Le Hirak algérien, ce mouvement massif de la population à l'origine de la démission d'Abdelaziz Bouteflika, boucle sa première année ce vendredi. Mais malgré qu'il se soit inscrit dans le temps, les aspirations du peuple restent en suspens. Il est né au moment où le pouvoir algérien poussait Abdelaziz Bouteflika à un 5ème mandat consécutif après 20 ans au pouvoir dont 7 passés dans l'ombre, affaibli par un AVC qui l'a hautement handicapé. Le Hirak, ce mouvement populaire inédit porté par les étudiants a démarré sans leader politique et seulement de la volonté de tout un peuple de mettre fin à la mascarade du pouvoir algérien, a réussi à créer l'impensable en Algérie : mettre fin à un régime présidentiel qui avait l'air d'une monarchie. Et c'est dans un esprit jovial, et patriote que des millions d'Algériens sont sortis dans les rues du pays pour manifester pacifiquement contre un nouveau mandat pour Abdelaziz Bouteflika dont les meetings de campagne se faisaient sans sa présence, mais avec son portrait porté par des militants. Des marches historiques qui ont fait renaître une symbiose entre les Algériens se sont donc tenues plusieurs fois par semaine, avec les mardis consacrés aux étudiants, et les vendredis pour tout le monde, les familles, les jeunes et les moins jeunes. En obtenant le départ d'Abdelaziz Bouteflika, le Hirak s'est senti galvanisé par cet élan jamais connu qui a fait flanché le pouvoir installé dans le pays. Les manifestants, avec leurs slogans ont fait passer des messages clairs aux marionnettistes qui tirent les ficelles du jeu politique et qui ne sont pas mis au-devant de la scène. Il a réussi à mettre derrière les barreaux des personnes qui bénéficiaient d'une immunité parfaite, les généraux Bachir et Tertag, mais aussi le frère de l'ancien président, Said Bouteflika, qui gérait les affaires courantes du pays depuis l'AVC de son frère. Ils sont tous sous le coup de lourdes peines, relève notre interlocuteur. Un système rejeté mais inamovible Mais après une année, la situation semble bloquée, et les doléances des Algériens restent suspendues sans trouver de réponse favorable et cela, malgré les promesses et les mains tendues –seulement orales- vers le Hirak du nouveau président jugé illégitime par le Hirak, Abdelmadjid Tebboune. « Nous sommes à une année du soulèvement qui s'opère en Algérie, principalement de la rue, c'est sûr et certain que ça ne va pas s'arrêter ni aujourd'hui ni demain du moment que ça a continué pendant une année », a affirmé Khalid Chegraoui qui analyse pour Hespress FR la situation dans le pays. « Certes il y a eu pendant certaines périodes quelques essoufflements mais c'est tout à fait normal. Il est tout à fait clair que le pouvoir en place et principalement l'Etat profond en Algérie qui, est beaucoup plus lié au sécuritaire (principalement de l'armée) a misé sur la question du temps et de l'essoufflement du Hirak mais jusqu'à aujourd'hui ça n'a pas réussi », a ajouté le politologue qui estime néanmoins qu'il est difficile, dans le contexte actuel de faire des projections. Pour lui, « les choses plus compliquées qu'on le pense ». Car, nous dit-il, même si Abdelmadjid Tebboune est officiellement le président, le système algérien se trouve beaucoup plus grand que lui. « Il y a eu cette sois disant transition politique qui est toujours mise en place par les militaires avec à sa tête le défunt général Gaid Salah », depuis le début du Hirak et qui devait servir à apaiser la colère de la rue, avance encore Khalid Chegraoui. Mais avec sa mort, « le commun des mortels n'est plus à même de savoir qui contrôle quoi en Algérie », déclare ce spécialiste du Maghreb, qui relève que «les vrais dirigeants ne sont plus en avant. Ils ont mis un civil pour les représenter, en l'occurrence le nouveau président Tebboune, avec un gouvernement plus ou moins lié aux anciens du moment qu'on a pas tellement changé le système ». Pourtant, l'une des premières revendications de la rue reste celle du changement de système. Un idéal difficile à atteindre devant un système invisible et impersonnel. Pas de discussion possible S'il revendique beaucoup de droits et de changements pour l'instauration d'un Etat démocratique civil et non militaire, le Hirak refuse de discuter et s'entête à poursuivre les marches pacifiques. « C'est l'idée même de tous ces soulèvements populaires qu'on a commencé à voir depuis 2011 jusqu'à aujourd'hui. Ce qui se passe en Algérie ne diffère guerre de ce que pas mal de pays ont connu en 2011 ou par la suite », indique notre interlocuteur. « L'Etat profond en Algérie n'est pas allé très loin dans la répression claire et nette. Il a essayé de garder un sang-froid », ajoute-il, faisant remarquer néanmoins qu'il y a eu un certain nombre gens qui ont été brutalisés, des condamnations à la prison. « Il y a pas mal de pression mais il (l'Etat, ndlr) laisse quand même cette rue souffler », estime notre analyste. Affirmant que l'essence même de ces mouvements sociaux c'est de ne pas accepter de hiérarchie et de dialogue, Khalid Chegraoui poursuit en expliquant que la raison de ce rejet est causée par une rupture de la confiance du peuple. « La rue ne fait plus confiance aux leaders politiques », dit-il. Tout en reconnaissant que cela pose le problème d'un leadership, sans possibilité de négociation ou de discussion, le politologue indique que « les gens du Hirak ne veulent pas discuter avec le pouvoir parce qu'ils veulent qu'il disparaisse et ils appellent à ce qu'il y ait une assemblée constituante ». Si le Hirak souffle sa première bougie en 2020, le pouvoir continue de mener sa barque sans tenir compte des aspirations du peuple. « Ils jouent le temps. Voilà déjà une année qui est passée, l'essentiel pour eux, c'est qu'il ne faut pas que ça explose », déclare l'universitaire, avant de conclure: « Ils vont trouver le moyen soit par l'essoufflement de la rue soit par des manipulations économiques et le biais de quelques réformes qui vont paraître positives pour certaines ».