I- BREVE BIOGRAPHIE D'ELMANDJRA Le professeur Mahdi Elmandjra est né le 13 mars 1933 à Rabat et plus précisément à l'actuel siège du parti de l'Istiqlal situé à Bab El Had. Après avoir poursuivi ses études au Lycée Lyautey, son père avait décidé de l'envoyer aux Etats-Unis pour poursuivre ses études universitaires. Après l'obtention de la licence en Biologie et en Sciences Politiques à l'Université Cornell à Washington, le Professeur Elmandjra a décidé de partir en Angleterre où il a obtenu son Doctorat en Sciences Economiques (Phd. Eco) à l'Université de Londres (London School Economics). Dès son retour au Maroc en 1958, il a entamé sa carrière en tant que Professeur à l'Université Mohamed V à Rabat. Il a été également nommé Directeur Général de la Radiodiffusion télévision marocaine. La carrière du Professeur Elmandjra témoigne d'une grande fertilité en termes de productivité scientifique et technique. En effet, cet éminent chercheur a, non seulement, publié un peu plus de 500 articles ; mais il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont la pertinence, l'originalité et la valeur scientifique ont été universellement saluées et amplement reconnues. II- BRILLANTE CARRIERE DIPLOMATIQUE ET INTERNATIONALE Le Professeur Elmandjra dispose d'une très brillante carrière à l'échelle internationale qui ne se limite pas seulement aux nombreuses hautes fonctions occupées auprès de l'Organisation des Nations unies (ONU) ; mais déborde largement pour intégrer de nombreux postes occupés au sein d'organisations internationales non gouvernementales (ONG). En effet, Elmandjra a entamé sa carrière internationale après sa nomination en tant que Conseiller de la mission permanente du Maroc auprès des Nations unies à New York. Cette carrière s'est nettement renforcée avec l'occupation de nombreuses hautes fonctions au sein de l'ONU entre 1961 et 1981. Il a occupé, tout d'abord, le poste de Chef de division Afrique, avant d'être nommé sous-directeur général de l'Unesco pour les sciences sociales, les sciences humaines et la culture. Il a été également sous-directeur général pour la prospective. Parallèlement aux postes occupés au sein des Nations, le Professeur Elmandjra a été également président de la Fédération mondiale des études du future de 1977 à 1981, et président de Futuribles internationales. Il est également membre de l'Académie du Royaume du Maroc, de l'Académie africaine des Sciences et de l'Académie mondiale des Arts et des Lettres. Les prestigieuses distinctions et décorations ainsi que les nombreux prix qui lui ont été accordés constituent, de toute évidence, une grande reconnaissance de ses qualités scientifiques et de la valeur de ses contributions dans divers domaines de la connaissance. Il a, en effet, reçu le prix de la Vie Economique en France en 1981, avant d'être décoré de la Grande Médaille de l'Académie d'Architecture en 1984 et de l'Ordre des Arts et des Lettres l'année suivante. L'obtention de la Médaille de l'Académie Internationale d'Albert Einstein, de l'Ordre du Soleil Levant au Japon en 1986 ainsi que le prix de la Fédération Mondiale des Etudes sur le Future en 1995, sont de nature à confirmer sa très brillante carrière et son succès dans toutes ses œuvres. III- ELMANDJRA LE FUTUROLOGUE Le Professeur Elmandjra, dont la renommée mondiale est depuis longtemps établie, est un futurologue hors paire. La pertinence de ses réflexions et de ses avis, la rigueur de ses analyses et la précision de ses projections ne sont plus à démonter. Il est, en effet, le premier dans le monde à avoir évoqué le « choc des civilisations », et ce bien avant Samuel Huntington. Il a aussi le mérite d'avoir prévu depuis longtemps les soulèvements populaires qui secouent actuellement le monde arabe (le Printemps arabe). 3.1-Conflit des civilisations Dans l'émission intitulée « Dossiers de l'Ecran » de TF1 du 24 juin 1980, consacrée à la prospective, le Professeur Elmandjra a soutenu que l'Occident souffrait de trois obsessions : la démographie, l'Islam et le Japon. Cette assertion s'est confirmée un peu plus d'une vingtaine d'années après, relève le Professeur, en affirmant que « la peur de l'immigration a remplacé celle de la démographie, de la Chine qui s'est substituée au Japon alors que la peur de l'Islam s'est amplifiée sous forme d'une islamophobie à visage découvert où l'on associe ouvertement Islam et terrorisme en ayant recours au terrorisme sémantique et au matraquage médiatique ». (Elmandjra, Mahdi, 2006). Le Professeur Elmandjra est effectivement le premier à avoir évoqué le phénomène de « conflit des civilisations » et ce bien avant Samuel Huntington. D'ailleurs, ce dernier a reconnu lui-même cette réalité en soutenant qu'Elmandjra était effectivement le premier à évoquer cette notion et à énoncer le concept de « guerre civilisationnelle ». (Huntington, Samuel, 