La tension sociale monte au sein de Delattre Levivier Maroc. Plus de 500 employés des ateliers et chantiers de l'entreprise spécialisée dans la construction métallique réclament le paiement de leurs salaires et des cotisations sociales. Cela dit, l'entreprise traverse une phase de turbulence et connaît des difficultés financières qui l'ont poussée à lancer une procédure de sauvegarde. Une procédure introduite par la récente réforme du livre V du code de Commerce et qui permet aux entreprises de surmonter leurs difficultés. En décembre 2019, le tribunal de Commerce de Casablanca a affirmé en effet que l'entreprise « n'est pas en mesure de surmonter ses difficultés et de nature à la conduire, dans un avenir proche, à la cessation de paiement ». Une raison valable qui a poussé le tribunal de commerce à lui accorder l'ouverture de la sauvegarde. Bonne nouvelle pour l'entreprise, qui avait avancé comme objectifs, le maintien de l'emploi, le paiement des créanciers et la poursuite de son activité. Si aujourd'hui, l'activité de DLM se poursuit, les employés, eux, ne sont pas payés depuis 4 mois, et il en va de même pour leurs cotisations sociales. Une situation qui se reproduit depuis 2017, affirme l'un des employés de l'entreprise, qui s'est confié à Hespress Fr sous couvert de l'anonymat. « Les salaires sont versés avec 4 mois de retard. Ceux qui ont des traites, voient leur salaire sauter, puisqu'ils ont eu un cumul de 4 mois d'impayés auprès des banques. Aujourd'hui, la plupart n'ont plus rien à manger ni à faire manger à leurs familles, normal puisqu'ils n'ont pas été payés depuis le mois d'août », explique-t-il, soulignant toutefois que les salaires des cadres de DLM (10.000 DHS et plus), eux, sont maintenus et versés régulièrement. En ce qui concerne les cotisations sociales, cet employé qui travaille au sein de DLM depuis 17 ans nous explique que chaque mois l'entreprise prélève les cotisations pour la mutuelle et la CIMR, qu'elle ne paye pas. Cela a été constaté lorsque plusieurs employés ont déposé leurs dossiers médicaux et n'ont jamais reçu de remboursement, de même pour la CIMR, qui a assuré aux employés que l'entreprise ne verse pas de cotisations depuis plusieurs mois. Les poches vides depuis 4 mois, les employés des ateliers et chantiers de DLM ont opté pour l'escalade en organisant plusieurs sit-in devant le siège de l'entreprise à Casablanca, dans l'espoir de percevoir une réaction positive de la part de la direction. Mais en vain ! Le top management du constructeur métallique avance « plusieurs prétextes pour calmer la foule sans pour autant régler la situation« , souligne notre source, tandis que le bureau syndical des employés, lui, est « absent« , affirme-t-elle. Contacté par Hespess Fr, le secrétaire général du bureau syndical de l'Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM) à DLM, a préféré apporter des explications « plus tard ». Après la grogne des salariés le mois précédent, la direction des ressources humaines a procédé au licenciement de plusieurs d'entre eux, précisément ceux ayant participé aux sit-in et grèves ou ayant parlé à la presse, nous affirme notre interlocuteur, qui lui-même vient d'être licencié il y a quelques jours après 17 ans de service. Le motif du licenciement est purement « économique » indique l'entreprise dans un document d'arrêt définitif de travail d'un employé dont Hespress Fr détient une copie, alors que notre source affirme que le motif n'est autre que « la grogne des salariés qui s'est amplifiée et qui a commencé à déranger ». Face à la « politique de sourde oreille adoptée par l'entreprise« , aujourd'hui, les employés en crise en appellent au Roi Mohammed VI, dont ils souhaitent une intervention pour leur rendre justice. Ce que dit DLM à ce sujet Le top management de l'entreprise a finalement répondu à nos nombreuses sollicitations et a apporté sa version des faits concernant le non paiement des salaires à temps, des cotisations sociales, mais aussi en ce qui concerne le malentendu des employés avec le syndicat. Camélia Benabdellah, directeur général adjoint de DLM, nous explique dans un premier temps que « lorsqu'une entreprise fait appel à la procédure de sauvegarde, cela veut dire qu'elle est déjà dans une situation financière et de trésorerie fragile voire compliquée ». « Abstraction faite de cette situation financière que nous vivons depuis près de deux ans, la pandémie Covid-19 nous a été extrêmement préjudiciable dans la mesure où plus de 90% de nos chantiers sont à l'arrêt indépendamment de notre volonté », poursuit la responsable. Et d'ajouter: « Dans notre domaine d'activité, nous facturons sur la base d'attachements (Réalisation de travaux), si nos chantiers sont à l'arrêt et que nous ne travaillons pas, il n y a pas d'attachement et donc pas de facturation et par conséquent pas d'argent pour notre trésorerie. La majeure partie de nos collaborateurs sont totalement conscients de notre situation et de toute la bonne foi dont nous faisons preuve au quotidien pour leur épargner de vivre dans la précarité ». Et ceci, dit-elle, « est loin d'être subjectif, il est prouvé