Une équipe des scientifiques du Maroc, de la France et du Royaume Uni a découvert récemment, au Maroc, une nouvelle espèce d'un lézard marin, dénommée Pluridens Serpentis. Une découverte à laquelle ont collaboré trois Marocains (Fatima Khaldoune et Oussama Khadiri Yazami (OCP) et Nour-Eddine Jalil (Sorbone/Université de Cadi Ayyad). Dans une interview accordée à 2M.ma, le paléontologue marocain, Nour-Eddine Jalil, professeur au Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN), basé à Paris, revient sur cette découverte.
Pouvez-vous nous en dire plus ? Comme vous l'avez précisé, il s'agit d'un lézard, à ne pas confondre avec les dinosaures comme cela arrive parfois, vu l'aspect des mosasaures et la taille gigantesque, jusqu'à 15 m de long, qu'ils peuvent atteindre. Les lézards et les dinosaures forment deux lignées différentes qui ont divergé l'une de l'autre longtemps avant l'apparition des premiers dinosaures, tandis que l'une a conduit aux serpents et lézards actuels, l'autre, la lignée des dinosaures, a conduit aux crocodiles et aux oiseaux actuels. La nouvelles espèce est un lézard marin qui appartient au groupe des Mosasaure (ou lézard de la Meuse) ainsi appelés car les premiers restes de ces animaux ont été nommés en référence à la Meuse, le fleuve qui traverse la ville de Maastricht, près de laquelle ils ont été t trouvés vers la fin du XVIII siècle. Cette nouvelle espèce a été attribuée au genre Pluridens car elle partage avec les autres espèces de ce genre des caractères morphologiques dont la présence de plusieurs dents. Elle se distingue par ailleurs des autres espèces de Pluridens par l'aspect de ses dents recourbées en crochets évoquant celles des serpents, ce qui explique son nom d'espèce Pluridens serpentis. Comment l'espèce en question se disitingue-t-elle des autres mosasaures ? Comparée aux espèces qui lui sont apparentées, Pluridens serpentis se distinguait par sa grande taille, pouvant atteindre 9-10 mètres de long alors que la plupart des espèces qui lui sont proches étaient longues d'à peine quelques mètres. Elle avait de petits yeux, ce qui suggère une mauvaise vision. La vision ne devait pas être son principal atout pour chasser. Son museau portant des dizaines d'ouvertures pour les nerfs, laisse supposer une sensibilité aux mouvements de l'eau et à de minuscules variations de la pression de l'eau que causait le déplacement de ses proies. Pluridens serpentis devait chasser dans des conditions de faible luminosité, soit la nuit, soit dans des eaux profondes et sombres. Les mosasaures sont très proches phylogénétiquement des varans actuels. Peut-être que comme ces derniers avaient-ils une langue bifide qui leur servait pour capter les odeurs dégagées par leurs proies, à l'image des deux narines du système olfactif des mammifères actuels. Les plus gros individus de Pluridens serpentis avaient des mâchoires épaisses et fortement bâties, ce qui contraste avec leurs petites dents. Les gros mâles devaient probablement se battre avec leurs mâchoires comme chez certaines baleines actuelles, telles les baleines à bec. Cette hypothèse est soutenue par la présence des blessures cicatrisées sur certaines des mâchoires étudiées, suggérant des combats violents.
Quelles étaient vos émotions pendant et après la découverte? Les fossiles permettent de plonger dans les racines du temps et de questionner la biodiversité passée. L'émotion est chaque fois quand il s'agit de décrire une nouvelle espèce, un organisme disparu jamais observé et décrit et de se dire qu'à notre niveau on contribue à une meilleure connaissance de la biodiversité passée. Cette émotion est d'autant plus forte qu'il s'agit d'une nouvelle espèce d'un reptile marin spectaculaire qui a vécu il y a des millions d'années en même temps que les grands dinosaures. Cette émotion est aussi fierté quand notre découverte permet d'enrichir encore plus le patrimoine naturel national.
Voulez-vous nous donner quelques idées pour vos prochaines recherches? Sonder encore plus la mémoire de la terre des phosphates si riche et si généreuse et découvrir de nouvelles espèces, décrire leur anatomie, analyser leurs relations phylogénétiques et reconstituer leurs histoires. Au-delà des gisements des phosphates, le Maroc compte parmi les rares pays présentant comme lui autant de témoins des couches géologiques qui se sont succédé à la surface de la terre depuis les temps les plus reculés. Mes autres projets de recherches concernent d'autres régions du Royaume avec des fossiles d'autres époques géologiques répondant à d'autres problématiques scientifiques. Contribuer à la reconstitution de ces autres mondes disparus et raconter leurs histoires fait aussi partie de mes objectifs de recherche.