La loi n° 13.21 relative à l'usage licite du cannabis est entrée en vigueur depuis sa publication dans le bulletin officiel. Son application, qui devrait attendre la prochaine saison agricole suscite moult interrogations chez les agriculteurs d'autant plus que les textes réglementaires n'ont pas encore vu le jour. Visant à améliorer la situation socio-économique de la population du Rif, en particulier dans les zones originales comme Ketama, Beni Seddat et Beni Khaled ainsi que les régions nouvellement investies par cette culture notamment Taounat, Ouazzane et Laarache, etc., cette loi risque de créer des problèmes inattendus et pour cause. Le manque de communication des acteurs politiques et l'existence de beaucoup d'amalgames et d'ambigüités qui risque de créer des réticences du côté des agriculteurs. Interpellé à ce propos, le président de la Ligue des monts du Rif, Mohammed Aabbout, a expliqué que « les textes réglementaires devraient fixer la zone géographique concernée, étendre les prérogatives des coopératives, organiser la relation entre l'agriculteur et la coopérative et la relation de celle-ci avec la société ». Ces textes doivent également organiser la chaîne de production entre le fellah producteur, la coopérative qui fait de l'agrégation et la société qui fait la transformation industrielle, explique-t-il. L'obligation d'adhérer à une coopérative Selon lui, il est obligatoire pour tout fellah qui veut adhérer au projet de faire partie d'une coopérative. Une obligation qui se heurte avec l'absence de la clarté du statut juridique des terres. « Nous avons beaucoup de problèmes comme celui des terres, nous avons revendiqué la régularisation de cette situation, car la plupart des fellahs n'ont pas de titre de propriété et ne peuvent donc faire partie d'une coopérative, car il doit avoir une terre en sa possession », explique l'acteur associatif. « Il y a des terres collectives (Joumouâ) et des terres appartenant aux Eaux et forêts (domaines de l'Etat ou du Makhzen) à hauteur de près de 80% ». Autant dire l'ampleur de ce problème qui dure depuis des décennies. « Il y a un vieux conflit autour de ces terres, les fellahs les exploitent depuis des années et ne cessent d'étendre leurs exploitations, mais le Haut-commissariat aux eaux et forêts considère que ces terres lui appartiennent », affirme notre source, notant que « parmi les revendications les plus importantes des fellahs, il y a celle de la régularisation de la situation des terrains ». Des semences importées L'autre problème de taille concernant la mise en œuvre du projet d'usage licite de cannabis est en relation avec les variétés qui seront cultivées. Pendant que les fellahs, surtout ceux des zones historiques (Ketama, Beni Seddat et Beni Khaled) tiennent à la variété Beldia qui fait leur fierté et qui représente un gage de prospérité pour eux au vu de sa valeur sur la bourse de cannabis, ils seront ramenés à exploiter de nouvelles variétés importées. « On va importer de nouvelles semences que les sociétés vont mettre à la disposition des coopératives. Celles-ci vont faire de la distribution au profit des fellahs en fonction de l'exploitation de chaque fellah », indique Mohammed Aabbout. Selon lui, les paramètres du marché ne seront pas les mêmes. La fameuse loi de l'offre : « chaque offre crée sa propre demande » de Jean-Baptiste Say cèdera la place à une loi dictée par les sociétés. « Normalement, les semences vont être importées en fonction de la demande. Il faut qu'il ait une demande avant qu'il ait production », explique Mohammed Aabbout qui a eu des entretiens avec la plupart des groupes parlementaires ayant participé au débat. « Il ne va pas y avoir production avec une offre sur le marché, mais plutôt une demande qui détermine l'offre », tire-t-il au clair en ajoutant que de nouvelles semences méconnues par les agriculteurs seront donc importées. Des variétés méconnues A la différence des variétés connues par les agriculteurs, le chanvre qui sera produit contient plus de CBD (cannabidiol) que de THC (tétrahydrocannabinol) contrairement aux variétés classiques, affirme-t-il, parce que CBD est beaucoup plus demandé en termes de production des médicaments. Ce qui laisse à craindre davantage de réticences de la part des agriculteurs, c'est qu'en plus de toutes ces ambiguïtés, la plupart des fellahs ne savent qu'ils vont cultiver un chanvre autre que le Kif. « On a essayé de communiquer avec les gens, mais la plupart n'ont pas conscience de ce qui les attend », tient à souligner notre acteur associatif. D'après lui, il y a eu beaucoup de réactions de la part des fellahs depuis l'adoption de la loi sur l'usage licite du cannabis. « Ce sera du cannabis, mais avec de nouvelles variétés », a-t-il essayé de nuancer. Une trentaine de nouvelles variétés pourraient entrer en service. « Celles-ci n'ont rien à voir avec les six variétés qui sont connues et utilisées dans la région comme la Beldia (la plante originelle), à laquelle les gens du Rif tiennent beaucoup parce que sa qualité est assez particulière et elle n'est nulle part ailleurs de par le monde, il y a aussi Khardala et Pakistana et les variétés modifiées génétiquement comme Amnésia et Crikital 99 », explique le président de la Ligue des monts du Rif. « Les fellahs ne font pas confiance aux autres variétés, car la demande est assez importante et solide pour la Beldia sur la bourse des cannabis », souligne cet acteur qui connait bien la région et ses particularités. Notons que les variétés de cannabis thérapeutique et médicinal devant faire leur entrée en service dès l'entame de la prochaine saison agricole sont essentiellement produites par des sociétés étasuniennes et israéliennes et que des sociétés israéliennes devraient y investir. Ce qui risque d'irriter davantage les Rifains.