Contrairement aux idées reçues, le mariage est loin d'être ce chemin tranquille que l'on s'imagine au Maroc au regard des divorces qui se font de plus en plus fréquents. Selon une étude (Chmel) les chiffres de 2017 au Maroc un mariage sur trois pour diverses raisons, s'est soldé par un divorce. Lors de cet exercice, sur les 300.000 couples environ, qui avaient tenté l'aventure de s'unir légalement, en vue de fonder une famille, un peu plus de 97 000 ont goûté amèrement, à leurs dépens, au divorce de par une séparation judiciairement prononcée. Les principales raisons du divorce sont d'abord le manque de maturité et de conscience, l'absence de communication entre les époux et la violence physique ou morale. Le modernisme et l'urbanisation font que les valeurs sociales se perdent aujourd'hui, d'où une tendance à l'individualisme. Les divorcés, des temps modernes on les retrouve parmi les jeunes mariés, les couples vivant dans la précarité et dans le milieu urbain plutôt que dans monde rural où le conservatisme prédomine et où le divorce est encore mal perçu. Hakim, aujourd'hui à la retraite, a enseigné en tant que professeur de français dans un prestigieux lycée de la capitale. Il est père de deux filles de deux mères différentes. Avec sa première femme, Latifa, ils ont décidé de se séparer à « l'amiable », si l'on peut dire ainsi, et ce, avant que le nouveau code de la Moudawana de 2004 ne voit le jour, ce qui à l'époque a « banalisé une rupture », dit-il avec regret. Il a bien voulu se confier à Hespress FR pour raconter son expérience, qu'il qualifie avec le recul, de « douloureuse », et pour lui et pour son ex-épouse, quoique la décision de rupture fut une volonté commune. « Après près de 12 ans de mariage, on s'est rendu compte que notre couple partait en vrille. Les compliments que l'on se faisait au début, petit à petit, ont été remplacés par des reproches puis ces derniers furent remplacés par le silence ». « On n'avait plus rien à se dire », ajoute-t-il. En fait, chacun souquait de son côté même, Meriem leur fille. « La famille se désintégrait, et la solution, on s'était dit qu'elle était dans le divorce, sans trop réfléchir aux conséquences et aux souffrances qui allaient en découler, surtout pour Meriem ». « On a été trop égoïstes. Même sans engagement, une rupture est toujours une épreuve douloureuse, notamment pour les enfants, premières victimes de la situation. Aujourd'hui mon combat est autre. Il a trait à l'héritage, j'ai deux filles », dit-il avec un sourire qui veut en dire long. « Kenza, ma seconde fille, fait des études supérieures, et Meriem a dépassé la trentaine et elle a deux adorables enfants dont je suis fier d'être le papy ». Ce divorce est un moindre mal par rapport à celui de Fatouma une femme de ménage à Mohammedia. « Mon père m'a mariée à l'âge de 14 ans à mon cousin, Ali. Il me battait et passait ses journées à boire et à fumer du kiffe. Ce dernier au bout de trois ans m'a répudiée, parce que, soi-disant, je ne pouvais pas avoir d'enfants ». C'était la honte pour notre famille, mon père ne m'a plus adressé la parole et ma mère m'a toujours reproché de ne pas avoir donné naissance à un enfant. « J'ai vécu recluse et le martyr chez mes parents pendant quatre ans jusqu'à ce que je rencontre mon second mari, Ahmed un cultivateur. On a décidé de se marier sans le consentement de mes parents, qui ne voulaient pas de lui. Un mariage adoulaire à Derb Sultane avec des témoins a été conclu, et depuis, nous vivons à Mohammedia à Bradaa. Nous avons trois enfants deux garçons (grands gaillards "3zara") et une fille. "Hamdoullah" nous n'avons besoin de rien, on arrive à boucler le mois. Ahmed est jardinier et moi, femme de ménage. À nous deux nous arrivons à nous en sortir, même si c'est difficile. J'ai pardonné à mon père sur son lit de mort, il m'avait envoyée chercher pour cela. Ma mère vit avec moi depuis ». Par ailleurs, et en un autre contexte que celui de ces témoignages, Hespress FR a en outre, à titre de regard juridique, recueilli des