Pour échapper aux affrontements entre Israël et le Hezbollah libanais, des centaines de Marocains installés au Liban ou tout simplement en transit ont été évacués vers le Maroc. Avant de pouvoir regagner le pays, ils ont transité de Beyrouth à Damas en Syrie. Témoignage d'un rescapé. Ils l'ont échappé belle. Au jour d'aujourd'hui, ils ne croient pas encore qu'ils sont déjà à l'abri. Qu'ils ont pu miraculeusement regagner leur pays. Qu'ils sont aux côtés de leurs familles et proches sains et saufs. Ce qui restera gravé pour toujours dans leurs mémoires se résume en un seul mot : l'horreur. Immeubles effondrés, ponts démolis, voitures brûlées, aéroport en feu, des corps de civils et d'enfants déchiquetés, un pays à feu et à sang… Un spectacle de désolation, un acte de terrorisme d'Etat commis par l'armée israélienne, au nom du «droit à l'autodéfense». Ce même droit qu'elle a dénié pourtant au peuple palestinien livré, depuis des années, à une terreur jamais égalée. Eux, ce sont les Marocains rescapés de guerre rapatriés, grâce à une intervention Royale, au Maroc depuis le déclenchement des bombardements au Liban, jour comme nuit, par les chasseurs et les navires de la marine de l'armée israélienne. Ils ont assisté au conflit dans toute son atrocité et racontent les affres d'un itinéraire tortueux et semé d'embûches qui les a finalement conduits dans leur pays. Saâd Ghazi, un fonctionnaire au Parlement, ne savait à aucun moment, lorsqu' il a embarqué pour Beyrouth, un 9 juillet 2006, qu'il allait être mêlé à une sale guerre dont nul ne sait comment elle se terminera. Lui qui est parti pour les besoins du tournage de l'émission de la célèbre chaîne de télévision MBC (Qui veut gagner des millions ?) à Beyrouth ne croyait pas, jusqu'à l'écriture de ces lignes, qu'il en sortirait vivant de cette aventure. Après le calme, l'offensive militaire Dimanche 9 juillet 2006, à l'aéroport de Casablanca. Saâd Ghazi, excité à l'idée de faire le déplacement à Beyrouth, embarque à 8H5m dans un avion de la compagnie RAM à destination de la capitale libanaise. En compagnie d'une vingtaine de marocains sélectionnés, notre candidat, tout heureux, a la tête en l'air. Il pense déjà à la victoire (pourquoi pas !), au défi, aux présélections, au trac d'être devant les caméras, aux questions des animateurs… Bref, trois semaines d'aventure et de compétition. Arrivée à Beyrouth à 16H30 de la même journée, la délégation marocaine, à l'instar des autres délégations, est conduite à un palace de renommée internationale. Au programme : détente, excursions, visite guidée de la ville ainsi que ses monuments, séances de briefing, en attendant le démarrage de l'émission. «Tout paraissait normal et rien ne prédisait une telle guerre dans le pays. Au contraire. À Beyrouth, là où nous étions, nous n'avons rien senti jusqu'au soir du Mercredi 11 juillet dernier, le soir où Israël a lancé son offensive militaire», raconte notre rescapé. Dans la nuit de mercredi 11 à jeudi 12 juillet, Saâd Ghazi a été réveillé par un "bruit sourd" : celui des avions de combat israéliens. «La terreur que nous ressentions était indescriptible». Les obus explosaient tout près de nous. Ça se passait à l'aéroport qui se situe à trois kilomètres de l'hôtel où nous étions hébergés. Le son du tonnerre que provoquaient les obus faisait trembler l'hôtel. D'ailleurs un feu énorme provenant de l'aéroport a illuminé Beyrouth cette nuit là», poursuit-t-il. Evacuation périlleuse Planqué dans sa chambre au 5ème étage, Saâd Ghazi a préféré rester scotché devant l'écran de la télévision pour essayer de saisir ce qui se passait ce soir-là à Beyrouth. Il a fini par l'apprendre des bouches des organisateurs eux-mêmes : Israël déclare une guerre ouverte au Liban. Notre rescapé apprend également que l'Etat hébreu a lancé son offensive après la capture de deux de ses soldats par des activistes du Hezbollah qui avaient franchi la frontière libano-israélienne. «Ça me brise le cœur de voir le pays déchiré et détruit. On m'avait dit que le Liban était magnifique mais je l'ai vu par moi-même, de mes yeux, et c'est vraiment une tragédie». Jeudi 12 juillet 2006, et après une nuit blanche, les organisateurs, optimistes toujours, décident d'emmener les candidats en excursion, au Nord de Beyrouth, dans une petite ville balnéaire qui porte le nom de Jbail. Une excursion vite interrompue par les bruits de bottes qui s'accompagnent un peu partout d'informations faisant état de la présence de l'aviation israélienne dans le ciel libanais. Retour vers l'hôtel à 17H30 pour une réunion entre les organisateurs et les candidats de l'émission «Qui veut gagner des millions». L'heure est grave et il faut évacuer tout le monde vers Hama à 3H de route de la ville de Damas en Syrie. Le rendez-vous est pris pour le lendemain vendredi 13 juillet où des bus affrétés par la chaîne MBC pour une opération