* La crise économique est également dordre intellectuel puisquaucune nouvelle doctrine nest venue sortir léconomie mondiale de son marasme. * La légitimation du profit dans des activités intermédiaires a précipité la crise. * Malgré un semblant de croissance, une nouvelle crise pourrait survenir si les problèmes liés aux inégalités sociales et à la régulation du système financier ne sont pas résolus. * La sortie de crise sera longue, avec une possibilité de retour à une situation analogue à lavant-crise en 2014. * Jean-Paul Fitoussi, économiste, professeur à lIEPF et président de lObservatoire français des conjonctures économiques, livre son point de vue sur lévolution de la crise. - Finances News Hebdo : Vous avez dit, lors de votre intervention dans le cadre du Forum de Paris, que la crise que traverse le monde actuellement est intellectuelle. Ne peut-on pas dire aussi quil sagit dune crise morale ? - Jean-Paul Fitoussi : La morale et léconomie sont deux domaines différents. Quand je parle de crise intellectuelle, cest dans la mesure où on a appliqué une doctrine fausse à une réalité qui ne lui ressemblait pas. Et malgré cela, on continue à croire que la doctrine est bonne. Ce qua dit Philipe Chalemin est clair : «les marchés, cest toujours bien». Maintenant, sous cette crise se cache un grand cynisme moral qui vient de la légitimation des inégalités. La théorie du marché légitime en effet les inégalités comme élément de dynamisme économique. Comme quoi, linégalité donne les incitations nécessaires aux gens pour quils travaillent puisquils savent que plus ils travaillent plus leur salaire sera élevé. Alors quen réalité, il ny a pas de mobilité sociale dans notre système et les inégalités ne sont pas le moyen de progression; au contraire, elles sont un moyen de stagnation dans une société quasiment de caste. Parce quil ny a rien en commun en celui qui touche le salaire minimum et celui qui va toucher une rémunération de CEO. Donc, il y a une crise morale du capitalisme et il y a une crise de légitimation du profit, surtout lorsque ce profit sapplique à des activités dont on pense quelles ne devraient pas en générer parce quelles sont des activités intermédiaires et non des activités finales. Les banques nont dintérêt que parce quelles financent léconomie non pas par le produit bancaire. Ce qui intéresse, cest le produit quune entreprise va vendre grâce au crédit quelle a contracté auprès des banques. - F.N.H. : Cette crise, ou ce séisme financier qui a frappé le monde en 2008 et dont on souffre au jour daujourdhui, na-t-elle pas signé la faillite du capitalisme dans le monde ? - J. P. F. : La crise a signé la faillite de ce capitalisme-là dont on parlait dans votre première question. Mais, il est très difficile de dire que cest la faillite du capitalisme parce quon ne sait pas trop à quoi lon se réfère quand on parle de capitalisme. Il y a en effet des capitalismes de types différents : ainsi, le capitalisme suédois na rien à voir avec le capitalisme américain; de même que le capitalisme français na rien à voir avec le capitalisme anglais. On les appelle capitalisme par commodité mais ce ne sont pas les mêmes régimes économiques. - F.N.H. : Léconomie est dopée, on sent un semblant de croissance Ne pensez-vous pas que nous sommes dans lil du cyclone et que le pire reste à venir si jamais le système financier et bancaire renoue avec les anciennes pratiques ? - J. P. F. : Il est clair que nous navons pas résolu tous les problèmes de sorte quune nouvelle crise pourrait effectivement advenir. Nous navons pas en effet résolu le problème des inégalités sociales, ni le problème de la régulation du système financier. Nous nous retrouvons dans une situation où les banques sont devenues encore plus grosses; par conséquent, elles peuvent encore être moins en faillite, car le contribuable sera toujours amené à payer pour les sauver. Donc, nous navons résolu aucun de ces problèmes-là. Maintenant, même si cela ne conduit pas à une nouvelle crise, pour sortir de la crise actuelle, il faudra du temps parce quon a beaucoup baissé par rapport à 2008. Alors, pour revenir à une situation analogue à celle de 2008, mon pronostic est que cela ne se fera pas avant 2014. Donc, on est encore aujourdhui dans une crise forte dont le marqueur est la souffrance sociale et laugmentation du chômage. - F.N.H. : Concernant la difficulté de la mise en place dune régulation internationale, pourquoi les Etats nont-ils pas fait jouer leur autorité dans ce sens pour imposer cette régulation aux institutions financières, puisque ce sont eux qui ont sauvé la baraque tout de même ? - J. P. F. : Il ne sagit pas du fait que les Etats narrivent pas à avoir un pouvoir sur le marché financier. Ils lont ce pouvoir sur le marché financier ! En effet, ils auraient pu laisser le marché financier international aller à la faillite. Mais ils ne lont pas fait. En réalité, les Etats ont eu peur dutiliser leur pouvoir parce que, là aussi, il y a lemprise de la doctrine, alors quils auraient pu imposer leurs lois, mais ils ne lont pas fait. Certes, ils ont la capacité de le faire, mais ils ne croyaient pas en leur pouvoir et croyaient beaucoup trop en la doctrine qui nous a conduits à la crise. Cest pour cela que je parlais de crise intellectuelle. - F.N.H. : Que pensez-vous de lidée davoir dautres étalons monétaires au lieu dune dépendance au Dollar ? Cela servirait-il à léconomie mondiale ? - J. P. F. : Ce nest pas que cela servirait à léconomie mondiale, ça la rendrait en fait plus stable; donc cela réduit les coûts dassurance contre linstabilité, si je puis mexprimer ainsi. Donc, ça rend léconomie globale plus efficace en ayant comme monnaie de réserve une monnaie stable plutôt quune monnaie qui valse comme le Dollar. Et puis, cette monnaie stable existe, ce sont les droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international. Il suffit den fabriquer et dalimenter les pays selon leurs besoins comme le fait une banque centrale nationale, mais à une échelle mondiale.