Dans cet entretien, Nabil Saouaf, directeur de la Fédération Marocaine de Plasturgie nous explique certaines réalités latentes qui porteraient réellement préjudice au secteur avec des retombées très néfastes. Les propos. DR-Hespress Hespress FR : Comment s'en sort le secteur de la plasturgie en ces temps de pandémie ? Nabil Saouaf : Le secteur de la plasturgie étant transversal et diversifié, il y a des filières qui ont été très touchées au moment même où d'autres sous-secteurs ont connu un développement exceptionnel avec la crise sanitaire. Au Maroc, le secteur a donc été fortement impacté à travers des filières qui sont en étroite relation avec le consommateur direct ou avec le domaine touristique qui pâtit énormément. A contrario, d'autres sous-secteurs se sont développés d'une manière intéressante au point d'ouvrir de nouvelles niches pour la plasturgie marocaine. A titre d'exemple, tout ce qui est non tissé, bavettes, masques, pièces techniques pour les respirateurs, emballages pour les solutions et gels hydro alcooliques ainsi que les produits développés pour le médical au Maroc pour le test anti-corona. D'ailleurs, à ce sujet, il faut savoir que pour l'emballage en plastique de l'écouvillon par exemple, nous avons aujourd'hui une entreprise qui les produit localement. Donc il s'agit d'une production nationale qui n'existait pas avant la Covid. Mais encore ? N.S : Il faut savoir que c'est la conjoncture qui a troublé la donne. De par le monde, la plasturgie était toujours traitée de pollueur, mais « grâce » à la pandémie, nous avons trouvé les avantages du plastique. Aujourd'hui, au niveau mondial, l'on est en train de changer même la vision et le positionnement par rapport à l'industrie plastique. Preuve en est, l'on parle de gestion de fin de vie des produits plutôt que d'interdiction de produits plastiques. Force est de constater aussi que le produit mono usage, que des instances nationales voulaient interdire par le passé, est celui maintenant qui a réduit fortement le nombre des contaminés, car l'on privilégie l'utilisation des couverts en plastique qui sont prêts par la suite à être recyclés ou valorisés énergétiquement. A ce sujet, des ménagères se plaignent de la disparition des sachets en plastique et ressentent au quotidien le désagrément avec ceux en tissu, jugés non praticables pour elles. Qu'en pensez-vous ? N.S: Cette mesure prise en 2016 a constitué une source de malheurs non pas que pour les maîtresses du foyer dans leurs tâches quotidiennes, mais pour les personnes qui ont été mises sur le pavé à cette période (perte de 50.000 emplois formels et 150.000 informels, ndlr) et les autres qui n'ont pas forcément les moyens d'acheter quotidiennement et sachets en tissu pour les courses et sachets pour les ordures...Ce qui engendre un impact social et économique assurément... Côté chiffres, pouvez-vous nous présenter votre secteur ? N.S: En 2020, le secteur a généré un chiffre d'affaires qui s'éloigne des 24,1 milliards enregistrés en 2019. Déjà, il faut savoir qu'on venait à peine de sortir de la crise de l'interdiction des sacs plastiques pour retomber dans une crise sanitaire de niveau planétaire. Sinon, nous tablons à l'horizon 2025 pour un secteur, qui emploie 75.000 personnes sans compter les emplois indirects, de réaliser un chiffre d'affaires de plus de 30 milliards de dirhams. Un secteur indispensable aux autres industries Quelles sont vos pistes de relance post-COVID pour justement atteindre cette perspective ? N.S: En premier lieu, il s'agit de la souveraineté nationale. En d'autres termes, il faudrait qu'on puisse avoir une souveraineté nationale industrielle de la plasturgie et qu'on développe l'investissement plasturgie au Maroc. De cette façon, le pays, quoi qu'il advienne et dans n'importe quelle condition, ne sera pas obligé d'arrêter telle industrie ou telle production. Et là je fais référence à certains éléments plastiques dont le Maroc avait besoin pour continuer à exporter les produits de l'automobile. Le royaume a finalement arrêté la production pendant 3-4 mois car il fallait importer des produits de l'étranger et d'un autre côté, il y a des produits que normalement on pourrait développer et qu'on pourrait substituer à l'importation par une production nationale. Il suffit juste d'analyser l'environnement d'échanges de ces produits… Autre bémol, le pays fait le choix d'importer des produits alors que les mêmes sont réalisés localement ! Il y a une certaine préférence nationale, une préférence dans les accords de libre-échange (ALE) et d'où est-ce que ces produits proviennent. Parce qu'au bout du compte, il y a une mauvaise régulation des échanges qui fait que dans les pays exportateurs, ils sont subventionnés ou soutenus par leur pays. Et là je parle de certains ALE et notamment celui avec la Turquie. Ce dernier n'est pas en notre faveur pour l'instant alors qu'il faudrait qu'on soit sur le même pied d'égalité de part et d'autres. Pouvez-vous être plus explicite ? N.S: En clair, si nos produits étaient subventionnés et soutenus de la même façon que les produits turcs ont été subventionnés pour rentrer au Maroc, on serait kif kif. On ne