Le décès de l'ancien Général de Corps d'Armée, Ahmed Gaid Salah, vice-ministre de la Défense nationale et parallèlement Chef d'état-major de l'Armée nationale populaire (ANP), et l'annonce dans son remplacement éclair, posent plusieurs questions sur la situation dans le pays ébranlé par le mouvement de revendication, le Hirak, depuis février qui ne décolère pas. La mort de Gaid Salah présage-t-elle un changement dans le système algérien? Que faut-il attendre de Said Chengriha? Et quel impact pour le Maroc? Contacté par Hespress FR pour réagir aux récents événements et la situation actuelle en Algérie après la disparition de Gaid Salah, Khalid Chegraoui, professeur d'histoire et d'anthropologie politique, chercheur à l'Institut d'Etudes africaines et directeur du centre d'études sur l'Afrique et le Moyen-Orient, nous livre sa lecture des faits. Il a été à la tête de l'Armée depuis presque deux décennies, cet homme qu'on a commencé à appeler le nouvel « homme fort » d'Algérie, a hérité de cette appellation lorsqu'il a poussé Abdelaziz Bouteflika à démissionner en avril après que le peuple se soit soulevé contre le scénario d'un 5ème mandat qu'il avait soutenu au début. Gaid Salah qui était de tous les chantiers, de toutes les querelles, malgré son âge avancé, a laissé derrière lui un climat d'incertitude en Algérie. Said Chengriha, le visage du changement? Aussitôt Salah décédé, le nouveau président Abdelmadjid Tebboune, a nommé Said Chengriha pour le remplacer par intérim, « un homme assez âgé, lui aussi, donc on est toujours dans la même nomenclature d'un âge qui est dépassé et qui n'est plus demandé par le Hirak, on a toujours pas de jeunes« , a détaillé notre expert. Pour Khalid Chegraoui, la nomination de Said Chengriha soulève plusieurs questions, notamment son rôle, s'il est seulement un porte drapeau avec derrière, d'autres personnages plus importants et plus influents? Combien de temps son intérim va-t-il durer?, selon lui « les intérims peuvent parfois durer« , laissant croire qu'il sera certainement officialisé à cette nouvelle fonction. « Même Gaid Salah quand Bouteflika l'a hissé au pouvoir, c'était juste pour éjecter les généraux Toufik et Tertag et les autres, et après, il s'est imposé en homme fort du pouvoir« , a poursuivi le spécialiste de la question algérienne. « Tout cela explique la complexité du système en Algérie. Certes il y a des hommes à la tête, mais c'est toute une structure, tout un ensemble d'alliances, de réseaux, régionaux, culturels, parfois économiques, avec parfois des ascendances politiques et des appartenances claniques, très difficiles à comprendre« , a-t-il ajouté. Une Algérie incertaine sur son sort Aujourd'hui plus que jamais, le pays se trouve à la croisée des chemins, dans une situation de doute, entre un nouveau président dont les Algériens ne veulent pas entendre parler, des réformes qu'il compte adopter pour apaiser la rue, un Hirak qui ne semble pas ouvert à la négociation, et la mort subite, seulement 4 jours après l'investiture de Tebboune, de celui qui a été la grande figure du pouvoir pendant la transition et qui semble-t-il, prenait beaucoup trop de place. « Le grand problème aujourd'hui, nous dit Khalid Chgraoui, c'est qu'est-ce qui va se passer par la suite. Le Hirak va continuer, parce que la demande dépasse ces faits, que je ne considère pas comme anodins, mais qui sont tout a fait normaux, mort d'un homme… Mais le problème c'est qu'il parait que le système n'arrive pas à lutter et à changer« , puisqu'il reproduit le même schéma en nommant Said Chengriha, cela, contre l'une des revendications premières du Hirak, à savoir, un changement radicale de la classe gouvernante dans un pays majoritairement jeune et gouverné par des vieux. Et le chercheur de détailler: « On amène un homme de l'ancien système, certes pas très connu, mais il suffit de voir son profil, c'est un des combattants de l'armée contre le terrorisme dans la décennie noire, la dizaine obscure. C'est quelqu'un qui a fait presque toute sa carrière à l'ouest (vers les frontières avec le Maroc, ndlr) , donc on est toujours dans la même suite. C'est quelqu'un qui a fait Oran, Béchar, Tindouf, c'est le patron des blindés, c'est l'armée de terre, qui est l'essence même de la stratégie algérienne« . A présent, les prochaines décisions du régime seront décisives pour comprendre l'orientation donnée avec Said Chengriha, et pour notre interlocuteur, il est à se demander quelle place va être donnée aux jeunes officiers que venait de nommer Gaid