1996, p.246). En effet, dans un entretien accordé le 11 février 1991 au très célèbre magazine allemand « Der Spiegel », le grand futurologue s'est largement attelé à expliquer cette notion qui s'est manifestée à partir des années 1990 avec la fin de la guerre froide, annonçant ainsi l'émergence de la période post-coloniale. Cette nouvelle période s'est nettement démarquée de la précédente par le fait qu'elle est beaucoup plus régit par des conflits liés à la diversité culturelle que par les enjeux idéologiques, politiques et économiques. Partant de la guerre du Golf contre l'Irak en 1991, qu'il qualifie de « première vraie guerre mondiale qui met aux prises la quasi-totalité du monde occidental coalisé contre un peuple solitaire pour des motifs culturels », le Professeur Elmandjra a tenté de développer sa thèse de confrontation culturelle et d'appréhender ce phénomène de « choc des civilisations » et d'expliquer comment il va se reproduire dans l'avenir. (Elmandjra, Mahdi, 1992). 3-2 Le « Printemps arabe » Le futurologue Elmandjra s'est nettement démarqué par sa parfaite connaissance de la réalité des pays du tiers monde, particulièrement les pays arabo-musulmans, et par sa capacité à prévoir, depuis longtemps, les soulèvements populaires (Printemps arabe) qui ont secoué le monde dès la fin des années 2010. En effet, le Professeur ne s'est pas limité à soutenir que les soulèvements contre la tyrannie, l'injustice, la pauvreté et l'humiliation étaient inévitables ; mais il a établit des projections remarquables par leur rigueur, leur pertinence et leur précision. Au demeurant, les prévisions de soulèvements dans le Monde arabe ont été réitérées cinq années auparavant, notamment pour le cas du Maroc. En effet, dans un entretien accordé à l'hebdomadaire Almichaal en 2006, Elmandjra prédisait une situation explosive au Maroc dans les cinq prochaines années. L'apparition du mouvement du 20 février et les soulèvements qui s'en suivirent ont confirmé ses prévisions et avec une remarquable précision. (Elmandjra, Mahdi, 2006). Dans son livre intitulé « Humiliation. A l'ère du méga-impérialisme », le professeur a estimé qu' « il est difficile, même avec la meilleure volonté du monde, d'envisager une situation politique et socio-économique dans le monde arabo-musulman pire que celle que nous vivons. On baigne dans l'humiliation qui découle d'une flagrante lâcheté sur le plan international vis-à-vis des grandes puissances et d'Israël ». (Elmandjra, Mahdi, 2003). Le fin prospectiviste estime, par ailleurs, que la crise des « valeurs » qui secoue le monde découle du refus des uns de reconnaître les autres et constitue, de ce fait, un signe avant-coureur du début de la fin de l'empire post-colonial américain, tout en croyant fermement à la victoire finale des soulèvements populaires qui font se dresser « les humiliés contre les humiliateurs ». (Elmandjra, Mahdi, 2003). Eu égard à toutes ces considérations, Elmandjra a identifié trois scénarii possibles ; le maintien du statu quo, le scénario réformiste et celui des transformations radicales. Le maintien du statu quo est un scénario qui plaide en faveur de la stabilité et de la continuité. Celui-ci bénéficie d'un fervent soutient des Etats unies, de l'Europe occidentale et des institutions monétaires internationales. Le « scénario réformiste » s'attache à préserver un minimum de stabilité tout en introduisant des réformes fondamentales. Ce scénario « pourrait avoir quelques chances de réussir à moyen terme si les réformes sont rapides et répondent aux aspirations relatives à la démocratie, à sa pratique et ses principes et l'édification d'une société civile marquée par le respect des droits de l'homme, de la liberté de presse et d'expression et un esprit de tolérance ». Le troisième scénario est celui des transformations radicales et des mutations profondes. IV- UN MILITANTISME HORS PAIRE Le Professeur Mahdi Elmandjra témoigne d'une remarquable démarcation par son militantisme qui s'est manifesté dès son jeune âge. Il est également l'une des figures lumineuses qui ont profondément marqué l'histoire du Maroc et qui ont pris dans leur cœur, leur esprit et leur âme la noble mission de défendre les opprimés et les humiliés partout dans le monde. 