La Cour des comptes a récemment publié un rapport accablant sur l'inefficacité des programmes de l'Agence Nationale de lutte contre l'analphabétisme, (ANLCA) soulignant leur impact limité malgré l'importante somme de près de 2,971 millions de dirhams allouée à ces projets depuis 2015, jusqu'à la fin de l'année 2023. Le rapport fait état d'un constat alarmant : malgré les efforts fournis, les résultats escomptés en matière de lutte contre l'analphabétisme restent insatisfaisants. Le taux d'analphabétisme reste élevé parmi les plus de 15 ans, avec plus de 9 millions de personnes touchées en 2021, soit un taux avoisinant 34,2 %, bien que celui-ci ait baissé par rapport aux 47,7 % enregistrés en 2004. Quant aux stratégies mises en place, le rapport met en lumière une succession de plans nationaux qui, depuis 2004, ont été marqués par une réduction progressive des objectifs à atteindre et des retards répétés dans les délais. L'objectif d'éradication quasi totale de l'analphabétisme, fixé pour 2015 dans le cadre de la stratégie de lutte contre l'analphabétisme et l'éducation non formelle, a été repoussé à 2029, suivant la feuille de route adoptée par l'agence en 2023. Le rapport critique également le manque d'adaptation des plans stratégiques aux réalités territoriales. Il souligne que les programmes de lutte contre l'analphabétisme n'ont pas intégré de plans régionaux adaptés, ignorant les disparités entre régions et ne tenant pas compte des spécificités culturelles et sociales locales. Selon la Cour des comptes, le manque de prise en compte des différences régionales empêche une mise en œuvre efficace des projets. En ce qui concerne le financement, l'État est resté la principale source de financement, représentant près de 84 % des ressources de l'agence de 2015 à 2023. Cependant, les contributions d'autres acteurs comme l'Union européenne (4 %) et les conseils régionaux (14,962 %) restent marginales. Aussi, le rapport de la Cour des comptes indique que l'agence n'a pas été en mesure de réaliser une gestion optimale de ses fonds, avec des taux de performance faibles, ne dépassant pas une moyenne de 29 % des dépenses engagées entre 2015 et 2022. Cette situation est en grande partie attribuée aux retards dans la soumission des justificatifs financiers par les organisations de la société civile partenaires. Cela a conduit à l'accumulation d'une dette de plus de 584,58 millions de dirhams en 2022, représentant environ 63 % du total des crédits de paiement programmés pour la même année. Une autre lacune majeure soulevée par le rapport concerne l'absence de système de classification des associations spécialisées dans la lutte contre l'analphabétisme. Le rapport estime que ce manque de catégorisation empêche une évaluation rigoureuse des performances des partenaires et nuit à la sélection d'organisations capables d'assurer une formation de qualité. Le rapport révèle également une situation alarmante concernant les infrastructures de formation. De nombreux lieux de formation sont inappropriés, allant de simples appartements à des maisons résidentielles, avec une organisation minimale des espaces. Les espaces publics réservés à la formation ne représentaient que 18 % des locaux utilisés pour les cours en 2022/2023. Les taux de présence des bénéficiaires sont également préoccupants. En moyenne, seuls 40 % des participants se sont rendus en classe. Cette situation a été observée dans un échantillon de 14.263 classes réparties sur 52 préfectures et provinces. Par ailleurs, bien que des programmes éducatifs aient été mis en place en 2009, l'agence n'a pas encore publié de versions révisées de ces programmes, ni pris de décisions sur les modifications nécessaires pour répondre aux défis actuels, notamment en matière de compétences, d'objectifs et de contenus. La lenteur dans l'adaptation de l'offre de formation aux besoins spécifiques des groupes cibles reste un frein majeur, avec des taux de présence des bénéficiaires ne dépassant pas 96,43 % entre 2019 et 2022, ce qui risque d'altérer l'impact des efforts déployés. Face à ce constat, la Cour des comptes recommande de renforcer la coopération entre l'État et l'agence à travers un contrat-programme bien défini, avec des objectifs clairs et un calendrier précis. Elle appelle également à une révision en profondeur des programmes scolaires et pédagogiques, en impliquant des experts pour adapter l'offre de formation aux besoins spécifiques des groupes cibles, notamment les personnes en situation de précarité, les jeunes, les détenus, ou encore les parents au chômage.