demande pas à être favorisé mais d'avoir le même traitement... Il y a aussi la préférence nationale sur la question des marchés publics. Aujourd'hui, ces derniers ne sont pas attribués au produit fabriqué localement mais au produit fourni localement. Et le fournisseur peut être, bien entendu, un industriel et c'est rare mais il peut être aussi un importateur. Il s'agit là d'une faille énorme qui tend la perche à des opérateurs pour ouvrir un bureau ici au Maroc afin de pouvoir ensuite importer n'importe quel produit et du coup, postuler pour des marchés publics en étant un fournisseur marocain ! Il peut bénéficier ainsi de la préférence nationale !! Un engagement et politique et économique est requis pour pouvoir changer cette situation, soit dit en passant, inexistante dans d'autres pays... Avez-vous d'autres propositions pour une meilleure reprise après crise ? N.S: Il y a un point important et non des moindres et ce serait un levier primordial pour la relance du secteur. Concrètement, cela concerne le fait de ne soutenir que les produits marocains pour tout ce qui est subvention à l'agriculture. Par exemple, un produit destiné à l'agriculture et qui provient de l'étranger est subventionné de la même façon qu'un produit national destiné aussi au domaine agricole. En évoquant la subvention, je fais allusion aux aides du trésor public marocain qui subventionne l'industrie étrangère. C'est ainsi une situation anormale et ça n'est ni en faveur de la production nationale ni de l'économie nationale. Aussi, notre secteur connaît une anomalie au niveau de la fiscalité. Je prends pour exemple les produits finis qui ne paient pas la TVA à l'importation car ils sont considérés en tant que produits destinés à l'agriculture. Nous en tant que profession, l'on avait demandé à ce que tous les produits paient la TVA et au bénéficiaire finale, en l'occurrence l'agriculteur, de demander le remboursement de la TVA. De fait, il y aura plus de régulation, et l'Etat est capable de suivre la consommation de chaque agriculteur et en fonction de la taille de son exploitation, le rembourser sur la TVA sur la base de ces données. Malheureusement, il y a de l'importation sur des produits finis destinés à l'agriculture et qui sont dirigés vers d'autre utilisation comme le bâtiment le jardinage et bien d'autres activités qui ne sont pas éligibles à cette exonération de TVA. In fine, ce qui est en vogue à l'international c'est l'économie circulaire. Aujourd'hui, si on prend l'Espagne ou la France et d'autres pays, ils ont pris ce levier de l'économie circulaire pour favoriser la réutilisation du recyclé dans la substitution de la matière première. D'autant plus que cette année à cause de la Covid, le prix de la matière première a pratiquement triplé pour certaines. Donc le recyclé se prête à la substitution de la matière première et ces Etats étrangers soutiennent la profession Plasturgie pour qu'elle mette une sorte d'économie circulaire dans leur stratégie, soit en la soutenant directement, ou en subventionnant les entreprises qui utilisent le recyclé, ou en mettant en place des organismes, ou en structurant l'économie circulaire de façon à ce que le recyclé bénéficie directement au transformateur pour qu'il soit intégré automatiquement dans la chaine de valeur de transformation des matières premières... C'est un levier exceptionnel qui est de taille et si le Maroc prend le défi de l'économie circulaire, le secteur de la plasturgie ira loin. Secteur, qui est le seul secteur au Maroc à payer une redevance écologique et il n'en profite pas... Par ailleurs, comment vont les préparatifs pour la tenue de votre 9ème édition du forum-exposition international de la plasturgie ? N.S: Les préparatifs vont bon train pour cette édition 100% virtuelle qui sera organisée du 16 au 23 juin 2021 sous l'égide du ministère de l'Industrie, du Commerce, de l'Economie verte et numérique et pour laquelle sont attendus pas moins de 300 décideurs de la profession des plastiques nationaux et internationaux des secteurs public et privé, dont 40 invités internationaux de renom appartenant à 6 pays. La Fédération Marocaine de Plasturgie « F.M.P », en partenariat avec l'AMDIE mobilise ainsi, une nouvelle fois, les décideurs de la filière plastique en leur proposant des séances plénières, 3 panels, plus de 100 plateformes privées personnalisées de BtoB et en présence des Chambres de commerces nationales et étrangères et des CRI du royaume. Ces rencontres seront donc propices pour que les experts de la profession répondent aux interrogations des participants et échangent ensemble leurs expériences quant aux grands enjeux de cette industrie du futur en pleine expansion avec des thématiques telles que : « La relance industrielle post Covid de la plasturgie quels leviers ? », «L'industrie 4.0 en plasturgie », « Le positionnement de la profession », « L'évolution internationale des marchés de matières premières », « Les nouvelles technologies », « L'atout de l'innovation et de la normalisation », ou encore « L'Economie circulaire sectorielle : Les potentialités pour une meilleure relance et pour l'accélération industrielle du secteur »…