Salah, et quel sera l'impact sur les anciens officiers du même système qui sont actuellement en prison, que ce soit le général Toufik ou le général Tertag, Abdelghani Hamel et autres. Depuis 1963, il n'y a pas eu de grand changement au niveau de la structure militaire, c'est ce que les Algériens appellent le « système » qu'ils ne cessent de décrier dans les manifestations pro-démocratie. Beaucoup plus complexe qu'on le pense, ce système « n'est pas seulement la question d'un homme ou d'un leadership, c'est beaucoup plus une question de clans et de réseaux. Gaid Salah et son remplaçant ne sont que l'image, les portes drapeaux de tout un clan« , qui devrait sans doute avoir un chef ou plusieurs chefs qui gèrent l'échiquier et qui restent en retrait. D'ailleurs, c'est une caractéristique de l'armée algérienne, surtout lorsqu'il s'agit des têtes pensantes, des hommes clé. « Chez les chefs militaires algériens, depuis Boumediene (à part lui) à maintenant, on n'aime pas trop paraître« , a souligné Khalid Chegraoui. En effet, ils n'accaparent pas les médias, restent plutôt dans l'ombre et utilisent souvent des pseudonymes. « Ils ont gardé ça comme un petit héritage d'un complexe de la décolonisation même si la majorité de ces militaires n'ont jamais été des anti-colonialistes. Ils étaient soit des produits de ce système colonial ou bien ils sont venus après« , a fait remarquer le chercheur au centre d'études africaines. Selon lui, « l'histoire est là pour prouver que presque la majorité d'entre eux n'étaient pas dans l'action. Ils étaient quand-même dans la périphérie mais pas dans l'action. Il y avait beaucoup de civils qui eux, étaient dans l'action et qu'on a sacrifiés après l'indépendance et qu'on sacrifie encore« . Quel impact pour le Maroc? L'année 2019 aura été très intense en événements et génératrice de certains changements qui auront leur impact sur la durée. Une chose est sûre, les Algériens sont en train d'écrire leur histoire en ce moment avec le Hirak qui a bousculé les codes d'un système jusqu'ici imperturbable, impénétrable. Et les choses, risquent bien de connaitre de nouveaux changements, des péripéties, c'est donc une question à suivre en 2020. « On va être un peu perfides« , a plaisanté notre interlocuteur, la mort de Gaid Salah était « plus ou moins attendue« , c'est à dire qu'il devait « faire le sale boulot de la transition et puis à la fin il va être sacrifié ». Ça fait « trop de coïncidences« . Décrivant l'homme, qui, avait semé la zizanie au sein de l'institution militaire, Khalid Chegraoui avance: « Ce n'était pas une lumière ou un grand intelligent, c'était beaucoup plus l'intelligence du blédard, une intelligence instinctive, mais le système est beaucoup plus compliqué que lui et le dépasse de loin« . Maintenant qu'il a été mis au repos forcé et éternel, il est à se demander quelles conséquences aura cet événement sur les relations avec le Maroc, surtout avec un nouveau président qui n'a pas attendu pour déclencher les hostilités. « Ça ne va rien changer, le Maroc est un ennemi utile pour le système algérien. Avec l'arrivée de Said Chengriha, il faut juste voir sa carrière pour comprendre. C'est Béchar, Tindouf et Oran, donc c'est en relation avec le Maroc et pas en terme amical« , a affirmé le politologue. Par ailleurs, l'expert ajoute qu' »en termes de stratégie politique militaire le système algérien a besoin de cet ennemi utile. Chaque pays a besoin d'un ennemi utile mais beaucoup plus pour l'Algérie qui a construit son unité nationale sur deux ennemis utiles, l'un déclaré comme ennemi mais beaucoup plus allié c'est la France, et un autre qu'il clamait comme étant frère mais qui en réalité est l'ennemi utile à cette union et cela, depuis 1963 jusqu'à aujourd'hui ». « La question du Sahara, n'est nullement une question qui importe pour le système algérien, c'est juste une condition à faire éterniser le problème ». L'idée est simple « plus il y a un conflit, plus il y a une peur pour l'unité nationale, plus il y a besoin de cette armée qui doit rester aux aguets », et plus il est nécessaire d'acheter des armes et « s'enrichir de plus en plus, c'est la vache à lait », a-t-il dit, faisant remarquer que « l'Etat algérien est une vache à lait, c'est le seul Etat au monde où les militaires ont leur Etat. Ce n'est pas l'Etat qui a son armée mais le contraire« . « Aucun changement, à mon avis, cela va se compliquer, le climat sera de plus en plus sombre parce qu'on ne saura plus qui est l'interlocuteur…s'il y en a« , a-t-il conclu.