Commémorée le 14 novembre de chaque année, la journée mondiale du diabète se veut une occasion de rappeler l'ampleur de cette épidémie silencieuse afin que tous les acteurs potentiels mettent en œuvre des actions stratégiques de prévention et de gestion de cette maladie dans le but de réduire la charge de mortalité et de morbidité qui lui sont liés. Selon les estimations de la Ligue Marocaine de Lutte contre le diabète, 1 personne sur 5 au Maroc est diabétique ou va le devenir dans les mois à venir. Dans quelles situations devrait-on se faire dépister ? Peut-on guérir de cette maladie silencieuse ? On fait le point avec le Pr Jamal Belkhadir, Président de la Ligue Marocaine de Lutte contre le Diabète (LMLCD). Pouvez-vous nous dresser un état des lieux concernant cette épidémie silencieuse au Maroc ? Parmi les 7 régions de la Fédération Internationale du Diabète, la Région MENA, à laquelle appartient le Maroc, présente la prévalence ajustée en fonction de l'âge la plus élevée chez les adultes pour 2019 : 12,8% (54,8 millions), pour 2030 : 14,2% (76 millions) et pour 2045 : 15,7% (107,6 millions). Il en est de même pour l'Afrique. Selon les mêmes sources, de grandes différences sont observées également entre les pays de la région MENA. Au Maroc, les chiffres du diabète au Maroc (au-delà de 18 ans) sont en augmentation régulière. Ils sont passés de 6,6% (1.235.000 personnes) en 2000 à 10,6% (2.353.000 personnes) en 2017-2018, selon les enquêtes nationales du ministère de la Santé. En outre, plus de 40% des personnes atteintes de diabète ignorent leur maladie à cause de son caractère silencieux. Un autre élément inquiétant est celui de la prévalence élevée du pré-diabète qui est de 10,4% (2.309.000 personnes). Ainsi 1 personne sur 5 au Maroc est diabétique ou va le devenir dans les mois à venir. D'autre part, les conséquences en terme de morbi-mortalité et de coûts directs de santé et indirects par la diminution de productivité pour l'économie du Maroc et pour toute la société sont très élevés. Au niveau des caisses d'assurance maladie, le rapport global annuel de 2018 montre que 3,2 % de la population qui a recourt aux soins liés aux Affections de Longue Durée (ALD) consomme 51,5% des dépenses totales dont 73,1% des dépenses sont destinés aux quatre maladies suivantes : diabète (10,4%), hypertension artérielle (10,7%), insuffisance rénale chronique (27,4%) et cancer (23,4%).
Quelles sont les causes de l'explosion des cas de diabète dans certaines régions du monde, et particulièrement dans les pays en voie de développement ? L'explosion du diabète et de l'obésité dans la Région MENA, en Afrique, en Asie et d'une manière générale dans les pays en voie de développement est liée à une pluralité de facteurs : phénomène concomitant de vieillissement et d'expansion de la population, urbanisation rapide, avec ses corollaires de nouveaux comportements alimentaires, la sédentarité, la dégradation des cadres de vie, etc. En matière de répartition de la prévalence, et en tenant compte de la carte des facteurs et populations à risque, la situation est très contrastée à l'échelle des régions (taux de prévalence entre les pays), mais également à l'intérieur des pays, selon le milieu de résidence ou le niveau socioéconomique. Aujourd'hui et au sein de ces pays, ces changements dans les comportements alimentaires ne concernent pas seulement les catégories sociales aisées, puisqu'ils se diffusent à l'échelle de l'ensemble de la société. Il s'agit de signes évidents d'une transition nutritionnelle couplée à un processus d'occidentalisation toujours plus marqué des pratiques alimentaires, particulièrement en milieu urbain. La consommation de produits sucrés et gras à haute valeur énergétique à longueur de journée (jus, boissons sucrées, sodas, fast food, etc...) est un marqueur de ces changements. A cela, il faut ajouter les effets de l'urbanisation rapide et du développement des moyens de locomotion, qui sont responsables d'une sédentarité de plus en plus importante et par conséquent une réduction des dépenses énergétiques par manque d'activité physique. Ainsi, il importe de souligner qu'une grande partie de l'augmentation de la prévalence et de la morbidité diabétique est évitable si l'on se préoccupe suffisamment de l'alimentation et de l'exercice physique.
