Au fil du temps, l'entreprise qui s'appelle aujourd'hui Siemens Digital Industries Software a changé plusieurs fois de nom. Certains d'entre eux comportaient les mots « PLM » ou « PLM software », mettant en avant le concept de PLM. Aujourd'hui, l'éditeur de logiciels – dont le siège social se trouve à Plano, au Texas – emploie plus de 20 000 collaborateurs et constitue une entité majeure de Siemens dans le monde. Siemens DISW s'est développé non seulement en termes de nombre d'employés mais aussi de produits, puisqu'il possède un énorme portefeuille couvrant presque intégralement la quasi-totalité des processus industriels pouvant être gérés numériquement. Cela va de l'ingénierie mécanique, électrique, électronique et logicielle à la simulation comportementale et fonctionnelle, en passant par la commande de machines physiques assistée par l'intelligence artificielle. Mais dans toutes ces offres le terme « PLM » ne figure que rarement. C'est pour cette raison que nous avons cherché à savoir ce que le PLM – qui a été pendant près de 20 ans un concept important englobant tous les types de logiciels industriels – représente aujourd'hui pour Siemens. Voici les réponses de Joe Bohman, vice-président senior chargé de l'entité Lifecycle Collaboration Software. Précisons qu'avant d'accéder à ce poste Joe a travaillé pendant de nombreuses années dans les domaines de la CAO/FAO et du PDM/PLM. Le rôle de Teamcenter aujourd'hui Quel rôle jouent aujourd'hui le PLM et Teamcenter dans votre portefeuille d'offres ? Joe Bohman. – Comme nous l'expliquons depuis de nombreuses années, le PLM est la source unique de vérité, l'infrastructure de gestion de données pour les produits industriels, particulièrement nécessaire pour la configuration de multiples variantes. Mais ce que recouvre le terme « données produit » ne cesse de s'élargir. Il y a dix ou quinze ans, les produits étaient essentiellement mécaniques. Puis le nombre de composants électriques et logiciels a explosé. Le PLM demeure la source unique de vérité, mais maintenant il l'est aussi pour les composants électriques et logiciels. En outre, alors qu'il ne concernait au début que l'ingénierie et la fabrication, son champ d'action s'est désormais étendu à l'exploitation et à la maintenance tout au long du cycle de vie, et c'est là que l'IoT entre en jeu. En termes de disciplines, où en est Siemens dans l'intégration de l'ALM et de l'EDA ? Joe Bohman. – Dans le domaine de l'ALM, notre logiciel Polarion, qui connaît un grand succès, joue un rôle très important. Nous essayons de l'intégrer dès le début du développement logiciel afin d'assurer la traçabilité, qui est essentielle pour maîtriser la configuration du produit. Il en va de même pour le portefeuille de Mentor Graphics. La problématique est la même qu'il s'agisse de concevoir le faisceau électrique d'un véhicule ou d'un avion, une carte de circuit imprimé, une machine à fabriquer des puces, ou un téléphone portable : l'ingénieur mécanicien travaille sur le contenant, l'ingénieur électricien travaille sur la carte, et la carte doit s'intégrer dans le contenant. Nous permettons aux gens de travailler ensemble d'une manière beaucoup plus intégrée. Et Teamcenter reste l'arche qui abrite toutes les données des différentes disciplines. Un constructeur automobile, qui rencontrait beaucoup de problèmes de compatibilité entre les composants logiciels et matériels de ses véhicules, a pu réduire considérablement ses coûts de garantie en intégrant tous ces composants au sein de Teamcenter. Quelle est l'importance du PLM pour le jumeau numérique ? Votre objectif est-il toujours d'avoir un jumeau numérique pour chaque produit ? Et de combien de jumeaux numériques parlez-vous ? Joe Bohman. – Au cœur de notre portefeuille Xcelerator se trouve ce que nous appelons un « jumeau numérique complet », ce qui signifie qu'il contient les données de toutes les disciplines et de toutes les parties de la chaîne de processus de valeur. Chez Siemens, nous sommes convaincus d'avoir mis au point le jumeau numérique le plus complet du marché. Il couvre toutes