La loi 103-13 relative à la lutte contre la violence envers les femmes, notamment dans l'espace public et au travail, est entrée vigueur il y une année, et pourtant, rien n'a changé. Les femmes sont encore plus harcelées dans la rue et les espaces publics face à des hommes qui ignorent jusqu'à l'existence de ce texte et continuent de faire ce bon leur semble. Hespress Fr a récolté plusieurs témoignages de femmes victimes de ces pratiques, et qui s'interrogent sur l'utilité 'une loi qui n'a rien changé. Imane. S, jeune Casablancaise de 26 ans, a crié son ras-le-bol au micro de Hespress Fr. Pour elle, c'est un calvaire au quotidien. Qu'elle sorte faire ses courses à pied, prendre un taxi, rejoindre son fiancé ou encore pour se rendre à pied chez son coiffeur, c'est le même calvaire. C'est toujours le même scénario qui se répète, des sifflements par-ci, des commentaires sexistes par-là, « comme s'il 'agissait d'un rituel », nous raconte-t-elle. « Je me demande des fois quel style vestimentaire devrais-je adopter pour qu'on arrête de me harceler dans la rue. Et pourtant, je suis une fille normale, qui s'habille le plus normalement possible pour justement éviter des commentaires mal placés. Et pourtant, je n'échappe pas aux sifflements et aux insultes dans la rue. Des fois, j'évite même de sortir pour ne pas m'énerver. C'est devenu une situation juste invivable », confie-t-elle à Hespress Fr. Pour cette jeune responsable au sein d'une multinationale installée au Maroc, « les hommes s'incrustent dans son intimité et vie privée ». « J'ai l'impression que les hommes dans la rue, pas tous, mais ceux qui ne ratent pas l'occasion pour nous déranger ou nous lancer un commentaire déplacé, s'incrustent dans mon petit espace intime, et entravent mon droit de jouir pleinement de ma liberté dans l'espace public comme tout citoyen à travers le monde », s'indigne-t-elle. Une liberté qu'une autre jeune femme, Soukaina. H, n'a pas manqué de souligner en déclarant que « l'homme jouit pleinement de sa liberté dans la rue. Personne ne vient l'embêter». Selon cette dentiste installée à El Jadida, «l'homme, quand il veut marcher dans la rue, il ne soucie guère du harcèlement des femmes à son encontre. Il n'y a pas de femme qui le suit en lançant des commentaires sexistes, ou critique son look. Quand il va se poser tranquillement dans un jardin ou dans une terrasse de café, il n'y a pas de femme qui vient s'imposer et s'installer à ses côtés pour lui parler ou le harceler pour avoir son numéro de téléphone, contrairement à nous qui vivons cela au quotidien, comme si c'est devenu une tradition ancrée dans notre société, que les hommes se sont habitués à faire, et les femmes habituées à supporter, malgré le mal psychologique que cela leur inflige ». Face à cette situation, nos deux témoins ont fait un même constat, qui est malgré l'existence de cette loi, il est impossible de prouver un quelconque harcèlement dans l'espace public, parce que « c'est tout simplement difficile à prouver, et encore moins de trouver des personnes qui veulent bien témoigner« . Une loi en dessous des normes internationales A son entrée en vigueur après adoption et publication au BO, la loi 103-13 , avait essuyé plusieurs critiques, notamment de la part de l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) qui l'avait jugée à l'époque « en dessous des normes internationales ». Toutefois, ce même texte, fait rare, a permis à une Casablancaise, O.R, de porter plainte contre trois individus qui l'ont « draguée » dans le café où elle se rendait pour rencontrer son mari, en septembre 2018. Un artiste peintre de Fès, un sexagénaire, a également été poursuivi pour harcèlement sexuel contre une jeune femme d'une vingtaine d'années. Dans ce qui a été considéré comme la première plainte de ce genre, le mis en cause, qui a « ouvertement dragué » la jeune fille dans la rue et « mimé de gestes à caractère sexuel », a été placé en détention provisoire à la prison locale de Bourkayez de Fès en attendant l'ouverture du procès. Vous êtes harcelée? Prouvez-le! La loi 103-13 relative à la lutte contre la violence envers les femmes, mise en place pour protéger les femmes dans l'espace public, et contre tout acte de violence, le mariage forcé des mineurs, mais aussi les propos à caractère sexuel tenus ou envoyés par SMS, messages vocaux ou photos, prévoit une peine de prison allant jusqu'à 6 mois et une amende comprise entre 6.000 et 10.000 dhs. Selon Saida Idrissi, ancienne membre de l'ADFM et militante pour les droits des femmes, «une année après l'entrée en vigueur de la loi 103-13, il faut que le ministère de la Justice fasse un rapport. Combien il y a eu de dépôts de plainte pour harcèlement, combien de femmes ont eu gain de cause, combien d'agresseurs et de harceleurs ont été condamnés et à quoi?. Parce que jusqu'à aujourd'hui, nous n'avons aucune donnée dans ce sens ». Et d'ajouter, « c'est au gouvernement de rendre compte de la mise en œuvre d'une loi. Donc, le constat que nous faisons, c'est que le harcèlement est toujours d'actualité dans l'espace public comme dans l'espace du travail. Que les femmes +doivent+ le prouver. Parce que la question de la preuve est toujours-là. Et ça bloque l'accès et le recours à la justice . Vous êtes harcelée? Prouvez-le! ». Notre interlocutrice aborde également le harcèlement dans le lieu de travail. « Les femmes y sont harcelées au quotidien, mais ne peuvent pas parler ou réagir, de peur de perdre leur emploi. Et vu la crise actuelle, ce n'est pas évident. De même, elles subissent des pressions aussi bien de la part du harceleur, que de leurs collègues qui soit refusent de témoigner, soit leur demander de +laisser tomber+ . Donc c'est un vrai problème« , qu'apparemment la loi 103-13 n'a pas été en mesure de résoudre, ou du moins atténuer.