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Le dépistage a-t-il un rôle important à jouer pour prévenir le diabète ? De grandes avancées ont été obtenues par le travail continu au niveau des structures du ministère de la Santé ainsi qu'au niveau des associations nationales et locales. En effet, les campagnes de dépistage du diabète sont devenues une réalité quotidienne aussi bien au niveau des centres de santé qu'au niveau des campagnes de dépistage du diabète organisées par les associations à l'échelle de tout le territoire national. Compte tenu du caractère silencieux et latent de la maladie dans la grande majorité des cas, ce dépistage constitue un moyen de diagnostic efficace pour une prise en charge précoce de la maladie et par conséquent la prévention des complications du diabète. De même, le dépistage du pré-diabète, chiffres de glycémie à jeun supérieur à 1 g/l mais inférieur à 1,26 g/l, avec la recherche des autres facteurs de risque (obésité, hypertenstion artérielle, tabagisme…) permet de renforcer les mesures de prévention à grande échelle, au niveau du grand public et particulièrement des personnes à risque.
Dans quelles situations devrait-on se faire dépister ? Le dépistage du diabète et du pré-diabète doit être pratiqué chaque fois que des symptômes cliniques sont notés (soif, fatigue, urine fréquente…). Il faut y penser notamment chez des personnes en excès de poids, ayant une hérédité diabétique et/ou une hypertension artérielle ou une hyperlipidémie. La recherche du diabète chez une femme enceinte ne doit pas être retardée sous peine de conséquences néfastes pour le bébé et la maman. Par ailleurs les campagnes de dépistage du diabète, réalisées aujourd'hui au niveau de toutes les régions du Maroc, permettent de découvrir de nombreux cas de diabète latents et de pré-diabète. Ce dépistage doit être suivi de mesures adéquates pour réduire le risque du diabète (cas du pré-diabète) et de prise en charge précoce pour éviter les complications de la maladie diabétique.
* L'OMS alerte sur les difficultés d'accès à l'insuline pour des millions de diabétiques
Le sport est-il important ? Le sport fait partie des mesures d'hygiène essentielles pour le bien-être physique et psychique pour toute personne qu'elle soit diabétique ou non. Il faut savoir que l'une des causes de la pandémie du diabète et de l'obésité dans le monde est en rapport avec la baisse de l'activité physique (urbanisation, moyens de transports, utilisation large de machines dans la vie de tous les jours, moyens de confort divers…) chez les adultes mais aussi de plus en plus chez les jeunes et les enfants. C'est la raison pour laquelle il faut encourager toute la population, les jeunes et les moins jeunes à rester actifs et à pratiquer un sport adapté à son âge et à son état de santé. Dans le cas du diabète et du pré-diabète, le rôle des équipes médicales est d'encourager l'exercice physique, en prenant les précautions nécessaires et de recommander les adaptations thérapeutiques (médicamenteuses et diététiques) pour que l'activité sportive soit bénéfique et se déroule en toute sécurité. Enfin, il faut rappeler que la marche (40 mn à 1 heure), 3 à 4 fois par semaine, voire quotidienne demeure le sport le plus accessible et qui peut être pratiqué aisément par la plupart d'entre nous et notamment les diabétiques.
Peut-on guérir du diabète ? Y a-t-il une solution- miracle ? On ne guérit pas le diabète mais on peut réduire sa prévalence et ses complications. Lutter contre l'obésité, lutter contre la sédentarité, lutter contre la malbouffe, constituent les voies qui assurément peuvent sauver de milliers de personnes. Des produits sont aujourd'hui disponibles pour traiter l'obésité et le diabète. Ils sont efficaces pour réduire le poids et améliorent l'équilibre glycémique et notamment en cas de problèmes cardiovasculaires. Néanmoins les programmes de life style, associant hygiène de vie, nutrition adéquate et activité physique régulière aussi bien chez les obèses que les pré-diabétiques ont démontré leur efficacité et la prévention du diabète. De même de très nombreux cas de diabète sont traités et améliorés uniquement par ces mesures hygiéno-diététiques. Un dernier message ? Le diabète est une affection silencieuse de plus en plus fréquente et qui réclame un effort collectif pour un diagnostic précoce et un traitement adapté pour prévenir les complications redoutables et coûteuses (infarctus du cœur, amputation des pieds, cécité, dialyse….). L'impact économique et social du diabète est énorme, affectant tout particulièrement les pays en développement. Si rien n'est fait, le diabète menace d'absorber les bénéfices du progrès économique dans le monde entier. La pandémie de la COVID-19 est venue renforcer cette très grande crainte en montrant la vulnérabilité particulière des personnes diabétiques. Aussi, la lutte contre le diabète et les maladies de la nutrition avec un programme de prévention et de promotion du mode de vie sain, est un long chemin difficile mais toujours très payant car permettant de sauver des vies humaines, de réduire le coût du traitement et les conséquences de la maladie.
* Afrique : la Covid-19 est plus mortelle chez les personnes diabétiques (OMS)