Le mercredi 10 janvier 2013 à 11h30, N. N., « domestique » dans une famille de médecin au Quartier Bourgogne à Casablanca, s'est jetée de la terrasse de ses employeurs pour mettre fin, nous dira-t-elle, à sa vie de femme physiquement exploitée et psychiquement martyrisée. Le jeune du quartier qui a tenté de la rattraper en bas de l'immeuble est décédé des suites du choc avec le corps de N. N.. Nous nous inclinons devant son acte spontané de citoyenneté et d'abnégation. Qu'il repose en paix. Depuis la parution sur le Net, mercredi soir, des premières informations concernant ce drame, nous avons tout essayé pour situer N. N. afin de lui apporter protection et soutien. Il nous a fallu trois jours pour la rencontrer dans un hôpital public de Casablanca et nous entretenir avec son père, près du Commissariat du lieu du drame. C'est dire les difficultés que nous avons, à chaque fois, à accéder à l'information et la manière inadmissible et condamnable dont la société civile est traitée pour l'empêcher de « faire son travail ». Originaire d'un village perdu dans la région de Fès N. N. est ballottée, en tant que « petite bonne », depuis près de 5 ans, entre plusieurs grandes villes du centre et du sud du pays. Comme pour les très nombreuses « petites bonnes » que nous avons « sauvées », son maigre salaire était perçu, directement, par son père. En 2010, elle a été victime d'un viol à Marrakech qui a marqué un tournant dramatique dans sa, déjà triste, vie. Ses parents auraient refusé de la recevoir à leur domicile et s'arrangent, depuis, à l'envoyer de maison en maison. Blessée et exaspérée, elle a tentée de mettre fin à sa vie en se coupant les veines. Devant l'indifférence de son entourage et la poursuite de son exploitation, elle a décidé de recommencer en se jetant de la terrasse de ses employeurs. Aujourd'hui, nous essayons avec nos moyens et ceux des associations partenaires de lui assurer, avec son accord, une aide psychologique, un accueil en foyer et une prise en charge dans sa région d'origine. Par-delà l'aspect anecdotique nécessaire pour informer l'opinion publique et interpeller les institutionnels concernés/responsables, cette dramatique affaire nous ramène à la réalité de la problématique des « petites bonnes » et à ses conséquences inhumaines que nous condamnons et que nous combattons avec force et détermination. Nous confirmons que l'éradication de cette pratique inhumaine est possible. A Chichaoua, nous avons pu sauver près de 200 filles. A El Kelaâ des Sraghnas, nous en avons sauvé plus de 50. Les filles retirées du travail domestique sont à l'école. En 2012, deux des filles ont obtenu le baccalauréat. Dans les zones de notre intervention, plus personne ne fait commerce de ses enfants. Grâce à la mobilisation du Collectif associatif pour « l'éradication de l'exploitation des filles mineures dans le travail domestique », l'ancien Gouvernement a introduit des articles pénalisant l'emploi des filles mineures dans le travail domestique. Mais, l'affaire de N. N. nous rappelle l'urgence de promulguer une loi spécifique assortie de dispositions et de moyens concrets pour garantir le retrait des « petites bonnes » du lieu de leur exploitation, leur protection, leur accompagnement médical et psychologique et leur réinsertion sociale et à l'école. Source : www.lnt.ma