En 2011, naissait dans le monde arabe un mouvement social, dénommé plus tard « le printemps arabe ». En Algérie, Tunisie, Egypte ainsi que la Libye, cette onde de choc a fait chuter des régimes et cueilli plusieurs têtes, notamment le président Tunisien Zine El-Abidine Ben Ali, le président Libyen Mouammar Kadhafi ou encore le président égyptien Housni Moubarak. Le Maroc n'a pas échappé à ce vent de révolte. Il a également connu la naissance d'une fronde sociale en février 2011, qui a été surnommée depuis, « le Mouvement du 20 février ». Des milliers de jeunes, mais aussi des personnes âgées, ont envahi l'espace public notamment à Casablanca pour réclamer de véritables réformes sociales. Le 9 mars 2011, le Roi Mohammed VI annonce une refonte de la Loi fondamentale, votée par référendum le 1er juillet de la même année, et des législatives anticipées ont organisées en novembre 2011 et remportées par le parti de la justice et du développement (PJD). 9 ans après, rien n'a changé Mais qu'en est-il 9 ans après ce mouvement qui a fait bouger la sphère politique au Royaume ? Pour Khadija Ryadi, lauréate 2013 du Prix de l'ONU pour les droits de l'Homme et ex-présidente de l'AMDH, « le mouvement du 20 février est toujours là parmi nous, il existe toujours ». « Le mouvement du 20 février, à savoir son style, sa structure, ses revendications, ses slogans, a fait bouger les choses jusqu'au jour d'aujourd'hui. Et j'étais étonnée de voir des petits élèves faire grève pour protester contre l'heure d'été l'année dernière. Même si ces enfants, qui étaient tout petits à l'époque, ont scandé les mêmes slogans qu'en 2011. Et ça m'a vraiment étonnée. C'est vraiment des choses qui restent vivantes, et voici une nouvelle génération qui est là pour reprendre les mêmes slogans, les mêmes mots d'ordre et les mêmes chants », a-t-elle confié à Hespress Fr. La militante n'a pas manqué d'évoquer la chanson populaire « Ach Chaâb » et dont les auteurs sont en prison, soulignant que l'expression « Ach Chaâb » est un « slogan qui a été créée par le mouvement du 20 février. Et voilà maintenant, une chanson qui porte le même nom et qui est écoutée par des millions de personnes». Photos Mounir Mehimdate « C'est vrai que la structure du 20 février n'existe plus, les réunions de groupe dans les villes et tout… Mais tout ce qu'a créé le mouvement du 20 février est toujours vivant parmi nous. Même les mouvements du Hirak du Rif ou encore de Jerrada, ont scandé les mêmes slogans du 20 février, alors que ces individus n'ont jamais participé au mouvement », argumente-t-elle. Pour la militante le « mouvement du 20 février n'est pas mort, même si on essaie toujours de le tuer, et répéter que c'est fini. Non ce n'est pas fini. Il est encore là, et dans chaque mouvement, on le voit toujours vivant parmi nous ». Interrogée sur les réformes qui ont été faites depuis ce mouvement de protestation, Khadija Ryadi estime « qu'au niveau des revendications directes du mouvement, il y avait une constitution démocratique. Mais on voit bien que ça n'a pas été réalisé. On est devant une constitution qui a encore beaucoup d'aspects négatifs, et qu'on ne peut pas qualifier d'une constitution démocratique ». Cependant, la militante estime qu'il y a « quelques aspects qui ont été réalisés dans la nouvelle constitution notamment celui concernant les droits, la reconnaissance de la langue amazigh », soulignant que cette dernière revendication était « le premier slogan qui a été scandé par le mouvement ». «La langue amazigh a finalement été reconnue, mais pas tout à fait mise en œuvre. Mais elle est tout de même dans la constitution», a-t-elle dit. L'esprit du 20 février toujours vivant « C'est une histoire de lutte qui date de plusieurs années qui a finalement été réalisée et concrétisée par le mouvement. Mais ce qui est important, c'est que la peur a régressé. Les gens sont conscients aujourd'hui que pour améliorer leur situation et avoir ce qu'ils souhaitent, il faut bouger, il faut revendiquer. Le mouvement du 20 février a servi de leçon aux citoyens de revendiquer, crier leurs doléances et occuper la place publique pour faire entendre leur voix », conclut-elle. Même son de cloche du côté du président de l'AMDH, Aziz Ghali. Le militant estime dans sa déclaration à Hespress Fr que « les répliques du mouvement du 20 février persistent, dont le Hirak du Rif, de Zagoura, qui sont de véritables répliques du mouvement du 20 février ». « La chose la plus importante qu'a réalisée le mouvement du 20 février, est qu'il a cassé