par l'engagement de plus de 99% de nos collaboratrices et collaborateurs, qui malgré le retard de paie, sont toujours là, engagés, et prêts à relever ensemble cette entreprise « . Raison pour laquelle notre interlocutrice infirme les propos de nos sources comme quoi les cadres sont payés et non les ouvriers, « surtout lorsque cela vient d'une infime partie de nos salariés, qui n'ont d'autre objectif que de nuire à la réputation de l'entreprise ». Si ça avait été le cas, assure Camélia Benabdellah, « ce ne sont pas quelques collaborateurs, comptés sur le bout des doigts, qui seraient venus le réclamer mais bien les 630 personnes qui nous font confiance et qui savent que depuis le début de notre crise financière, les ouvriers sont toujours payés en priorité, suivis des employés et techniciens, suivis des cadres et enfin les membres du Comex ». Et contrairement aux personnes qui affirment ces « monstruosités« , dit-elle, les dirigeants de DLM ont des preuves. Comme indiqué précédemment, la DG adjoint de DLM indique que l'entreprise travaille sur des chantiers, que ces derniers sont fermés, que la solution de facilité aurait été de faire des licenciements économiques de masse, mais que l'entreprise a fait le choix de préserver le maximum d'emplois au dépens d'une trésorerie qui se voit encore plus fragilisée aujourd'hui. « Je peux comprendre la colère des collaborateurs lorsqu'ils ne sont pas payés à temps car eux également ont des engagements qu'ils n'arrivent pas à honorer, mais je ne peux pas accepter le mensonge et la mauvaise foi car non seulement cela nuit à notre image, mais surtout peut altérer tous les efforts que nous menons depuis des mois avec l'ensemble des collaborateurs, le top management et les partenaires sociaux pour remettre DLM à flot et être en mesure de préserver l'emploi », avance-t-elle. Concernant le non paiement des cotisations, notre interlocutrice nous répond qu'une crise est systémique. Par conséquent les impacts sont en cascade sur l'ensemble de la chaîne de valeur et ne touchent pas que la paie des collaborateurs mais bien d'autres fournisseurs et forcément des partenaires aussi stratégiques et importants que la CNSS, la mutuelle ou autres. « Nous sommes en contact quasi permanent avec nos partenaires sociaux (CNSS, Mutuelle...) pour trouver des accords, honorer nos engagements et ne pas bloquer les prestations pour nos collaborateurs. Il est impératif de bien comprendre que nous avons une pleine conscience des difficultés de nos collaborateurs. Nous avons un seul objectif : sauver les emplois pour sauver des familles. La procédure de sauvegarde nous permet de travailler plus sereinement sur ces sujets et trouver des accords gagnant-gagnant pour tous » affirme la responsable. Pour ce qui est de la vague de licenciements observée récemment au sein de DLM et que nos sources qualifient de vengeance envers les protestataires et non un licenciement économique, notre interlocutrice affirme de son côté que DLM respecte le droit de protester et ne pourra jamais appliquer des représailles aux protestataires. »Notre société est parmi les premières à avoir signé une convention collective pour protéger les droits de ses salariés, y compris le droit de grève. La porte du siège a toujours été grande ouverte à tout collaborateur ayant la moindre réclamation. De plus, qu'il y ait un plan de licenciement économique dans notre situation actuelle ne doit surprendre personne. Et pourtant, même celui qui était prévu avant la pandémie a été mis en stand by pour justement éviter à nos collaborateurs la situation précaire que vivent toutes les personnes qui ont perdu leur emploi pendant cette période », explique-t-elle. Les licenciements observés font tout simplement partie de la vie d'une entreprise, qui essaie de rester en vie malgré que 90% de son activité est à l'arrêt, précise la directrice adjoint de DLM. « Le lien fait avec la presse n'existe pas et ce, pour deux raisons : la première est que nous avons toujours respecté le droit d'expression et la deuxième est que si c'était le cas, et comme nous ne connaissons pas l'identité des personnes qui ont fait appel à la presse, ces licenciements devaient donc toucher tous les protestataires », ajoute-t-elle dans ce sens, tout en précisant que cette vague de licenciements a également touché des cadres du siège qui sont bien loin de toutes ces manifestations mais dont le poste aujourd'hui ne peut être maintenu. Pour le sujet du bureau syndical, la DG adjoint à DLM précise dans un premier temps que «l'ensemble des centrales syndicales au Maroc, comme ailleurs dans le monde, ont fait preuve d'un très grand sens de la responsabilité pendant cette période et ont fourni tous les efforts nécessaires pour maintenir un certain équilibre économique, sans lesquels la tension sociale aurait été bien plus importante ». Sur ce point, Camélia Benabdellah conclut que le « bureau syndical en a simplement fait de même, défendant ainsi quotidiennement les droits des collègues tout en tenant compte de la situation de DLM», dans ce qu'elle a qualifié de «responsabilité et d'intelligence situationnelle ».