de rapatriement périlleuse. Une autre nuit d'horreur, de panique, d'inquiétude pour Saâd Ghazi qui multiplie les appels téléphoniques à ses proches au Maroc pour les tranquilliser. «La nuit, c'est plus angoissant. L'aviation et l'artillerie et la marine israéliennes frappaient aveuglement l'ensemble des sites stratégiques à Beyrouth. Cette nuit, nous avons appris qu'ils ont coupé les routes et incendié des dépôts de carburants de la centrale électrique de Jiyé, sur le littoral au sud de Beyrouth», se souvient encore Saâd Ghazi. Un pays littéralement découpé en morceaux Vendredi matin, c'est le Liban qui se réveille encore sur les sons assourdissants de bombardements intensifs. L'aviation israélienne est revenue une fois encore à la charge pour bombarder une seconde fois l'aéroport international de Beyrouth fermé pour une durée indéterminée, prenant pour cible les réservoirs de carburant, après avoir visé les deux principales pistes. Au total, 21 ponts, la plupart reliant les différentes régions du Liban sud ainsi que le Liban sud au reste du pays, ont été bombardés par Israël, plongeant le Liban dans un blocus aérien, maritime et terrestre. L'aéroport international de Beyrouth ciblé à deux reprises par les raids de l'aviation a été fermé au trafic, alors que des bâtiments de la marine israélienne avaient fait leur apparition dans les eaux territoriales libanaises. La route Beyrouth-Damas, l'une des seules voies qui restaient pour sortir du pays, qui n'a pas encore été bombardée est la seule issue de sortie pour tous ceux qui désirent échapper à cette guerre. «Les organisateurs nous ont payé des bus flambants neufs, loués pour la circonstance, pour nous sortir de là. Le prix avancé est de l'ordre de 300 000 DH pour évacuer quelques 120 candidats de différentes nationalités du Liban», confie Saâd Ghazi. Départ à midi de la capitale libanaise vers l'inconnu. Sur le trajet, qui a duré 11 heures, notre rescapé à tout vu. Un embouteillage interminable, de longues files d'attentes, tout le monde fuit le Liban vers la Syrie. Touristes, Libanais, chacun avec ses propres moyens. Le Liban brûle. Une guerre aux dimensions régionales et internationales a fait jaillir de nouveau l'horreur dans ce pays littéralement découpé en morceaux. Des crimes de guerre à répétition, la destruction des infrastructures : routes, ponts, centrales électriques, stations d'eau, ces destructions ne visent finalement que la population civile Libanaise. «Même si nous ne manquions de rien, les responsables de la Chaîne MBC nous assuraient tout ce dont on avait besoin, je sais maintenant ce qu'est une guerre», nous déclare Saâd Ghazi. En effet, évacués en urgence, Saâd Ghazi et ses compagnons ont réussi à atteindre la Syrie par la seule échappatoire (la frontière nord) qui compte quatre points de passage, débordés de réfugiés en état de choc. «Ce n'est pas facile de gagner la frontière. Les villes et villages ont été coupés du monde par les frappes israéliennes. Le blocus israelien et la destruction des infrastructures a provoqué une flambée des prix. Dorénavant un voyage en taxi ou en bus vers la frontière syrienne coûte 30 fois le prix habituel. Nous sommes arrivés samedi à Hama. On a tout fait pour nous aider et grâce à Dieu, tout s'est bien passé», fait-il remarquer. Rapatriement réussi En effet, une fois introduit en Syrie, le groupe des Marocains a été vite pris en charge par l'ambassade du Maroc à Damas sur le pied de guerre depuis le déclenchement des hostilités. «Dès que nous avons franchi le sol syrien, nous avons eu des contacts téléphoniques avec l'ambassadeur qui nous a accueilli dans sa propre résidence à Damas. On nous a logé, nourri et apporté tout le soutien qu'il faut pour nous faire oublier ce qu'on a enduré. Nous avons de la chance d'être partis mais nous pensons vraiment aux gens qui sont restés au Liban», témoigne Saâd Ghazi. Entre temps, deux avions militaires C-130 reçoivent l'ordre de décoller de la Guinée pour une opération d'extrême urgence en Syrie. Sur intervention du Souverain, le Maroc sera parmi les premiers pays à envoyer ses avions pour évacuer ses ressortissants au Maroc. Les grands moyens ! Le rapatriement se fera grâce à un programme de rotations d'avions C-130 en coordination avec les ambassades du Maroc à Beyrouth et surtout celle de Damas. Aussitôt informé de la bonne nouvelle, l'ambassadeur du Maroc à Damas et son staff ont déployé tous les efforts pour réussir cette dure tâche : celle d'héberger, d'assister, de recenser, de conseiller, et d'accomplir les formalités à l'aéroport pour les ressortissants Marocains. Aucune différence entre les sexes et aucune discrimination, les premiers seront servis et rapatriés au Maroc. «Je tiens à remercier SM le Roi Mohammed VI ainsi que tous ceux qui nous ont aidé de loin ou de près pour quitter Damas et revenir au pays», conclut notre rescapé.