La pandémie du coronavirus restera un élément catalyseur qui aura révélé l'extrême vulnérabilité de la mondialisation. Fathallah Oualalou, ancien ministre des finances et de l'économie du Maroc, professeur d'économie et auteur de plusieurs ouvrages sur la mondialisation a analysé, sous tous ses angles, l'impact de cette pandémie -aussi soudaine que violente- sur la mondialisation. Selon Oualalou, Senior Fellow au Policy Center for the New South, cette crise est considérée comme une évaluation de la réputation de la mondialisation et du monde au regard des efforts consentis pour gérer la crise sanitaire. Ces événements feront une référence dans la construction d'un système multilatéral, et la mondialisation doit préparer des réponses pour faire face aux transformations qui résultent de cette période critique dans les secteurs économique, géopolitique et sociétal. Les Etats devront s'endetter pour financer leurs plans de relance économique, en considérant les nouvelles contraintes des politiques publiques à revenir sur les normes orthodoxes de la macroéconomie, estime-t-il, notant que sur le niveau global, la crise a renforcé la régionalisation et a brisé cette chaîne de valeur qui favorisait le processus de délocalisation industrielle en faveur de l'Asie Ainsi Fathallah Oualalou introduit son analyse en affirmant que « la réputation, concept majeur s'il en est, est un indicateur de l'estime accordée à une personne physique mais aussi à une entreprise ou encore à une entité étatique. Constituée d'une somme de perceptions, elle est la résultante globale de l'ensemble d'images, d'appréciations des actions et comportements de celles-ci ». Ainsi, la bonne réputation d'un gouvernement est déterminée et mesurée par son aptitude à faire face aux épreuves que traverse le pays, à affronter les bouleversements qui le secouent et à gérer les sorties de crise, ajoute l'expert, faisant remarquer qu'à l'échelle des relations internationales – notamment en cette phase de globalisation avancée –, la réputation d'un pays donne une image sur sa capacité à rayonner au niveau de sa région, voire au-delà, et à s'adapter aux chamboulements de la mondialisation. La crise de la Covid-19, qui s'est produite à la fin de la deuxième décennie du siècle, reflète, par sa gravité, la vulnérabilité de cette mondialisation. Survenant après les chocs, géopolitique du 11 septembre 2001, et économique, de la crise de 2008, elle a révélé au grand jour l'incertitude et l'imprévisibilité du monde actuel, devenues des constantes, dit-il. Et de souligner qu'elle a contraint les pouvoirs publics à choisir la sauvegarde des vies humaines – imposant le confinement de plus de 4 milliards de personnes – au détriment de l'économique. Qui s'est effondré. Et qu'il faut aujourd'hui aider à se relever. Les Etats se trouvent, de ce fait, aujourd'hui mobilisés sur plusieurs fronts à la fois : le front sanitaire et avec lui les exigences de la protection sociale de tous et le front économique pour la relance de la machine. D'où, relève l'universtaire, la sidération qu'ont connue tous les pays, quels que soient leur niveau de développement ou encore le mode de fonctionnement de leurs systèmes politico-économiques. La crise de la Covid-19 marque ainsi une rupture, pour ne pas dire une fracture, dans l'évolution du monde. Le monde de demain sera, à n'en pas douter, différent de celui de l'avant -Coronavirus. Le Maroc, la Covid-19 : capitaliser sur la « bonne réputation » La crise de la Covid-19 est une grande épreuve et, comme toute épreuve, elle accouche d'une grande opportunité, et le Maroc a été certainement parmi les pays en développement qui ont le mieux géré les conséquences de la pandémie, rappelle Fathallah Oualalou, qui fait observer qu'un véritable combat a été mené, avec l'adhésion de toute la population confiante dans l'action menée par l'Etat. Il s'agit, maintenant, de capitaliser sur la bonne réputation acquise par le pays pour négocier le virage post-Covid-19. Pour lui, la mise en place d'un nouveau modèle de développement sera certainement enrichie par les leçons qu'on doit tirer de cette crise sanitaire et des conséquences du confinement. Au Maroc, la recherche de l'efficience doit passer, comme partout dans le monde, par une approche de solidarité, met en avant l'ancien ministre. Surtout, poursuit-il, la capitalisation sur la réputation acquise doit conduire le pays à améliorer sa capacité à négocier avec les bouleversements attendus de la mondialisation à travers trois orientations : 1. Participer à la promotion d'un nouveau pôle régional qui regrouperait l'Afrique et l'Europe et consacrerait une nouvelle centralité dynamique de la Méditerranée. Pour cela, le Maroc devra améliorer son attractivité pour tirer profit des mouvements de relocalisation et de re-régionalisation des activités économiques. Malgré les contraintes géopolitiques, le Maroc n'abandonnera jamais le projet maghrébin, nécessaire aujourd'hui pour les pays de la région, mais aussi pour l'Afrique, l'Europe et la Méditerranée. Cette dynamique régionale doit être fondée sur une rénovation du partenariat euro-méditerranéen qui doit dépasser ses propres limites et s'ouvrir sur une logique de coproduction et de gestion commune des problématiques développement-migration-sécurité. Cela permettra à l'Europe, étant donné son avancée technologique, et à l'Afrique, avec ses potentialités démographiques et son apport culturel, de participer à créer un nouveau pôle AME dans le cadre d'une multipolarité mieux partagée. Le Maroc doit continuer à renforcer son ancrage en Afrique, en consolidant ses actions en faveur du développement alimentaire (grâce aux phosphates), de l'électrification, de la diversification du tissu productif et participer à la promotion de la Zone de Libre- Echange continentale africaine (ZLECA). Grâce aux initiatives royales, le Maroc a su lier la gestion de la crise sanitaire à une approche de partenariat Sud-Sud avec les pays subsahariens. 2. S'ouvrir sur les espaces lointains en vue de diversifier les échanges extérieurs avec les deux Amériques : celle du nord, la première puissance économique et géopolitique du monde, et celle du sud, dans le cadre d'un triangle stratégique Europe-Afrique- Amérique Latine, et avec l'Asie et toutes ses composantes, en tenant compte du rôle essentiel de la Chine qui propose à notre région de coopérer avec son initiative « La ceinture et la route ». 3. La maîtrise des rapports avec la proximité et avec les espaces lointains permettra au Maroc d'adhérer à la dynamique de la révolution technologique du XXIème siècle, représentée par le numérique et l'IA, en rapport avec l'avènement d'un nouveau modèle de développement et la réalisation des réformes nécessaires dans le domaine de l'éducation et de la formation.