les disciplines et la totalité du cycle de vie. L'autre terme très intéressant est celui de « continuité numérique ». Les organismes de réglementation peuvent demander à une entreprise opérant dans un secteur fortement réglementé de prouver que l'un de ses produits respecte bien une certaine norme, faute de quoi l'entreprise sera exclue du système. Dans le cadre, par exemple, d'un stimulateur cardiaque, cela peut nécessiter de démontrer la conformité d'un nouveau logiciel ou matériel au cahier des charges. Avec une continuité numérique, vous pouvez tout trouver, de la définition du logiciel aux résultats de la simulation, toutes les opérations ce que vous avez effectuées pour concevoir le produit. Ce type de continuité numérique repose sur un jumeau numérique. « Le PLM et les lacs de données sont complémentaires » Le PLM perd-il de son importance du fait de l'utilisation croissante de ce que l'on appelle les lacs de données ? Ceux-ci peuvent-ils remplacer le PLM en totalité ou en partie ? Joe Bohman. – Le PLM et les lacs de données sont complémentaires. Le PLM gère l'ensemble des données produit structurées, celles dont vous avez besoin pour une nomenclature ou un cahier des charges. Il repose principalement sur une base de données SQL. Un lac de données repose principalement sur un SGBD NoSQL. Il peut accueillir des documents, des feuilles de calcul et bien d'autres choses, et leur appliquer une semi-structure. C'est très utile pour pouvoir effectuer des recherches transversales. Par exemple, le DSI d'une grande entreprise souhaite généralement avoir accès aux données de centaines d'applications réparties sur plusieurs sites. Le lac de données lui permet d'interroger toutes ces sources. Il est utile pour les rapports et les analyses. Il complète le PLM. Nous alimentons de nombreux lacs de données. L'apprentissage automatique est également un sujet important. Beaucoup de gens utilisent des lacs de données comme base pour l'apprentissage automatique. Mais pour nous le PLM sert également de base. Dans l'industrie, l'un des problèmes classiques consiste à construire la même pièce encore et encore. Par exemple, vous avez besoin d'un crochet de suspension, mais comme vous ne trouvez pas le bon crochet dans vos archives vous en fabriquez un nouveau. L'une des solutions à ce problème est notre système de classification des pièces. Vous pouvez placer vos pièces dans une bibliothèque et les retrouver grâce à leur classification. Beaucoup de clients ne le font pas, car classifier les pièces prend du temps. Aujourd'hui, nous utilisons l'apprentissage automatique. Nous avons intégré l'outil TensorFlow de Google dans notre système de classification. Vous pouvez l'entraîner sur quelques pièces et il vous suggérera automatiquement comment classifier les autres. Nous l'avons testé avec un client dont la bibliothèque comportait plus d'un million de pièces. L'entreprise a réduit son coût de classification de 90 %. Teamcenter est très moderne [Joe Bohman sourit]. Pouvez-vous approfondir un peu plus la différence entre Teamcenter et Xcelerator ? Joe Bohman. – Je vais faire une analogie. Microsoft Office comprend Excel, Word, PowerPoint, Exchange et d'autres applications-clés. L'ensemble s'appelle Microsoft Office. Siemens Digital Industries Software propose Teamcenter, NX, Simcenter et de nombreux autres outils, qui sont tous regroupés dans un portefeuille que nous avons baptisé Xcelerator. Ce nom reflète leur finalité et le travail que nous avons accompli pour les regrouper. Aujourd'hui, nous proposons Xcelerator Cloud, qui offre toutes les fonctionnalités de ces outils dans le cloud, afin que les clients puissent les y utiliser. Nos clients veulent utiliser la CAO mécanique, la simulation et le PLM, et il est important pour eux que tous ces outils fonctionnent ensemble. C'est la raison d'être de Xcelerator. Et dans cet ensemble d'outils, Teamcenter est l'infrastructure de gestion de données. Le PLM est-il important pour la conception de modèles économiques nouveaux et numériques ? Joe Bohman. – Prenons quelques exemples. On peut considérer