Au Maroc, la place de la femme dans la société, ses droits, sont toujours discutés en 2021. Si des avancées ont été faites ces 20 dernières années, la femme Marocaine se bat toujours pour obtenir des droits égaux aux hommes dans une société encore fortement inégalitaire et patriarcale. Mais le Nouveau modèle de développement lancé par le Roi Mohammed VI arrive avec un souffle prometteur qui devrait consacrer le rôle central de la femme au Maroc. Analyse avec Abdessalam Jaldi, expert relations internationales et en transitions maghrébines au Policy Center for the New South (PCNS). Si la femme marocaine a réussi à s'émanciper ces trente dernières années, et ses droits ont été consacrés dans la Constitution de 2011 de façon à lui procurer les mêmes droits et la même valeur que l'homme, dans la pratique, les lois et les mentalités restent discriminatoires. La femme marocaine n'a toujours pas le droit de disposer de son corps vis à vis du législateur, elle n'en pas pas droit dans l'espace public non plus. La femme marocaine, qui travaille autant que ses frères, et a peu à peu repris leur rôle traditionnel de soutien financier, n'a toujours pas le droit à une succession équitable. Acculée au travail mais aussi par le travail domestique, des tâches qui, selon l'imaginaire collectif lui incombent à elle seule, la femme marocaine se retrouve à fournir 7 fois plus de travail que l'homme marocain, selon un rapport de l'ONU Femme, bien plus que la moyenne mondiale estimée à 4 fois plus de travail comparé à l'homme. Dans la société, la femme marocaine se retrouve toujours prisonnière de son image réduite à celle de mère et d'épouse, alors qu'elle existe avant tout en tant qu'un être humain à part entière. Dans son rôlé de mère, elle doit jongler entre un congé de maternité court et une nécessité de payer pour faire garder ses enfants car la nouvelle génération de grand-mères sont elles aussi actives. Aujourd'hui, les femmes marocaines subissent encore plus d'injustices, depuis qu'elles sont plus nombreuses à travailler, à être des cheffes de familles mononucléaires, venant en aide à leur famille, alors qu'elles touchent encore de plus bas salaires que les hommes pour le même nombre d'années d'études et le même travail fourni. Victimes de préjugés, de discriminations, et de violences dans l'espace privé et public, les femmes malgré tout, continuent de s'émanciper, de s'autonomiser et de contribuer activement à l'essor économique du pays en dépit des freins juridiques et sociétaux qui sont appelés à changer. Hespress FR: Selon vous, quelles sont les principales causes de la vulnérabilité des femmes dans la société marocaine aujourd'hui ? Abdessalam Jaldi: Les principales causes sont d'une part juridiques, conséquentes aux insuffisances des textes juridiques protecteurs des droits des femmes, et d'autre part sociétales, relatives à la perception de la femme dans l'imaginaire collectif marocain, exacerbant les inadéquations entre les mutations sociales que traversent la société marocaine et les lois en vigueur. S'agissant des lacunes juridiques, on notera que les textes juridiques adoptés depuis 2004 ne correspondent pas parfaitement aux normes internationales en vigueur, à l'exemple de la loi 103-13 relative aux violences faites aux femmes qui a défrayée la chronique, tellement elle a été considérée par un grand nombre d'observateurs comme une loi au-dessous des standards juridiques internationaux en vigueur. Et aux limites des textes juridiques, se superposent les stéréotypes sociétaux dans la mesure où la femme est considérée d'abord à travers son rôle de mère ou d'épouse, tandis que sa capacité et son droit à participer à la création de la richesse ne lui sont pas pleinement reconnus. Il y aurait donc une nécessité d'agir sur à la fois sur le terrain de l'inclusion par la poursuite des réformes juridiques protectrices des droits des femmes et de leurs libertés, que sur la répartition des rôles dans la société, ce qui suppose de refonder notre système de relations sociales. Est-ce que toutes les femmes marocaines sont vulnérables ? Quels niveaux de vulnérabilité distinguez-vous ? Il existe effectivement des degrés de vulnérabilité, aussi bien territoriaux que sociétaux. Renchérissons donc pour