La Bourse de Casablanca a vraiment mal dans sa peau. La place, qui a depuis 1996 fait le bonheur des investisseurs tant nationaux qu'étrangers avec ses performances " exceptionnelles ", suffoque dangereusement. C'est le constat amer que font aujourd'huim C'est un truisme de soutenir que la Bourse de Casablanca va mal. Personne ne s'y méprend, même les néophytes. Assurément, le temps des vaches grasses semble révolu pour les investisseurs... Du moins pour l'instant. Depuis la chute entamée en septembre 1998, la place casablancaise n'a de toute évidence point réussi à redresser la barre, rompant définitivement avec des performances exceptionnelles généreusement entretenues par on ne sait quels artifices. Ainsi, en 1996, l'Indice Général avait enregistré une performance annuelle de 30%. L'année suivante (1997), la hausse avait suivi la même cadence, l'IGB terminant sur une variation positive de plus de 40%, tandis qu'en 1998, la progression était de 20%. Dès lors, l'on clamait haut et fort ces résultats. Normal ! Dans cet univers où le mot " perte " était exclu du commun des langages, les investisseurs s'en sont mis plein les poches, les professionnels affichaient une mine réjouie, tandis que, parallèlement, la place casablancaise gagnait en galons dans le microcosme boursier des pays émergents et même sous d'autres horizons. Bref, le satisfecit était au rendez-vous. C'est d'ailleurs durant cette période " glorieuse " et d'euphorie générale que la plupart des entreprises aujourd'hui inscrites à la cote se sont laissées séduire par ce marché devenu subitement et singulièrement lucratif après plusieurs années d'errance. Ainsi l'on aura assisté à l'afflux sur la place de 15 sociétés (Samir, Sonasid, Fertima, Crédor, Lafarge Ciments, Maroc Leasing, SMI, Maghrebail, Taslif, SNI, Marocaine Vie, Wafa Assurances, Papelera de Tétuan, Aluminium du Maroc, Agma), soit une moyenne de 5 par an. C'était manifestement la course à la " bourse pleine ". Cet engouement s'est-il estompé ? En tout cas, la réalité est tout autre aujourd'hui, d'autant que la performance enregistrée au terme de l'année écoulée a été de -3,31%. " Cruelle " décrépitude ! Passer, en effet, d'une performance de 40% en 1997 à -3,31% en 1999 suscite bien des interrogations : les cours n'étaient-ils pas surévalués dès l'origine? Réponse des professionnels : " Pas du tout, disent-ils, cette contre-performance est une correction technique qui doit être placée dans un contexte historique (allusion faite aux performances enregistrées de 1996 à 1998) ". D'autre part, comment expliquer le déphasage flagrant qui existait entre la Bourse (en pleine explosion) et l'économie nationale qui affichait une santé pour le moins précaire ? A cette interrogation, M. Fathallah Oualalou, ministre de l'Economie et des Finances, a apporté une réponse claire dans l'entretien qu'il nous a récemment accordé (CF Finances News N°62) : " Dans tous les pays en voie de développement, il y a toujours un décalage entre l'économie réelle et l'économie financière. Chez nous, ce hiatus est tout à fait normal. Pendant quatre ans, la Bourse a connu une croissance spectaculaire qui ne reflétait pas l'état réel de l'entreprise marocaine et, à la limite, des corrections sont nécessaires même sur le plan culturel pour que les nouveaux acteurs qui interviennent au niveau de ce marché ne considèrent pas la Bourse comme un casino ". On souscrit volontiers à cette assertion de M. le ministre. Néanmoins, force est de reconnaître que l'état de déliquescence actuelle de la place fait, implicitement, un joli croc-en-jambe à une économie qui cherche encore la voie salvatrice. Les investisseurs appréhendent, de fait, le Maroc avec beaucoup plus de suspicion, soutenus dans leur vision par une vague d'attentisme vitupéré avec virulence par les milieux d'affaires. Et même si l'année 2000 s'annonce sous de meilleurs auspices, l'absence d'une stratégie claire sur le marché financier annihile toute velléité de reprise significative et durable. Devant cet état des choses, autorités et professionnels ont décidé d'unir leurs compétences pour trouver une solution à même de redorer le blason du marché boursier. C'est dans cette optique que ces dernières semaines plusieurs séances de travail (dans les coulisses), auxquelles ont participé, entre autres, l'Association des Sociétés Gestionnaires de Fonds d'Investissement (ASFIM), l'Association Professionnelle des Sociétés de Bourse, le Trésor... ont été tenues, à l'initiative du Ministère des Finances. Selon des sources proches, deux principaux volets ont été examinés : l'un a trait aux principales mesures à initier pour augmenter le nombre d'introductions tant dans le premier que dans le second compartiment du marché ; le deuxième aspect porte sur la nécessité de favoriser l'épargne longue occultée par la dernière Loi de Finances. En tout cas, les travaux se poursuivent et l'adoption de certaines dispositions à même de donner un coup de fouet à la Bourse serait imminente. Mais une chose est sûre : avec le manque de confiance chronique qui a gagné les investisseurs qui, malgré les niveaux de valorisations actuels (des plus intéressants), restent prudents, les solutions de circonstance ne serviront qu'à entretenir le doute et enfoncer le clou de la suspicion. La place a besoin d'une véritable cure de redéfinition de sa stratégie, autrement dit d'un toilettage de fond pour pallier notamment les gaps structurels nés du déphasage entre le processus de modernisation de la BVC et la législation en vigueur. Tout comme elle a un besoin impérieux de papier confirmé au demeurant par le fait que les sociétés cotées représentent moins de 0,5% des entreprises marocaines. A cet effet, le processus de privatisation engagé devrait constituer une bouffée d'oxygène pour la place. C'est sans aucun doute le passage dans le giron du privé de sociétés comme la RAM, Maroc Telecom, BCP, la Régie des Tabacs ou encore Somaca dont Ernest & Young, en charge de l'audit et de l'évaluation, proposera sous peu le mode de placement, qui sera l'unique planche de salut. Seul hic : le processus a accusé du retard. Maroc Telecom sera privatisée par appel d'offres vers juin 2000, tandis que l'appel à manifestation d'intérêt sera lancé à la mi-mars de l'année courante. Concernant les autres privatisables, les dossiers avancent petit à petit, mais aucun deadline n'a été fixé. Qu'adviendra-t-il de la BVC d'ici le bouclage de ces opérations ? La place continuera-t-elle à nous gratifier de ses piètres performances ? Y aura-t-il un sursaut d'orgueil qui découlerait peut-être de la publication des résultats annuels 1999 (s'ils sont conformes aux prévisions)? L'avenir nous le dira...