Après le poulet et le bœuf américain, c'est au tour de la viande russe d'investir le marché marocain. Le Royaume vient de donner son feu vert pour l'introduction du bœuf russe sur le marché national, consolidant ainsi les échanges agroalimentaires entre les deux pays. Le Rosselkhoznadzor, Service fédéral de surveillance vétérinaire et phytosanitaire, a indiqué avoir reçu l'accord de son homologue marocain, à savoir l'Office National de la Sécurité Sanitaire et Alimentaire (ONSSA), afin d'exporter le bœuf russe vers le Royaume. L'autorité russe indique dans ce sens que « l'exportation de viande bovine russe peut commencer immédiatement avec des entreprises qui ont déjà passé une inspection par le Service vétérinaire marocain avec un résultat positif« . Tout cela est bien sur papier, surtout lorsqu'on sait que les exportations agricoles du royaume vers la Russie se valorisent à 156 millions de dollars par an, d'autant plus que les Russes sont friands des agrumes marocains (225.000 tonnes exportées en 2017). Par ailleurs, le Rosselkhoznadzor indique que presque toutes les entreprises marocaines du secteur agroalimentaire détiennent une certification « verte », c'est-à-dire sans statut de limitation. Cela signifie que l'établissement peut actuellement exporter les marchandises réglementées dans l'Union douanière sans aucune interdiction ni restriction supplémentaire. Cela est donc un gage de qualité des produits de l'industrie agroalimentaire marocaine auprès du marché russe. En outre, le marché marocain cherche à diversifier les produits qu'il propose à ses consommateurs, notamment en termes de viandes congelées. Mais qu'est-ce qu'on est en train de proposer aux consommateurs locaux exactement ? Tout d'abord, l'on ne devrait pas avoir beaucoup de crainte vis-à-vis des produits agroalimentaires proposés sur le marché national. Selon une source à l'Association Marocaine des Exportateurs (ASMEX), « l'ONSSA valide tous les produits de consommation avant leur entrée sur le sol national et leur distribution pour les consommateurs. Le Maroc est très strict à ce niveau ». L'Office se place ainsi en tant que garde-fou, afin d'éviter qu'un produit quelconque puisse menacer la santé des consommateurs du royaume. Cela est donc un point positif dans cette histoire, surtout que l'on entretient de bonnes relations avec la Russie. Mais il y'a bien d'autres paramètres à prendre en considération. Libre-échange, oui, mais pas sans conditions Le Maroc cherche à développer son économie, que ce soit au sein du continent africain qu'auprès du reste du globe. L'on a multiplié les accords économiques ces dernières années, non pas seulement dans l'agriculture et l'agroalimentaire, qui demeurent toujours le principal contributeur au PIB, mais aussi dans l'industrie, notamment à travers les réalisations du royaume dans l'automobile et l'aéronautique. Cela dit, le Maroc doit bien mettre le point sur la nature des viandes importées. En effet, l'on ne peut pas consommer des viandes sans qu'elles soient halal, c'est-à-dire que les bêtes ont été sacrifiées selon le rite musulman. Dans ce sens, Bouazza Kherrati, président de la Fédération Marocaine des Droits des Consommateurs (FMDC), nous a expliqué que dans le cas des viandes en provenance de l'Argentine, plus grand marché exportateur dans le monde à ce niveau, des experts nationaux sont envoyés sur place pour constater la pratique de l'abattage halal. « La question qui se pose maintenant, est de savoir si ce processus sera adopté pour ce qui est des viandes en provenance de Russie », met en avant notre interlocuteur. Par ailleurs, il faudrait avoir une idée sur la nature des viandes importées. À ce point, l'on ignore tout de leur nature, sauf que c'est de la viande de bœuf. Dispose-t-on des infrastructures nécessaires à la gestion de ce genre de produits ? Les consommateurs marocains devraient être informés de la nature des viandes russes qui seront commercialisées. S'agit-il de viande fraîche ? Congelée ? On ne sait rien à ce niveau pour le moment, car oui, il existe une différence entre ces deux sortes », explique Kherrati. Pour comprendre ce point, il est à savoir que la viande congelée contient des ingrédients qui lui permettent d'être maintenue dans de bonnes conditions de consommation pendant de longue période. Celle-ci est généralement destinée aux militaires, ou pour les bateaux de croisière, ainsi que les établissements de restauration collective (restaurants, hôtels, hôpitaux, écoles, etc.). L'autre problème qui se pose se fait au niveau du pouvoir d'achat des Marocains. Le prix de la viande rouge est actuellement très élevé par rapport au pouvoir d'achat du citoyen lambda. En lui proposant une viande en provenance de l'étranger à un prix moins cher, il n'est que chose normale qu'il se dirige vers celle-ci. Kherrati indique sur ce point que « l'importation de ces viandes pourrait bien être une solution pour combler les besoins en protéines d'origine animale des consommateurs marocains ». Il serait intéressant de se poser la question quant à l'impact de l'importation de ces viandes sur la production nationale. En important un produit de bonne qualité et à prix moindre, ne risque-t-on pas de faire obstacle à la production nationale ? Peut-être bien. Cela ne dépend pas des consommateurs, mais des dirigeants, dans ce cas le ministère de l'Agriculture de la pêche maritime du développement rural et des eaux et forêts, ainsi que du Ministère de l'Industrie, du Commerce, de l'Economie verte et numérique, qui devraient mettre en place un cadre bien pensé, afin de ne pas porter préjudice aux producteurs nationaux. Cela concerne notamment le fait de proposer un produit qui soit disponible, de bonne qualité et accessible en termes de prix, le tout, certifié halal. Pour rappel, le Maroc avait accordé son feu vert pour l'importation de poulet et de bœuf américain en 2018, dans le cadre de l'accord de libre-échange entre le royaume et les USA. D'après Département de l'Agriculture des Etats-Unis (USDA), le marché marocain de la viande de bœuf est évalué à 80 millions dollars, sachant que les ventes de poulet américain sur le marché national sont évaluées à près de 10 millions de dollars par an. Toutefois, il faut être conscient que, contrairement à la viande en provenance d'Europe, la production made in USA se voit bien dopée par des hormones de croissance, ce qui pourrait bien résulter dans des problèmes de santé pour les consommateurs. Actuellement, les USA peuvent exporter, en quantité illimitée, toutes sortes de viandes vers le Maroc, jusqu'à la fin du mois de décembre 2019. En effet, aucun quota n'est imposé pour le moment, alors que les tarifs appliqués sont très préférentiels pour les producteurs américains. L'on retrouve ainsi en plus du bœuf, différents produits de l'abattage de la volaille, mais aussi de fruits, céréales et de noix, qui profitent tous des mêmes conditions « encourageantes » pour le commerce américain.