déclarations quant à ce mal moderne qu'est le divorce, et qui d'une manière ou d'une autre, est une violence (physique et morale). À quelques nuances près, elle l'est plus à l'égard d'un genre plutôt que de l'autre. Maître Fatima Zohra Chaoui, avocate et présidente de l'Association de Lutte contre la violence à l'égard des femmes (AMLVEF) a bien voulu nous en dire plus sur le volet juridique de la chose. À la question de ce qui est de la hausse des divorces qui n'ont eu de cesse d'augmenter ces dernières années et si la mise en place du « Tatlik » a ouvert la voie à plus de divorces ? La présidente de l'AMLVEF relève cette pertinence. « La Moudawana, que nous avons considéré comme un acquis en 2004, n'est plus d'actualité aujourd'hui. Elle a ouvert, cependant le champ pour cette catégorie de la société que sont les femmes à demander, un droit qui leur était inaccessible jusqu'à alors, le divorce. Donc toutes les femmes qui étaient en souffrance et en même temps, incapables de s'en sortir ont eu recours à "chikak" et ce n'est que justice d'où l'augmentation des chiffres et statistiques. Ceci ne veut pas dire, pour autant que, c'est abusif ». Relation entre Tatlik et Moutaa ? N'est-ce pas une injustice de renoncer à cette dernière quand on est demandeuse du divorce ? Me Chaoui : « effectivement, c'est une injustice de priver la femme de Moutaa quand elle est demandeuse surtout que rien ne le stipule dans la Moudawana ce n'est qu'une jurisprudence généralisée. Les répercutions dépendent de la situation familiale elles peuvent être positives en cas de violence comme elles peuvent être négatives et même graves dans les abus de la part du chef de famille, surtout côté matériel ». Le divorce est-il perçu comme une violence par votre Association ? Est-il traité dans ce sens ? « oui dans plusieurs cas, le divorce est perçu comme violence. Les raisons de divorce sont diverses et dépendent de la situation sociale, la violence en est une ». Qu'en est-il de la procédure de ce qu'on appelle le divorce à l'amiable ? « Le divorce à l'amiable est la façon la plus rapide et civilisée de se séparer. Elle dépend de la convention établie entre les conjoints, mais la signature des deux parties est obligatoire dans le délai de 15 jours après jugement ». Pour sa part, l'expert et éminent en psychosociologue, Mustapha Chagdali, qui au demeurant est également un écrivain et un enseignant-chercheur dans un établissement Supérieur de hautes études, a bien voulu donner son avis éclairé à Hespress FR. Partant du fait que le divorce est avant tout, une rupture officielle du mariage, il nous indique que « sur le plan psychologique, il s'agit d'un détachement donnant fin à un projet de vie. De la sorte, le divorce est une séparation souvent vécue, sur le plan psychologique, comme un échec personnel. Sur le plan social, le divorce a des conséquences néfastes surtout avec l'existence des enfants qui se trouvent impliqués dans la séparation de leurs parents ». Tout en restant dans les limites de son domaine il poursuit, « indépendamment du code de la famille, le divorce au Maroc peut être contemplé comme étant les conséquences d'une société mutante. Le modèle du mariage pratiqué dans le passé commence à céder sa place à un autre modèle axé davantage sur les valeurs et les 'libertés' individuelles. Les causes du divorce au Maroc ne sont pas automatiquement d'ordres économiques, elles sont également liées aux changements opérés au niveau des représentations sociales concernant la vie de couple ». et de poursuivre que « le divorce au Maroc est un acte qui témoigne psychologiquement, d'une façon sous-jacente, que la conception du mariage a changé. Il n'est plus un acte durable, mais juste une étape dans la vie ». Et enfin il conclut : « sur le plan sociologique, le mariage est vu comme une manière de réglementer la pratique sexuelle pour qu'elle soit reconnue par la société. Cependant avec la pratique sexuelle, observée actuellement, hors cadre du mariage est un facteur crucial provoquant le divorce ».