Mais le Maroc n'a pas encore rompu avec certaines méthodes et une certaine mentalité relativement au traitement de certains sujets. En particulier, pour les NTIC, le Maroc continue de vouloir recourir aux anciennes méthodes qui sont toujours utilisées dans le domaine des médias et qui veulent à tout prix contrôler l'information et le contenu accessible, comme cela se fait au niveau du paysage audiovisuel marocain, toujours monopolisé par l'État, mais libéré par le satellite. La philosophie adoptée reste celle d'essayer de cacher l'information relativement à tout ce qui est jugé subversif ou juste inapproprié et d'isoler les Marocains de manière à ce qu'ils ne sachent pas ce qui s'écrit relativement à leur pays. On s'occupe de faire le jugement à leur place sans recourir au système judiciaire et en faisant fi des lois du pays. On donne carte blanche à un service de l'opérateur historique (Maroc Telecom), qui plus est contrôlé par un groupe français (Vivendi), pour qu'il détermine de lui-même ce qui est convenable et ce qui ne l'est pas. Une partie du contenu bloqué mériterait réellement d'être interdite, mais de manière légale : mandat d'un juge et décision publique. Des sites qui incitent à la violence, des sites de pédophilie... doivent être interdits. Mais une partie importante du contenu bloqué l'est pour des raisons qui peuvent paraître a priori pour certains comme des raisons de sécurité, mais qui en réalité ne sont pas des raisons valables. C'est notamment le cas des sites ou services Google Earth, YouTube et LiveJournal. Live Journal, dit-on, contient des blogs pro-séparatistes (Sahara). Mais est-ce une raison pour bloquer toute la plateforme et ses 2 millions de blogs depuis juin 2006. Est-ce que bloquer les sites du Polisario et cacher leur contenu aide à défendre la cause marocaine ? N'est-ce pas maladroit comme solution, que ce soit pour la manière comme pour la philosophie de cette politique ? Ne pensez-vous pas que cela empêche les Marocains d'utiliser la même plateforme pour développer un contenu et répondre de manière plus intelligente ? Quel message ce blocage véhicule-t-il relativement à la position marocaine ? Pour YouTube, sa censure le 25 mai 2007 (et qui a été levée après 4 jours grâce à une mobilisation sans précédent de la blogosphère et des internautes marocains) n'a servi finalement qu'à faire la promotion à deux vidéos insultantes pour le Maroc. Celui ou ceux qui ont pris cette décision, sont-ils conscients de ses conséquences ? Non seulement ils ont fait la promotion de ces vidéos, mais ils ont fait découvrir YouTube et ses possibilités à des milliers d'internautes. Cela a engendré une vague importante de vidéos contre le gouvernement marocain. Et pour Google Earth, il a été décidé en août 2006 d'en bloquer l'accès aux Marocains. Comment peut-on prendre la décision de bloquer un tel outil ludique et interactif du savoir, un atlas, un service de cartographie, un symbole de l'Internet d'aujourd'hui et de demain qui est exploité quotidiennement dans les écoles, les universités, plusieurs industries (touristique, marketing, politique, recherche, environnement,...). Pour quelle raison Google Earth est-il censuré au Maroc ? On ne le sait pas ! Aucune décision judiciaire, aucun communiqué, ... rien ! La presse a confirmé cette censure en août et septembre 2006 mais sans avancer aucune raison. Peut-on quantifier les conséquences de cette censure sur les secteurs éducatifs, touristiques et des NTIC, pour ne citer que ceux-là ? Comment le Maroc peut-il seul au monde considérer que tout le pays est une zone sensible ? Google a déclaré accepter les demandes des gouvernements et brouiller les zones indiquées par ces gouvernements. S'il s'agit d'une question de sécurité, pourquoi ne pas faire comme tous les gouvernements du monde ? De plus, s'il s'agit réellement d'une question de sécurité, alors comme les