Le mari de la reine Margrethe II, d'origine française, s'est éteint mardi soir au château de Fredensborg à l'âge de 83 ans. Le prince, qui souffrait de démence, n'a jamais caché son désarroi de ne pas avoir obtenu le titre de roi. Le prince consort Henrik de Danemark est décédé mardi 13 février à l'âge de 83 ans. «Son altesse le prince Henrik est morte à 23h18 au château de Fredensborg, résidence royale située à une quarantaine de kilomètres au nord de la capitale danoise», a annoncé la Maison royale. Le communiqué précise que l'époux de la reine Margrethe II était entouré de sa femme et de leurs deux fils. Hospitalisé depuis le dimanche 28 janvier au Rigshospitalet à Copenhague pour une tumeur au poumon gauche qui s'était révélée bénigne et une infection pulmonaire, il était rentré chez lui pour «vivre ses derniers instants auprès de sa famille». Depuis septembre 2017, le palais royal avait révélé qu'il souffrait de démence qui «implique une dégradation des fonctions cognitives». Selon la Maison royale, le diagnostic «peut être accompagné par un changement dans le comportement, les réactions, les capacités de jugement, la vie émotionnelle et peut ainsi affecter tous contacts avec le monde extérieur». Dès lors, le Prince, qui avait déjà annoncé, dès janvier 2016, qu'il se mettait en congé de la vie officielle, avait diminué ses activités et apparitions publiques, mais avait encore assisté, à la fin de l'été dernier, à la fête d'anniversaire des 18 ans de son petit-fils Nikolaï sur le yacht royal Dannebrog. Ses récentes sautes d'humeur et ses déclarations fracassantes, sans laisser deviner des troubles du comportement, avaient cependant inquiété le public danois comme lorsqu'il avait déclaré, devant son château de Cayx dans le Lot, qu'il refusait d'être inhumé avec sa femme dans la nécropole royale de la cathédrale de Roskilde, comme le sont traditionnellement les couples royaux, n'ayant pas obtenu le titre et la fonction qu'il convoitait, et que n'étant pas l'égal de sa femme dans la vie, il ne souhaitait pas l'être dans la mort! Né Henri Marie Jean André de Laborde de Monpezat, le 11 juin 1934 à Talence, cet aristocrate et diplomate français estime qu'on ne le traite pas à sa juste valeur, lui qui, par amour de la future reine Margrethe II, qu'il a épousée à Copenhague le 10 juin 1967, a renoncé à son nom, sa langue, sa religion et son poste de diplomate à Londres. Si les Danois – qui n'ont jamais vraiment compris ce prince consort et raillaient son goût pour les uniformes couverts de décorations – ont vu dans son courroux le machisme mal placé d'un Européen du sud. Il faut plutôt y voir l'amertume d'un homme cultivé, un artiste dans l'âme, qui, pendant cinquante ans, a dû s'effacer pour ne pas faire de l'ombre à son épouse. «Chaque fois que j'ouvre la bouche, les gens se demandent si j'ai l'autorisation de ma femme pour parler», avait-il confié il y a quelques années, témoignant ainsi de la difficile position des princes consorts. Dans son livre Destin oblige, le prince Henrik décrivait cette position: «L'imagination populaire voit dans un prince consort une silhouette vouée à l'humilité, une figure falote destinée à glisser discrètement trois pas derrière la souveraine. L'inconscient des peuples fait présumer que l'époux qui va vivre chez sa femme demeurera toujours un intrus.» Et il ajoutait: «Le rôle de prince consort est l'un des plus difficiles à tenir car on est en permanence sur la corde raide et chacun essaye de nous faire tomber.» Grave crise existentielle Déjà, en février 2002, le prince Henrik s'était senti «humilié» lorsqu'en l'absence de la reine, c'est le prince héritier Frederik qui avait présidé le bal du corps diplomatique à Copenhague. Aussitôt le prince consort avait quitté le royaume des contes d'Andersen, refusant d'assister, à Amsterdam, au mariage du prince héritier des Pays-Bas pour réfléchir à son destin dans le calme de son château de Cayx, dans le Lot. «Je me sens mis à l'écart depuis trente ans, sous-estimé et rejeté. On ne m'a pas respecté ou reconnu pour ce que je fais», avait-il alors déclaré, traversant une grave crise existentielle. Puis la vie a repris son cours et le prince consort a repris sa place auprès de son épouse qui ne cesse de clamer «sans lui je ne serais qu'une demi-reine». Pourtant, accordant au Figaro un entretien en octobre 2016, à la veille de l'exposition de ses sculptures à Paris, le prince Henrik revenait sur le triste sort réservé aux princes consorts. «Je suis le premier Français depuis 700 ans à monter sur le trône danois. Le général de Gaulle, qui connaissait bien l'Histoire, m'avait d'ailleurs félicité pour mon mariage et m'a reçu lorsque je quittais le Quai d'Orsay et l'ambassade à Londres: "Vous êtes le premier Français depuis Bernadotte à monter sur un trône scandinave et à devenir roi consort de Danemark." Pour lui aussi c'était évident que je devais être roi consort et non prince consort. C'est une anomalie créée par les Britanniques depuis la reine Anne, mais surtout le premier ministre de Victoria craignait qu'on reproche à la souveraine Hanovre de donner trop d'importance à son époux également allemand car Saxe-Cobourg. L'épouse d'un roi devient naturellement reine consorte. Pourquoi ne suis-je que prince consort, autrement dit le mari de la reine. Je n'ai aucun statut. Je me suis moi-même déclaré prince consort pour me donner une place dans la société danoise ainsi qu'une raison