4.1- Approche du militantisme d'Elmandjra Il va sans dire que toute tentative sérieuse visant à appréhender le volet de militant dans la personnalité du Professeur Elmandjra constitue, de toute évidence, une entreprise à la fois complexe et délicate. Complexe du fait que le militantisme de cet éminent savant s'est manifesté dès son jeune âge (15 ans), particulièrement lorsqu'il s'est révolté rigoureusement contre un haut responsable sécuritaire du Protectorat à Ifrane qui a qualifié de normal que son chien puisse partager une piscine avec des Arabes. Un second incident a eu lieu à Marrakech quant un colon a giflé un Marocain pour avoir insisté pour essuyer ses chaussures. Etant témoin de cet incident, la réaction du jeune Mahdi a été spontanée et brutale. Aussi, le militantisme d'Elmandjra est difficilement saisissable du fait qu'il est véhiculé à travers l'ensemble de ses activités et de ses œuvres ; cours, conférences, publications, entretiens accordés aux organes de presse et aux médias,… ainsi que certains prix et récompenses accordés à certains artistes et écrivains et à d'autres personnalités. La conférence organisée à l'Institut Supérieur de la Communication et du Journalisme à Rabat en l'honneur de Mokhtar M'Bow qui venait juste de quitter la fonction de directeur général de l'Unesco s'inscrivait également dans ce cadre. L'approche du militantisme d'Elmandjra s'avère, également, délicate et car il ne s'est pas limité seulement au Maroc ou à un domaine particulier ; mais il est l'un des rares militants qui ont pris dans leur cœur, leur esprit et leur âme la noble mission de défendre les causes justes dans le monde et se faire l'avocat des humiliés contre l'humiliation, la tyrannie, l'injustice,… 4.2- Lutte contre la « répression invisible » Il convient de relever que le militantisme d'Elmandjra s'exerçait, également, d'une manière individuelle et ce en dehors de tout parti ou toute autre institution, à l'exception de l'Organisation Marocaine des droits de l'Homme (OMDH) dont il est le Président fondateur et qu'il a quitté dès sa constitution à la suite d'altercations avec le régime . En effet, le Professeur était toujours là, loin des projecteurs, pour apporter son précieux soutien et son appui inconditionnel à un grand nombre d'intellectuels, de militants et de tout autre personne victimes d'oppression, d'injustice et d'abus de tout genre. Il serait judicieux de leur rappeler que le moment est venu pour exprimer un minimum de reconnaissance à ce grand militant en relatant leur témoignage à l'égard de notre très cher Professeur. Pour ma part je tiens à exprimer ici ma grande reconnaissance et ma profonde estime à Elmandjra pour le soutien spontané et l'appui inestimable et inconditionnel qu'il a bien voulu m'apporter à la suite de très graves injustices qui se démarquent nettement tant par leur ampleur et par la diversité des mesures illégales prises à mon égard que par leurs profondes implications professionnelles, familiales et morales. Elles s'apparentent, en effet, à une véritable torture morale qui perdure depuis un peu plus d'une vingtaine d'années et ce en dépit de nombreux recours formulés au plus haut sommet de l'Etat. D'ailleurs, toutes ces tentatives ainsi que celles formulées auprès de nombreux organes de presse, dont Akhbar El Youm et Al Massae…, n'ont malheureusement pas pu aboutir et les possibilités de recours pour excès de pouvoir sont quasi nulles eu égard à l'extrême sensibilité de l'Institution en question. Notre cas représente, de toute évidence, un sujet très pertinent pour l'étude de la notion de "répression invisible" qui mérite amplement d'être signalée et éventuellement dénoncée. CONCLUSION Il convient de relever, en guise de conclusion, que si les contributions du Professeur Elmandjra ont été largement saluées et la valeur de ses œuvres a été universellement reconnue, il n'en demeure pas moins que l'attitude des autorités marocaines à son égard semble relever du paradoxe et donne lieu à de multiples interrogations. Il est évident que la mobilisation de toutes les compétences nationales ; notamment intellectuelles, est de nature à trouver les meilleures solutions possibles aux problèmes de développement économique, technologique, social et culturel d'une société déterminée. Cependant, par cette attitude, le Maroc ne semble-t-il pas avoir laissé passer une occasion d'une valeur inestimable de bénéficier au maximum de la pertinence de ses avis, de ses réflexions et de ses analyses ainsi que la précision quasi-mathématique de ses prévisions et de ses projections ? Au demeurant, cet éminent savant est à accréditer d'un taux très élevé de productivité scientifique et technique et a été extrêmement fertile en propositions et en actions au profit d'autres institutions et pays au détriment de son propre pays. « Nul n'est prophète dans son propre pays ». BIBLIOGRAHIE Elmandjra, Mahdi, 2007 La Valeur des valeurs, Casablanca, Elmandjra, Mahdi, 2003 Humiliation à l'ère du méga-impérialisme, Casablanca, Najah Al Jadida Elmandjra, Mahdi, 1992 Première guerre civilisationnelle, Casablanca, Sindbad, 1992 Elmandjra, Mahdi, 1991 Entretien accordé par Elmandjra, in : Der Spiegel, 11 février 1991 Elmandjra, Mahdi, 2006 الخمس سنوات المقبلة تندر بتفجر الوضع بالمغرب،المشعل،26 فبراير 2006 Huntington, Samuel,1996 The Clash of civilizations and the remaking of World Order, New York, Simon & Shuster TF1, 1980 Dossiers de l'Ecran consacrés à la prospective, 24 juin 1980