la personnalisation de masse comme l'un de ces modèles économiques, bien qu'il ne soit pas totalement nouveau. Une grande usine automobile située en Europe produit plusieurs milliers de véhicules par jour. Aucun d'eux ou presque n'est exactement semblable à un autre. Le réseau de concessionnaires traditionnel de la marque est en train de changer. Auparavant, les concessionnaires recevaient les voitures, puis les vendaient aux consommateurs. Aujourd'hui, les consommateurs veulent de plus en plus configurer eux-mêmes leur voiture et qu'elle soit livrée chez leur concessionnaire. C'est un nouveau modèle économique, et il s'appuie sur le PLM. Un modèle différent du même type de voiture sort de la chaîne toutes les trente secondes ; cela ne serait pas possible sans le PLM. Un autre exemple : le produit en tant que service. Pour pouvoir suivre les produits après leur sortie de l'usine, pour pouvoir disposer d'une configuration de construction et d'une configuration de maintenance, il faut une solution de PLM. Traditionnellement, pour l'ingénierie, la fabrication et la maintenance, on utilisait respectivement le PLM, peut-être le PLM, et un tableur. Mais comme les clients orientent désormais leur activité vers le service, le PLM s'étend de plus en plus à la maintenance. Mettre à jour le micrologiciel par flashage – impossible sans le PLM Voici un troisième exemple : de nombreux clients nous parlent des nouveaux composants logiciels qu'ils incluent dans leurs produits et de la manière dont ils peuvent faire évoluer ces composants au fil des ans. Comme les constructeurs automobiles ou les fabricants de lave-vaisselle, qui veulent pouvoir mettre à jour le micrologiciel de temps en temps par flashage. Cela non plus n'est pas possible sans le PLM. Peut-on utiliser l'IoT sans utiliser le PLM ? Joe Bohman. – Votre question me rappelle une publicité amusante. Un patient est assis sur le fauteuil de son dentiste. Le dentiste l'examine et lui dit : « Eh bien, je n'ai jamais vu d'aussi vilaines caries ! » Et il renvoie son patient sans le soigner. L'IoT sans le PLM, c'est la même chose. L'IoT vous signalera que vous avez un problème, mais sans le PLM vous ne pourrez pas le résoudre. Quel rôle joue Mendix dans votre portefeuille ? Joe Bohman. – Le principal intérêt de Mendix est qu'il ne nécessite pas de grandes compétences en programmation – c'est ce que l'on appelle un outil « low-code » – et qu'il permet de créer rapidement des applications. Les gens utilisent Teamcenter, mais il se peut qu'ils souhaitent aussi disposer d'une petite application leur permettant de transmettre des données de Teamcenter à leur outil d'ERP ou à un autre système. Nous avons développé un pont entre Teamcenter et Mendix. Nous utilisons pour cela notre nouvelle technologie Data Hub, qui nous permet de rassembler des données provenant de différentes sources. Il en résulte une relation très synergique entre Teamcenter et Mendix. Quelles données issues des nombreuses applications de Siemens seront intégrées dans l'infrastructure Teamcenter ? Et comment gérez-vous cela ? Joe Bohman. – Pendant 20 ans, j'ai été l'expert en CAO de l'équipe et j'ai géré NX. La question était de savoir quelles étaient les données de CAO que nous devions introduire dans Teamcenter. Nous y entrons les attributs, le matériau, le poids de la pièce, des informations appartenant à la nomenclature et au processus de modification, et quelques métadonnées. Dans Xpedition, le logiciel de conception de cartes électroniques développé par Mentor Graphics, vous avez un ensemble de composants, que l'on appelle un « bloc », vous avez la carte elle-même, et les pistes du circuit sur la carte. Les pistes du circuit ne sont pas entrées dans Teamcenter. Mais si le client souhaite partager un bloc, il peut le faire, car cela fait partie des informations que nous collectons dans Teamcenter. Pour chaque outil de notre portefeuille, nous dressons la liste des éléments sur lesquels les membres des différentes équipes pourraient vouloir travailler séparément. Le modèle de données s'enrichit, mais l'adaptabilité