autres censures, elle ne peut avoir que des effets pervers : le contournement de la censure est un jeu d'enfants (voir la cinquantaine de billets à ce sujet sur ce blog) et ce service reste accessible partout dans le monde ou chez les autres opérateurs (Internet via téléphonie 3G). Tout contenu peut même être transporté dans un CD, une clé USB ou encore une carte mémoire d'un appareil photo ou d'un téléphone cellulaire. Sont-ils tous contrôlés par la douane ? De plus, le contournement de la censure implique une navigation anonyme, ce qui veut dire que dans l'hypothèse (peu probable) que le contenu de Google Earth puisse être exploité un jour par une personne malveillante, il serait beaucoup plus difficile, pour ne pas dire impossible de le retracer ! Alors, cette censure rend-elle le Maroc plus ou moins sûr ? Beaucoup de décisions relativement à ces censures datent un peu. Ce sont des décisions et des manières de faire d'un autre âge que le Maroc a dépassé. Officiellement, ces décisions ne sont pas prises par le gouvernement, ni par le parlement. Comment peut-on organiser des élections législatives et faire tous les louanges de la démocratie et des libertés individuelles, si ceux pour qui nous allons voter n'auront aucun mot à dire relativement à la censure, notamment celle d'Internet ? La saisie de journaux ou revues (dont Nichane et Telquel) se fait en violation de la loi par un Premier ministre et un ministre de l'Intérieur non élus. Comment se fait-il qu'en 2007 et à l'ère des élections les plus transparentes que va organiser le pays, le ministre de l'Intérieur siège dans le Conseil de surveillance de Maroc Telecom ? Pourquoi pas le ministre du Tourisme, le ministre de la Communication, celui de l'Education Nationale ou encore celui de la Culture ? Cela ne rappelle-t-il pas l'ère Basri des ministères de l'Intérieur et de l'Information ? Est-ce qu'on avance vraiment dans ce domaine ? A-t-on enterré l'ère Basri ? D'un autre côté, pourquoi toute cette censure et cette manière d'agir n'a-t-elle jamais été couverte par la presse française ? Voir ce billet et cet autre billet. Pour finir, je partage avec vous les commentaires que j'ai reçus d'un ancien ingénieur de Maroc Telecom. Je les avais filtrés parce qu'ils méritent un billet à part. Je ne publie pas le nom donné par cette personne. Je vous laisse déduire s'il s'agit d'un message amical ou d'une menace personnelle ou encore une menace de censurer Blogger, comme si on n'avait pas encore assimilé l'épisode Youtube et comme si la censure arbitraire était efficace ou allait empêcher quoi que ce soit. C'est ce qui doit encore changer : cette politique de l'autruche et cette mentalité de cacher les problèmes au lieu de les régler. Cet ingénieur, qui croit faussement que je vise les ingénieurs de Maroc Telecom quand je parle de censeurs, dit que la censure de Google Earth a été décidée « en haut », à la différence de celle de Youtube. Comment des décisions aussi importantes peuvent-elles être prises en cachette dans un pays qui est en train de vivre une campagne électorale et qui demande à ses citoyens de croire dans les changements démocratiques ? Je vote pour un Maroc en qui je crois et qui continue d'avancer dans la bonne direction, malgré les tentations de retour en arrière. Le temps que je consacre à cette censure n'est pas du temps perdu, bien au contraire. C'est du temps que je mets au service de mon pays en espérant contribuer à son avancement. Si je parle aussi librement, c'est parce que je suis convaincu que le Maroc n'est ni la Tunisie, ni l'Egypte, ni la Chine et que je fais mon devoir de citoyen et d'éducateur d'empêcher que les libertés dans mon pays ne soient jamais aussi restreintes que dans les pays mentionnés et bien d'autres. Ce blog en est d'ailleurs la preuve ! Je vote pour un Maroc qui continue d'avancer... Mohamed DRISSI BAKHKHAT http://motic.blogspot.com