* Malgré la réglementation en vigueur, les établissements de crédit ne consultent pas systématiquement le crédit bureau, économisant des millions de dirhams. * Contrairement à ce que lon peut croire, le prix de la consultation est discrètement répercuté sur le client à travers les frais de dossier. * Experian Services Maroc estime à 1.300.000 le nombre de consultations durant 2010. * Concurrence déloyale, violation du secret bancaire : elles planent comme une épée de Damoclès sur la tête du crédit bureau. La nécessité davoir un système dinformation financière intégré aux normes internationales a conduit Bank Al-Maghrib à déléguer la gestion du Service de centralisation des risques. Cela a, dun côté, permis de faire face aux insuffisances de lancien système : hétérogénéité qui ne permettait pas léchange des données entre établissements de crédit,absence dhistorique des données, traitement non automatisé des données Et, dun autre, de proposer des informations fiables et actualisées sur la situation financière des emprunteurs et sur leur niveau dendettement. Tout cela, à travers le crédit bureau, dont le lancement effectif a eu lieu début 2010, après plusieurs mois de retard accusés par le délégataire de Bank Al-Maghrib, Experian Services Maroc (ESM). Secret bancaire Si les établissements de crédit saccordent à dire que le crédit bureau leur permet une meilleure maîtrise des risques, tout en améliorant limage de marque du système financier à linternational, il nen demeure pas moins vrai quil reste sujet à caution. Dabord, parce quil pose un problème juridique pour lequel aucune réponse tranchée na encore été trouvée : celui du secret bancaire. En effet, les établissements de crédit (usagers) transmettent les documents et informations nécessaires au bon fonctionnement du service de centralisation des risques à BAM, qui les communique par la suite à ESM, lequel met toutes ces données à la disposition des usagers. Or, si la Banque centrale peut déléguer la gestion des services de centralisation des risques dans les conditions quelle a elle-même définies, le transfert des données recueillies à une société privée est considéré par les banquiers comme une violation du secret bancaire. Larticle 79 de la nouvelle loi bancaire précise ainsi que «toutes les personnes qui, à un titre quelconque, participent à ladministration, à la direction ou à la gestion dun établissement de crédit, ou qui sont employées par celui-ci, les membres du Conseil national du crédit et de lépargne , du Comité des établissements de crédit, de la Commission de discipline des établissements de crédit, de la Commission de coordination des organes de supervision du secteur financier prévue à larticle 81 ci-dessous, les personnes chargées, même exceptionnellement, de travaux se rapportant au contrôle des établissements soumis à la surveillance de Bank Al-Maghrib en vertu de la présente loi et, plus généralement, toute personne appelée, à un titre quelconque, à connaître ou à exploiter des informations se rapportant à ces établissements, sont strictement tenues au secret professionnel pour toutes les affaires dont elles ont à connaître, à quelque titre que ce soit, dans les termes et sous peine des sanctions prévues à larticle 446 du code pénal». Aujourdhui, quand bien même les banques ont exigé de Bank Al-Maghrib un certain nombre de garanties pour une protection contre la divulgation dinformations confidentielles relatives à leurs clients, le risque juridique persiste toujours. Et il suffira dun recours judiciaire des clients pour mesurer toute la problématique juridique que pose le crédit bureau. A moins que, dici là, lon procède à une retouche de la loi bancaire. Les clients trinquent Sur un autre registre, les consommateurs semblent sêtre fait bien avoir : ils payent actuellement au prix fort ceux qui les «fichent» et décident indirectement sils ont droit au crédit ou non. Il faut savoir, à ce titre, que face à tout demandeur de crédit, les établissements de crédit doivent éditer un rapport de solvabilité. «Ils sont tenus dinterroger le crédit bureau afin de disposer du rapport de solvabilité propre à chaque client avant loctroi du crédit», confie-t-on auprès de BAM. Cest donc une obligation réglementaire que, sous le manteau, certains professionnels qualifient de «disposition prise par BAM pour rentabiliser au mieux linvestissement fait par ESM». La décision de BAM dimposer aux usagers la consultation systématique du crédit bureau a, cependant, un coût financier assez important, car la consultation est payante. Elle est fixée à 18 DH/consultation, ce prix pouvant varier en fonction du nombre de requêtes effectuées. Pour rappel, ESM estime que le nombre de consultations effectuées par lensemble de la place sélèvera à 1.300.000 durant 2010, année de lancement effectif de lactivité. La société révisera ainsi, chaque trimestre, ses prévisions en fonction du nombre total des consultations réellement effectuées durant le trimestre. Mais qui supporte ce coût supplémentaire censé prémunir les établissements de crédit contre les risques ? La plupart du temps, cest le client. Sans le savoir, bien sûr. Parce que dès lors que son dossier de crédit est accepté, le coût de cette consultation est soigneusement intégré dans ce fourre-tout que les banques et autres sociétés de financement appellent «frais de dossier». A moins que, bien évidemment, la demande de crédit du client ait été déclinée; dans ce cas, cest lusager qui paye. Raison pour laquelle les établissements de crédit ont désormais mis en place une politique bien rodée : nutiliser le crédit bureau quen dernier recours, lorsque cest vraiment nécessaire. Cest-à-dire, sassurer en premier lieu que le client répond dabord à tous les critères internes permettant dobtenir un crédit avant dinterroger le crédit bureau. Mieux, pour certaines opérations dont les montants en jeu sont relativement faibles ou pour les fonctionnaires, ils se passent le plus souvent du crédit bureau, faisant ainsi une entorse à la réglementation. Le jeu en vaut certainement la chandelle, dautant que les économies réalisées peuvent être ainsi assez conséquentes, surtout pour les grosses structures recevant des milliers de clients par jour. Cette petite triche des établissements de crédit pousse dailleurs régulièrement ESM à lancer des cris dorfraie, dautant quelle se rend compte des écarts importants existants, en faisant notamment le rapprochement entre le nombre de consultations et le volume de production.