d'être et une position dans la fonction royale. Ça me met en rogne car je suis victime de discrimination. En permanence, on me réserve un traitement inférieur à mon épouse. Enfin pourquoi le Danemark devrait-il copier l'Angleterre? L'égalité dans le couple, qui est le fondement du mariage, doit être respectée. Après tout, le Danemark est en pointe sur le sujet de l'égalité des sexes, pourquoi serais-je le seul à être considéré comme inférieur à ma femme?» Deuxième fils d'une fratrie de neuf enfants nés chez André de Laborde de Monpezat (1907-1998) et de son épouse, née Renée Doursenot (1908-2001), Henri passe ses cinq premières années en Indochine, où sa famille possède des plantations et où son grand-père fut délégué élu au Conseil Supérieur des Colonies de 1905 à 1929. Puis sa famille revient en métropole, à Cahors, de 1939 à 1950 où il étudie d'abord au collège des Jésuites de Bordeaux puis au lycée Gambetta avant de repartir à Hanoï où il obtient le baccalauréat en 1952. De retour à Paris, il est étudiant à la Sorbonne de 1952 à 1957 en droit et sciences politiques, prépare dans le même temps une licence de lettres et étudie le chinois et le vietnamien à l'Ecole nationale des langues orientales vivantes. Doté d'une bourse universitaire, il effectue un voyage d'un an en Asie du Sud-Est. Après son service militaire en Algérie de 1959 à 1962, il entre à la section Orient du ministère des Affaires étrangères avant d'être nommé, au début de 1964, troisième secrétaire à l'ambassade de France à Londres. Fin gastronome et passionné de vin C'est en Angleterre, lors d'une soirée chez des amis, qu'il croise la princesse Margrethe de Danemark, devenue princesse héritière depuis que le roi Frederik IX, son père, a proposé en 1953 aux Danois de voter pour l'égalité des sexes dans l'ordre de succession au trône. Le 10 juin 1967, dans l'église Holmens de Copenhague, il épouse la princesse héritière Margrethe de Danemark. Le couple aura deux fils, le prince héritier Frederik, né le 26 mai 1968, et le prince Joachim, né le 7 juin 1969, qui lui donneront huit petits-enfants: le prince Frederik et la princesse Mary ont eu deux enfants, le prince Christian (2005) et la princesse Isabella (2007) puis des jumeaux, nés en 2011: Vincent et Josephine, tandis que le prince Joachim, d'une précédente union avec la princesse Alexandra, a eu deux fils, les princes Nikolai et Felix, puis deux autres enfants sont nés d'une seconde union avec la princesse d'origine française Marie, le prince Henrik (2009) et la princesse Athena de Danemark (2012). À la mort du roi Frederik IX, la reine Margrethe II monte sur le trône, le 14 janvier 1972, et Henrik lui apporte autant un soutien fidèle qu'il fait souffler un vent de fantaisie et un goût français sur le royaume de la petite sirène. Cultivant l'art d'être grand-père, le prince Henrik était aussi un fin gastronome, passionné de vin attaché à son domaine viticole de Caïx et un chasseur aussi assidu que raisonné. Artiste, fin lettré et poète, il a traduit en danois, avec la reine, Tous les hommes sont mortels, de Simone de Beauvoir, et avait publié des ouvrages de poésies en français, Chemin faisant, Cantabile, Murmures de vent et Roue-libre, autant qu'une autobiographie Destin oblige. Fervent défenseur de la langue française La langue française était aussi l'une de ses passions et il en était un fervent défenseur, tout comme il avouait, toujours au Figaro, que «la musique surtout a joué un grand rôle dans ma vie. Mes parents, malgré le fait que nous étions bloqués à la campagne, nous ont toujours incités à cultiver nos dons musicaux. La musique m'a toujours intéressé et je donnais même de petits concerts dès l'âge de 6 ans dans le château familial. Je jouais assez bien, m'a-t-on raconté! J'ai également tenu les orgues de Saint Joseph de Tivoli à Bordeaux, et plus près d'ici dans la petite ville de Prayssac. J'ai également préparé le Conservatoire de Bordeaux. Et puis, je n'oublierai jamais que j'ai eu la chance d'être l'élève de l'élève préféré du grand Alfred Cortot! J'ai également eu le plaisir de jouer un concerto pour piano de Beethoven sous la baguette de mon beau-père, le roi Frederik IX, et de jouer avec Rostropovitch dans la salle de concert de Tivoli à Copenhague. La poésie aussi m'a toujours accompagné et j'ai publié de nombreux recueils. Pour moi, la musique et la poésie sont liées, je ne conçois pas de poèmes sans rythme ou mélodie des mots. La pratique de la sculpture est venue plus tardivement, et ce n'est que récemment que mes œuvres ont été découvertes et reconnues.» Autre facette méconnue du jardin secret du prince Henrik, il était un grand spécialiste de l'art africain et océanien et un grand collectionneur. «J'ai toujours collectionné. Ma première statue d'art africain, Baoulé, je l'ai achetée en 1956 alors que j'étais étudiant à Paris. Je collectionne les timbres, les livres – autant pour leurs reliures que pour le thème d'Extrême-Orient – les jades de Chine et l'art du Groenland que j'ai exposé cet été ici à Cahors et qui a reçu 5300 visiteurs en seulement deux mois. Les collections sont faites pour être revendues, il faut que cela reparte sur le marché pour le revivifier... Et mes fils auront raison de vendre mes collections!», confiait-il au Figaro.Pour l'heure, la reine Margrethe, ses deux fils et leurs enfants pleurent un homme qui fut certes un prince consort atypique mais un artiste complet et un grand érudit.