La reconnaissance par le président américain sortant, Donald Trump, de la souveraineté marocaine sur le Sahara va t-elle changer profondément la donne? Favorise-t-elle une issue à ce vieux conflit ou au contraire une escalade? Depuis le cessez-le-feu de 1991, un fragile statu quo prévalait, jusqu'au mois dernier, dans cette région désertique aux trois quarts contrôlée par Rabat mais revendiquée par le Front Polisario. Ces indépendantistes, soutenus par l'Algérie, réclament un référendum d'autodétermination, prévu par l'ONU. Le Maroc propose depuis 2007 une autonomie sous sa souveraineté. La reconnaissance d'une souveraineté marocaine par l'une des grandes puissances mondiales est une première. Elle s'est accompagnée de l'annonce d'une reprise des liens diplomatiques de Rabat avec Israël.
Quel contexte sur le terrain? Ce territoire de 266.000 kilomètres carrés est peu peuplé (moins d'un million d'habitants) mais il est stratégique et considéré comme grande cause nationale au Maroc. L'ex-colonie espagnole, bordée par l'Atlantique, dispose de ressources lucratives (phosphate, pêche). Sur le plan politique, le processus onusien est enlisé et il n'y a plus d'émissaire de l'ONU depuis mai 2019. La tension s'est ravivée en novembre: en un mois, le Polisario a fait état de plus de 185 tirs d'artillerie en direction de 10 secteurs militaires marocain, le long du mur de séparation. Il se dit « en état de guerre de légitime défense » depuis que Rabat a envoyé le 13 novembre des troupes à l'extrême sud du territoire (Guerguerat) pour chasser un groupe d'indépendantistes sahraouis bloquant la seule route vers la Mauritanie. Cette route a été construite en violation de l'accord de 1991, signé sous l'égide de l'ONU après 15 ans de combat, argue le Polisario. Il reste très difficile de savoir de source indépendante ce qui se passe sur le terrain, difficile d'accès.
Cette annonce fait-elle bouger les lignes?
L'ONU, qui compte une mission aux prérogatives limitées, la Minurso, a indiqué que sa position était « inchangée », comme plusieurs pays impliqués dans le dossier. La décision de Donald Trump « viole toutes les décisions et résolutions de toutes les instances internationales », a réagi le chef de la diplomatie sahraouie, Mohamed Salem Ould Salek. Selon Hamish Kinnear, du cabinet de consultants Verisk Maplecroft, cette annonce « ne simplifiera pas le statut déjà compliqué de ce territoire, toujours considéré comme "non autonome" par l'ONU ». Parmi les membres du Conseil de sécurité, Moscou a dénoncé. La France, grande alliée du Maroc, a dit rester impliquée dans la recherche d'une « solution politique (…) mutuellement acceptable ».
Quelles conséquences immédiates?
Le Maroc a salué une « avancée historique ». Elle conforte la stratégie du royaume, qui a enregistré ces derniers mois l'ouverture de représentations diplomatiques au Sahara occidental, dans une forme de reconnaissance de sa souveraineté. Rabat se pose en outre comme le garant de la stabilité de la région, où il a investi des millions d'euros dans des projets de développement. Mais le risque d'une recrudescence des violences existe. « Les combats se poursuivront jusqu'au retrait total des troupes marocaines d'occupation », a clamé le Polisario. Rabat, encouragé par l'adoubement américain, peut estimer « avoir les mains libres », et le Polisario « pourrait solliciter une intervention de l'Algérie », juge Hamish Kinnear. Après ce « revers significatif », les indépendantistes pourraient y voir un « encouragement à une reprise des hostilités », confirme Riccardo Fabiani, de l'International Crisis Group (ICG). La suite dépendra donc largement d'Alger, d'autant que le rapport de force militaire avec Rabat est défavorable au Polisario. Et le mouvement dépend grandement de l'Algérie, où il s'occupe de camps dans lesquelles vivent des dizaines de milliers de réfugiés sahraouis. « L'Algérie est forte », a prévenu le président algérien, Abdelmadjid Tebboune. La veille, Alger avait fustigé des « manoeuvres étrangères visant à le déstabiliser ».
Quels autres enjeux? Une instabilité sécuritaire pourrait profiter aux groupes jihadistes de la zone sahélo-saharienne. Le Sahara occidental est aussi un point de départ potentiel pour des tentatives d'émigration illégale, en particulier à destination des Canaries (Espagne), un dossier sur lequel le Maroc est perçu en Europe comme un partenaire crucial. Toute « instabilité dans la région alimente l'extrémisme, et « résoudre le conflit devrait préoccuper l'Europe », note Abdy Yeganeh, un ancien diplomate britannique.
Qui pour relancer des négociations? L'UA exhorte à un retour « à la table des négociations » et la question a été réinscrite à l'agenda lors de son dernier sommet début décembre. Mais elle est très épineuse pour l'instance continentale, dont le Polisario est un membre fondateur et que le Maroc a récemment rejoint après un long boycott. Les deux médiateurs les plus probables sont les Etats-Unis, après l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, et l'ONU. Mais le Conseil de sécurité est très divisé, et « il s'agit malheureusement d'un de ces dossiers que l'ONU paraît peu à même de pouvoir résoudre », souligne Richard Gowan, de l'ICG. Il ne semble pas non plus une priorité de la future administration Biden. Aussi, le président élu pourrait ne pas vouloir revenir sur la reconnaissance de la souveraineté marocaine pour ne pas impacter les relations maroco-israéliennes renaissantes. D'après Abdy Yeganeh, le premier geste pragmatique serait la nomination d'un nouvel émissaire onusien. « Ce qui est clair, c'est la nécessité d'une solution politique », résume-t-il.