dire que depuis 2010, la vulnérabilité est mesurée par un indicateur qui combine les niveaux de privations dans les domaines de la santé, de l'éducation, et du niveau de vie, considérés comme des composantes fondamentales du développement humain selon le PNUD. Partant de cet indice, l'emploi, l'éducation et la santé constituent des axes appropriés de repérage d'une vulnérabilité inter-femmes. Selon les enquêtes du HCP, les femmes et filles en provenance des régions rurales accèdent moins fréquemment aux études supérieures et sont sous représentées dans les emplois salariés du secteur formel de l'économie. Un tel constat est de surcroît confirmé par les indicateurs sanitaires, tellement les taux de mortalité maternelle, très élevés selon les régions, rendent compte d'une forte exposition des femmes aux risques liés à la reproduction. Dans la même veine, les risques de vulnérabilité sont aussi constitutifs des systèmes socio-patriarcaux qui génèrent des situations d'interdépendance. Il en va qu'une remise en cause radicale des structures de domination justifiant les inégalités de genre, ainsi qu'une meilleure prise en compte de l'autonomie économique des femmes, sont indispensables pour remédier à la vulnérabilité dont elles sont confrontées. Cette place occupée par la femme au Maroc est-elle le résultat de schémas sociaux qui ont la peau dure et qui se répercutent sur la législation ? Que faut-il changer en premier ? Le Maroc connait actuellement une profonde transition sociétale, où la nouvelle société marocaine traversée par les bienfaits de la mondialisation, est passée d'une structure traditionnelle de nature patriarcale à une conception sociétale urbanisée, dans laquelle la femme est parvenue progressivement à s'autonomiser par le travail tout en contribuant financièrement à la marche du foyer. La valorisation du statut de la femme dans la société suppose certes de réviser les textes juridiques qui définissent les droits des femmes et encadrent l'égalité homme-femme, tout en renforçant l'autonomie économique, qui bien que loin d'être totalement émancipatrice, assure néanmoins aux femmes des marges de manœuvre, notamment en termes d'autonomie financière, et de libertés plus grandes. Or, la généralisation des quotas dans la politique, les conseils d'administration des entreprises, ou la fonction publique en vue de renforcer la représentativité des femmes, ainsi que de leur faciliter l'accès aux postes de responsabilité, demeure insuffisant pour déconstruire les stéréotypes dont elles sont confrontées. Dans cette perspective, l'éducation citoyenne, en dotant les services des droits des femmes des moyens nécessaires pour promouvoir l'égalité femmes et hommes, ainsi que l'élaboration d'une commune de l'égalité, notamment à l'école, demeure incontournable pour pallier au fléau des discriminations fondées sur le genre. Comment le NMD pourra-t-il (et doit-il) aider les femmes à prendre toute la place qu'elles méritent dans la société ? Le NMD a non seulement reconnu que la femme forme un maillon essentiel dans la dynamique de création de richesses, mais aussi que la résorption des inégalités du genre est en mesure de booster la croissance du PIB. Pour ce faire, la CSMD s'est intéressé, d'abord, à l'axe économique. D'ailleurs, l'un des indicateurs de développement, pour 2035, est le taux d'activité des femmes, que la Commission a tablé à 45%. Ensuite, la CSMD s'est penchée sur l'axe de l'inclusion, concentré sur le besoin de valoriser la femme dans la société. Selon le rapport, cet objectif peut être atteint en offrant aux femmes tout d'abord une meilleure protection sociale au travail, ensuite, par le déploiement d'infrastructures de support, après, par le renforcement de l'entreprenariat féminin formel, et enfin, par la généralisation de la parité salariale. Le NMD souligne, également, le besoin de défendre les libertés individuelles et les droits fondamentaux des femmes, ainsi que de combattre les violences dont elles font l'objet. Ces mesures doivent indispensablement être accompagnées par une révision des textes juridiques afin d'offrir un statut juridique plus juste aux femmes marocaines, convergeant avec le message d'égalité véhiculé par l'article 19 de la Constitution de 2011.