dimensionnelle reste notre priorité. Nous recueillons ces données, puis nous les préparons en vue de la gestion des configurations. Il n'existe pas une gestion des configurations pour la carte, une autre pour le boîtier et une troisième pour le logiciel. Il n'y a qu'une seule gestion des configurations et un seul processus de modification pour le produit. Quels sont, dans le monde, les marchés régionaux importants pour Siemens Digital Industries Software ? Joe Bohman. – Siemens est une entreprise très internationale. Les Etats-Unis, l'Allemagne et le Japon sont des marchés énormes et en pleine croissance. Mais parmi tous nos marchés, la Chine connaît une croissance très rapide. Nous avons trois régions, les Amériques, l'EMOA et l'Asie-Pacifique, et les trois sont assez équilibrées. La région EMOA pèse peut-être un peu plus lourd, mais l'ensemble est plutôt équilibré. Quelle est votre approche des entreprises industrielles en fonction de leur nombre d'employés ? Joe Bohman. – Dans le domaine du PLM particulièrement, nous observons une tendance très intéressante. Traditionnellement, les petites entreprises investissaient dans la CAO, mais pas dans les logiciels et les ressources humaines destinés au PLM. Mais le cloud change la donne. Avec le cloud, nous renforçons notre capacité à pénétrer plus profondément le marché des PME. En effet, la complexité des produits, le délai de production de valeur et d'autres facteurs sont devenus des très importants pour ces entreprises. Pour les petites entreprises, nous comptons beaucoup sur nos partenaires. Ce qui signifie que le conseil revêt une importance croissante. Vous en chargez-vous seul ou avec des partenaires ? Quels sont les principaux secteurs pour lesquels vous travaillez ? Joe Bohman. – En fait, la part de notre activité que nous réalisons avec nos partenaires est en augmentation. Pour les petites entreprises, nous comptons beaucoup sur eux. Globalement, pour toutes les entreprises manufacturières. Nous sommes très présents dans le secteur de l'automobile ; l'aéronautique vient en deuxième position, et nous opérons aussi maintenant dans le secteur des semi-conducteurs. L'acquisition de Mentor Graphics a eu un effet important dans ce domaine. Nous nous concentrons aussi sur la construction mécanique et les équipements lourds, la construction navale, le matériel médical et les biens de consommation, mais aussi le secteur de l'énergie. Qu'en est-il de la vieille relation au sein de Siemens entre l'automatisation et le logiciel ? Et comment fonctionne votre plateforme MindSphere ? Joe Bohman. – Anton Huber, qui a dirigé l'acquisition d'Unigraphics en 2007, nous disait toujours : « l'automatisation est née avec les logiciels ». Notre portefeuille d'automatisation basé sur Simatic et notre portefeuille de logiciels regroupé sous la bannière Xcelerator, c'est ce que nous appelons l'atout industriel. C'est là que le matériel et le logiciel convergent. MindSphere en est un élément essentiel. Nous essayons de collecter dans MindSphere toutes les données générées par le matériel, puis d'en extraire des informations afin de le connecter au PLM. Nous associons Mendix et Data Hub pour que nos clients puissent rapidement créer des applications pour exploiter les données provenant de tout type de matériel. L'ancrage de Data Hub au cœur de MindSphere, ainsi que notre engagement en faveur de l'ouverture et des normes ouvertes, sont des éléments importants de notre stratégie. Selon vous, à quelle catégorie de fournisseurs informatiques Siemens appartient-il ? Joe Bohman. – Notre nom est Siemens Digital Industries Software et nous nous classons dans la catégorie des éditeurs de logiciels industriels. Nous étions spécialisés dans le PLM, mais nous nous sommes ensuite fortement implantés dans les secteurs de l'EDA, du low-code et de l'ALM en réalisant plusieurs acquisitions. La dernière en date est Supplyframe, une place de marché numérique conçue pour mettre en relation les acheteurs et les vendeurs du secteur des puces électroniques. Tout cela fait de nous un éditeur de logiciels industriels.