Le deuxième tour des élections présidentielles anticipées en Tunisie connaîtra un duel entre deux personnalités hautes en couleurs. D'un côté un magnat des médias, Nabil Kaoui actuellement incarcéré et de l'autre, Kais Saied, un outsider jusqu'ici totalement inconnu. Si Saied part favori, pour Karoui l'avenir reste incertain. Selon les résultats communiqués par l'Instance Supérieure Indépendante pour les élections (Isie), lors d'une conférence de presse, le second tour se passera sans Youssef Chahed, ex-chef du gouvernement et sans Abdelhattah Mourou, candidat d'Ennahda, mais opposera plutôt ceux qu'on n'attendait pas, l'universitaire indépendant Kais Saied et l'homme d'affaires Nabil Karoui, qui ont respectivement récolté 18,4% et 15,58% des votes selon les chiffres communiqués par Nabil Baffoun, président de l'Isie. Les Tunisiens devront désormais choisir entre deux outsiders qui n'ont jusqu'ici eu aucune expérience dans la politique pour prendre les commandes du pays. En éliminant Youssef Chahed de la course à la présidentielle ainsi que les islamistes d'Ennahda, les Tunisiens ont montré qu'ils tournaient définitivement la page d'un pays profondément divisé entre deux, voire trois forces opposées. Car, il faut l'admettre même au sein du parti Nidaa Tounes dont était issu le défunt président Béji Caid Essebsi, les dissensions étaient et sont toujours présentes, notamment Youssef Chahed qui a tourné le dos au président pour créer son propre parti, Tahya Tounès. Les Tunisiens ne lui ont visiblement pas pardonné la trahison même si tout était calculé pour qu'il prenne la place d'Essesbsi. Coup de balai Avec des scores moindres comparés aux deux candidats arrivés en tête, les ex-tenants du pouvoir au pays du jasmin, ni le premier candidat que présente Ennahda, Abdelfattah Mourou arrivé en troisième position avec 12,88% des voix, ni Youssef Chahed, arrivé à la cinquième place avec 7,4% des voix, n'auront pu se frayer un chemin pour le deuxième tour. Mais, même si Kais Saied et Nabil Karoui sont qualifiés haut la main pour le second tour, la situation du magnat des médias reste compliquée. Détenu en prison, Nabil Karoui n'est pour le moment pas en mesure de s'adresser aux médias, en outre, son parti dénonce des tentatives de saper sa réputation par Youssef Chahed. En cause son surprenant placement en détention pour une affaire qui date de 2016. L'Isie a par ailleurs annoncé qu'il y avait eu certains « dépassements » et infractions qui constituent des crimes électoraux pendant la campagne électorale et que chaque infraction pouvait faire l'objet d'une disqualification. « Nous analysons (…), mais pour déchoir un candidat, il faut avoir une raison valable et solide d'infraction », a déclaré la porte-parole de l'instance, Hasna Ben Slimane, en référence à la campagne de Nabil Karoui, menée sur sa chaîne de télévision. Raillant le faible résultat enregistré par l'actuel Premier ministre Youssef Chahed, le fils de l'ancien président a adressé un message sur Facebook au candidat malheureux. Pour Hafedh Caïd Essebsi, le dirigeant controversé au sein du parti Nidaa Tounes, actuellement en dehors de la Tunisie, cet échec de Youssef Chahed n'est autre que le résultat de « l'opportunisme, narcissisme, manque de notoriété et de campagnes de dénigrement ainsi que la propagation de rumeurs et tourisme parlementaire » en plus de la « tentative d'isoler le défunt président Beji Caïd Essebsi ». Kais Saied, l'outsider intello L'universitaire Kais Saied, qualifié au second tour de l'élection présidentielle anticipée, est né le 22 février 1958 à Tunis. Il a obtenu un diplôme d'études approfondies en droit international public de la Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, un diplôme de l'Académie internationale du droit constitutionnel et un diplôme de l'institut international de droit humain à Saint-Rémo en Italie. Il a entamé sa carrière professionnelle en tant que professeur à la Faculté de droit et des sciences économiques et politiques de Sousse en 1986. Il a ensuite enseigné à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis en 1999. Quand il a décidé de se lancer dans la politique, c'est d'abord vers ses étudiants qu'il s'est tourné. Ayant mené sa campagne en faisant du porte-à-porte et en serrant des mains, il a notamment fait dans le populisme qui semble avoir porté. D'ailleurs, selon les chiffres fournis par le sondages les jeunes électeurs âgés entre 18 et 25 ans ont été nombreux à avoir voté pour Kaïs Saïd. Ainsi 20,3% des 26-45 ans et 10,3% des 46-60 ans lui ont donné leurs voix. Karoui, le Berloscouni tunisien Nabil Karoui candidat du parti « Qalb Tounes » (Au cœur de la Tunisie), qualifié au second tour de l'élection présidentielle anticipée, est né le 1er août 1963 à Bizerte. Lauréat de l'Ecole de commerce à Marseille, il est co-fondateur du groupe Karoui and Karoui et fondateur de la chaîne de télévision « Nessma ». Le groupe qu'il dirige (médias et publicité) a ouvert son premier bureau au Maroc puis à Alger, Ryadh, Khartoum, Nouakchott et Tripoli. En 2013, il a crée l'association « Ness El Khir » rebaptisée, en 2016, « Khalil Tounes » au nom de son fils décédé. Les activités de l'association qui a pour vocation, selon son fondateur, « de venir en aide aux personnes nécessiteuses » sont diffusées par Nessma TV en prime time. Membre fondateur de Nidaa Tounes en 2012, Nabil Karoui quitte le parti en 2017. Il crée son propre parti Qalb Tounes (Au cœur de la Tunisie), dont l'annonce est parue au journal officiel le 21 juin 2019. En juin 2019, il annonce sa candidature à l'élection présidentielle. Il est rapidement donné en tête par la plupart des sondages. Le 18 juin, des amendements controversés, accusés de barrer la route à Karoui et Olfa Terras (3Aich Tounsi), sont adoptés par l'Assemblée des représentants du peuple. Les amendements interdisent ainsi la candidature de personnes ayant fait des dons à la population, bénéficié de financements étrangers ou de publicité politique au cours des douze mois précédant une élection, ou possédant un casier judiciaire. Il est arrêté le 23 août, à la suite d'un mandat émis par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Tunis. Malgré son arrestation, sa candidature est maintenue, n'ayant pas été à ce jour condamné par la justice, ni privé de ses droits civiques. Toutefois, la partie ne s'annonce pas aisée. Karoui devra se battre sur deux fonts; Celui de la justice pour tenter d'arracher sa libération, voire son blanchiment, et celui, non moins épineux au vu de l'adversaire, du palais de Carthage, que le candidat Kais Saied a d'ores et déjà promis de ne pas habiter.