Elle s'appelle Siham, elle a 28 ans. Cela fait plus de cinq ans qu'elle tapine à Casablanca, essentiellement à partir de la boîte de nuit d'un hôtel quatre étoiles situé dans le centre ville. Lorsqu'elle arrive de Fès en 1998 après une fugue du domicile familial- cette analphabète vivait avec sa mère et sa jeune sœur- elle atterrira directement chez sa cousine installée dans le métier. « Au début, il fallait me mettre à niveau en terme de fringues et d'esthétique », souligne-t-elle, afin de mettre en exergue l'importance d'un « capital de départ ». Au-delà des 1500 dirhams par mois que j'envoyais à ma mère et des 750 dirhams de loyer (avec sa cousine), l'essentiel de mes revenus partait en vêtements (chraouats). A mes débuts, deux fois par an, en mars et en juillet, j'investissais dans un séjour à Agadir parce que l'après-midi, on pouvait y faire plus de passes qu'à Casa et le soir, les Moyen-orientaux faisaient le reste. C'est difficile d'y rester toute l'année car la concurrence y est rude. Plus elle prendra de l'âge, plus son argent ira dans l'ameublement et la location d'un deux pièces en centre ville qui lui permettra d'agrémenter, en le louant à des collègues plus jeunes, ses fins de mois. « L'appartement, c'est mon assurance maladie. Si je ne peux pas travailler, il peut me rapporter au moins deux cents dirhams par nuit ». Elle investit donc en tableaux bon marché, meubles en kit, télé, DVD et chaîne stéréo. « Pour certains clients, je peux même m'improviser dealer de hashich. J'ai en permanence une barrette de trois cents dirhams que je revends au détail à 1000 dirhams : les clients sont en général soûls et peu regardants à la dépense ». Avec l'âge aussi, son addiction à l'alcool a grandit : « Quand j'ai débuté, je prenais en boîte une bière (de 50 à 80 dirhams) et me faisais offrir le reste. Maintenant, je bois du whisky à la maison avant de partir travailler et je prends au moins un verre en boîte. Du coup, j'en ai pour cent dirhams minimum par jour, même quand je ne travaille pas ». L'expérience aidant, certaines dépenses diminuent durablement : « Depuis le temps, tous les videurs me connaissent et sont donc plus indulgents avec moi. Ils savent que je suis sur une pente descendante. Ce sont mes deux dernières années. Ils ont bien profité de moi, alors maintenant, c'est mon tour ». Avec la police, les relations se sont arrangées avec le temps : « Avec les policiers, c'est un bras de fer perpétuel. S'ils sentent que tu es prête à passer une nuit au commissariat, ils laissent tomber. Quand j'étais plus jeune, j'étais tellement paniquée que je pouvais donner tout ce que j'avais ». Avec l'âge, on perd aussi de ses attraits et les clients sont de plus en plus exigeants : « A mon apogée il y a quatre ans, je faisais vingt passes par mois avec un minimum de 200 dirhams et un maximum de 1500 dirhams la passe. Je tournais avec un revenu de 15 000 dirhams par mois. Actuellement, je fais dix passes à 500 dirhams et avec les à-côtés (location de l'appartement et menus trafics), j'arrive péniblement à 8000 dirhams ». Du coup, les achats vestimentaires se font plus rares : Siham n'est plus toujours à la page et forcément, sa clientèle s'en ressent. Un cercle vicieux dans lequel elle ne veut plus tomber. « En quatre années d'exercice, je n'ai pas fait un centime d'économie. J'ai toujours cru que les '' beaux jours'' ne finiraient jamais. Mais c'est la dure réalité de la vie. La carrière d'une prostituée est très éphémère. Avec l'âge, ce que l'on gagne en malice on le perd en attrait ». Du coup, elle compte totalement sur sa jeune sœur qui l'a rejointe dans le métier il y a deux ans pour lui « sauver » la vie. « Je la protège, je l'oriente, je lui montre les bons clients, je partage mes vêtements avec elle et une grande partie des charges du logement. C'est grâce à cela qu'elle peut faire des économies. Elle veut acheter un appartement ». A une question sur « comment elle voit son avenir » elle répond : « maquerelle ou morte », dans un rire empreint de tristesse.