'où le Gouvernement pourra-t-il aller avec vous ? M.B : Une prochaine réunion est prévue avec le Premier ministre. Elle sera consacrée à la prise des décisions nécessaires pour la mise en route de ce projet de promotion des potentiels industriels de la région de l'Oriental. L.G.M : L'agriculture est l'un des meilleurs créateurs de valeur de l'Oriental, cependant on reste en deçà du potentiel. Comment comptez-vous la tirer vers le haut ? M.B : Au niveau du périmètre de la Moulouya les enjeux concernent d'abord l'utilisation de l'eau. Ils concernent aussi la productivité et la valorisation des produits. Ce sont trois grands enjeux que nous pilotons sur les zones irriguées. Il s'agit d'abord de développer les techniques d'économie de l'eau, puisqu'il faudrait gérer nos ressources en eau de façon plus intelligente, ensuite cibler les filières pour aller vers celles qui sont les plus porteuses ; enfin améliorer la productivité. C'est sur cette même base que le transfert au privé de près de 9000 ha dans le cadre du partenariat public/privé – SODEA- SOGETA, peut constituer un réel moteur de croissance pour l'économie agricole de la région notamment pour les agrumes, la vigne et les primeurs. Notre objectif est d'atteindre la taille critique nécessaire au développement d'un outil industriel de valorisation et à la maîtrise des marchés à l'export.S'agissant de la captive de la valeur ajoutée, elle est loin d'être optimisée compte-tenu de notre potentiel et de notre appareil actuels de conditionnement et de valorisation. C'est la raison pour laquelle l'agropôle de Berkane sera créé avec comme objectif de renforcer dans le cadre de l'intégration notre force de valorisation et de transformation de notre production agricole. La région est en passe de lancer avec le concours du CRI, en outre deux études importantes sur les filières viande rouge et oléicole .Sur ces deux produits, nous nous projetons d'aboutir à la certification et la labellisation de notre production avec à l'horizon la promotion de niches de production, de commercialisation et de valeur ajoutée prometteuses. L.G.M : L'Oriental a un avenir touristique certain. A part le balnéaire, quels sont les autres potentiels à offrir dans les années à venir ? M.B : Le balnéaire est la ressource du futur dans cette région. Il faut savoir que Saïdia n'est que le début d'une aventure du tourisme balnéaire prometteuse pour la Méditerranée marocaine. La concrétisation de la rocade méditerranéenne, qui est un vieux projet marocain enfin mis en œuvre par Sa Majesté Le Roi Mohammed VI , donnera encore plus de vigueur à notre ambition touristique. Cette rocade ouvre en effet au développement et à l'investissement des régions entières demeurées jusqu'ici vierges et inexploitées, faute d'accès.La rocade d'un côté, la multiplication ou le renforcement des capacités des ports sur la façade méditerranéenne (Tanger-- Al HoceïmaD Nador) vont considérablement doper et accélérer l'investissement sur le littoral méditerranéen. De grands groupes internationaux notamment espagnols se bousculent sur la région de l'Oriental et au-delà dans les régions d'Al Hoceïma, et de Tanger-- Tétouan.Cette effervescence s'explique par l'effet de saturation de la rive nord. La demande de tourisme sur la Méditerranée évolue annuellement à deux chiffres. Plusieurs projets de la taille de celui de Saïdia sont déposés et sont à l'étude. Ils visent l'aménagement et le développement de nouvelles zones touristiques ; traduisant le phénoménal attrait que présente la région pour l'industrie du tourisme. Ceci dit la région dispose de grands potentiels touristiques autres que le balnéaire. C'est le cas de l'éco-tourisme, du tourisme cynégétiques, du tourisme culturel … D'importantes niches sont identifiées dans les Béni-- Snassen, les hauts plateaux, ou encore la magnifique Oasis de Figuig. La région prépare le lancement avec le concours du Conseil Régional du Tourisme de l'Oriental (CRT), du PDRT, qui permettra d'identifier ces potentiels considérablement et éclairera sur les conditions de leur transformation en produits. L.G.M : Pour tous ces projets allez-vous travailler avec le ministère du tourisme ? M.B : Bien entendu, la concertation est permanente et le coaching se fait dans une synergie parfaite entre les ministères concernés et la wilaya de la région ; même si la déconcentration de l'acte d'investir, réalisée sur les Hautes Instructions de SM le Roi Mohammed VI permet de traiter régionalement tous les projets d'investissement inférieurs à 200 millions de dirhams. Au-delà, la compétence revient à la Commission Centrale des Investissements. En matière d'investissements touristiques, les règles à observer sont celles définies pour le plan azur et appliquées aux projets de Stations contractés- notamment, en ce qui nous concerne, la Station de Saïdia confiée au groupe FADESA. La voie étant, en ce qui concerne les investissements touristiques, aussi balisée et les cahiers des charges clairs, cela facilite le pilotage des projets et les rapports Etat/Région/Investisseurs.