le mur de la peur qu'avaient les Marocains. Le 20 février a libéré la voix et donné lieu à une vague de protestation et de manifestation au Maroc. Dans n'importe quel sit-in ou manifestation, nous entendons les slogans du 20 février, par exemple liberté, dignité, égalité ... qui sont des slogans du 20 février », a-t-il relevé. Mais malheureusement, la sphère politique n'a pas pu suivre la relance du 20 février, déplore le militant qui estime que « le mouvement du 20 février a apporté une nouvelle constitution, mais les partis politiques n'ont pas cherché à savoir si la constitution a répondu ou pas aux doléances du mouvement 20 février ». Selon Aziz Ghali, « les partis politiques n'ont pas suivi les acquis du 20 février ». Il indique à ce propos que le mouvement « a apporté une nouvelle constitution, mais qui comprend énormément de lois organiques qui devaient organiser les acquis du mouvement du 20 février. Malheureusement, les lois sont sorties, mais elles ne répondaient pas aux normes comme la question de la langue Amazigh. C'est vrai que la reconnaissance de la langue Amazigh comme langue marocaine figure dans la constitution, mais la loi qui l'encadre n'est pas claire ». Toujours dans la critique des partis politiques, Ghali souligne que « les composantes politiques n'ont pas pu aller vers la vraie réalisation de la nouvelle constitution. À titre d'exemple, les lois qui ont vu le jour après le mouvement n'ont pas été à la hauteur des attentes sociales des manifestants ». « Les politiques qui ont été instaurées depuis 2011 à aujourd'hui, n'ont pas été dans l'intérêt du citoyen et du peuple » ajoute le militant donnant comme exemple « la loi-cadre sur l'enseignement, la loi en rapport avec les terres, la loi sur la langue amazighe, les lois 62.17, 63.17, 64.17, la loi sur la grève ... », indique notre interlocuteur. Dans ce sens, le militant indique que « toutes ses lois étaient à l'encontre des revendications du 20 février, ce qui a donné lieu aux arrestations politiques, il n'y a plus de liberté qu'elle soit individuelle ou d'expression ». La question qui se pose, poursuit le président de l'AMDH est : « doit-on attendre encore une fois que la jeunesse descende à la rue pour commencer à remédier aux différents problèmes sociaux et commencer à chercher comment régler le problème ? ». Les acteurs politiques aux abonnés absents « C'est vrai qu'aujourd'hui il y a plusieurs mouvements de protestation au Maroc notamment les enseignants, les médecins, les infirmiers, etc. Mais chaque catégorie envahit la rue de manière individuelle. Alors que le mouvement du 20 février a pu rassembler tout le monde. On est arrivé des fois à 150.000 personnes dans la rue. Donc où est le rôle des acteurs politiques ? L'acteur politique doit normalement anticiper cela », fustige le militant. De plus, selon Ghali, « quand le peuple trouve un acteur politique qui parle de ses problèmes, il n'envahit pas les rues, parce qu'il y a débat sur les affaires et les problèmes qui le touchent. Mais quand l'acteur politique ne fait plus son travail et ne joue plus son rôle, les gens descendent à la rue ». « Aujourd'hui, les partis politiques ne font que se disputer et se renvoyer la balle en cherchant des coalitions, et se préparer pour les élections. Et c'est ce qui nous mène au vide politique. Et la réponse à ce vide politique est de descendre à la rue. À ce moment-là, ses acteurs commenceront à chercher des solutions », ajoute-t-il. Selon le président de l'AMDH, « pour ne pas revivre le mouvement du 20 février, l'acteur politique doit jouer son rôle et faire son travail, et ne pas laisser la place au vide politique ». Interrogé s'il y a eu des progressions 9 ans après le mouvement du 20 février, Ghali estime que « non » donnant ainsi plusieurs exemples concrets. « Prenons le secteur de la Santé à titre d'exemple. Qu'est-ce qui a changé pour le bon sens dans le secteur de la santé depuis 2011 à aujourd'hui ? Rien ! Il y a une pénurie de médecins sans précédent parce que la fonction publique ne les motive plus, les infirmiers aussi, et il y a une privatisation massive du secteur », répond-il. Et le point le plus important qu'a soulevé le militant en guise de conclusions est que « ni les acteurs politiques ni le gouvernement n'ont pu constater que le mouvement du 20 février a ouvert la porte aux revendications. Et ces revendications, soit on va les canaliser et réaliser ce qui est réalisable et programmer les autres revendications sur le temps, ou sinon fermer les yeux et laisser grandir».