Quest-ce qui peut le plus décevoir Bahia Amarni, Directeur de publication du Reporter ? Cest quaprès neuf ans dexistence, un annonceur affirme quil ne connaît pas le support. Invitée par léquipe de Finances News Hebdo, Bahia Amarani pensait nous réserver une heure de son temps pour discuter de diverses questions. Mais de sujet en sujet, nos échanges ont duré trois heures qui ont permis de découvrir en elle la journaliste, mais surtout la politique et aussi lenseignante universitaire qui a côtoyé les plus grands de la politique dans les couloirs de la Faculté. Une vraie mémoire de lhistoire politique contemporaine marocaine. Face à sa physionomie radieuse et souriante, on se demandait bien de quoi pourra-t-on discuter avec elle ? Quels sont ses centres dintérêt ? Linterrogation ne durera pas longtemps. Bahia Amarani est un gros calibre, sciences politiques, relations internationales et sciences administratives, sa formation est des plus solides. Et elle a autant façonné sa personnalité par les débats au sein de la Fac. «À lépoque, on débattait des régimes, de la liberté dexpression Comme je faisais mon service civil à la Faculté de Droit, jai rencontré Mohamed Bennouna qui venait de créer la salle ONU, où les gens qui sintéressaient à la question du Sahara pouvaient venir débattre et avoir des informations sur ce dossier. En parallèle, jécrivais des articles sur la femme et la condition féminine publiés dans feu Al Maghrib, et je faisais les comptes rendus des conférences. On accueillait des conférenciers de grand calibre». Cest ainsi quelle a fait ses débuts dans la presse. Mais à lépoque, le Maroc accusait une absence de publication en dehors des journaux de partis politiques. «Il y avait cet ostracisme des journaux de partis et le leader politique ne saffirmait pas sur la scène politique autant quil saffirmait sur son journal», explique-t-elle, le regard sérieux et le ton grave. Maniant bien la langue de Molière, elle esquisse aussitôt un petit sourire avant de lâcher : «Les journalistes étaient essentiellement des militants et les non militants navaient pas le droit décrire en politique», souligne-t-elle. A lépoque, le Maroc vivait une situation de face-à-face, voire de confrontation entre la Monarchie et le mouvement nationaliste. Quand vient 1984, lun des grands desseins de Feu Hassan II était de créer un grand parti, lUnion Constitutionnelle, qui défende la régionalisation. LUC avait cette prétention de créer un journal de parti tout en étant détaché. À lépoque, Bahia Amarani accusait déjà 7 ans dexpérience en tant que correspondante de la BBC au Maroc, de même quelle avait écrit des articles dans «Jeune Afrique» et un court passage à «lExpress», quand elle accueille la proposition de lUC. Elle décide de faire le grand saut et crée «Le Reporter» sous format tabloïd. Pendant neuf ans, Bahia Amarani a veillé au respect de la ligne éditoriale. «Ce sont des principes de base : proximité et information objective. Et surtout le travail de terrain et linvestigation», affirme-t-elle. Son objectif reste donc le même, avoir un journal qui se développe. Objectif atteint ? «Sur le débat didées, mes objectifs nont pas été atteints tels que je me les étais présentés. Les objectifs se reformulent au fur et à mesure. Mais dans ce métier, on apprend à militer et tant quon nest pas encore arrivé au pied du mur, il faut batailler. Cest le virus du métier, il ne vous lâchera plus», reconnaît Bahia Amarani. Etre femme dans ce métier ne la jamais vraiment freinée. «Le premier principe est de ne jamais dire que cest un métier dhomme. Une femme ne peut exercer ce métier si elle se linterdit elle-même. Surtout pour un métier didées comme le journalisme», martèle-t-elle. Habituée à modérer des conférences, Bahia est de plus en plus à laise dans son rôle et ne perd pas pied même quand on linterpelle sur son indépendance vis-à-vis des annonceurs. Et cest léconomiste qui se révèle, quelques mouvements de la main certes, mais rien ne laisse trahir une quelconque gêne ou un embarras. «La relation presse/annonceur biaise-t-elle lindépendance dun support ? Cest une question qui fait toujours débat partout dans le monde. Notre relation avec les annonceurs est strictement économique», justifie-t-elle.Fine politicienne quelle est, elle sassigne une mission beaucoup plus importante que de se concentrer sur sa relation avec les annonceurs : « Le Maroc est un pays où la démocratie est en construction. Il faut mettre les principes fondamentaux de la démocratie, quil sagisse de droits humains, politiques ou économiques. Cest ce qui cadre avec notre ligne éditoriale », souligne-t-elle. Et au cas où un produit présente des anomalies, elle opte pour la méthode consensuelle en contactant les concernés. « Les chefs dentreprises réagissent sur le champ, puisquils ont de plus en plus un niveau international et surtout ils réagissent face à la compétition », avance Bahia Amarani. Pragmatique, elle ne conseillerait pas de consommer marocain si la qualité ne suit pas. «Même aussi patriotique, je veux que le produit marocain soit choisi pour sa qualité. Les entreprises nont quà améliorer leurs produits, prospecter de nouveaux marchés et se préparer à la concurrence engendrée par le démantèlement des droits de douane», conclut-elle. Quen pense-t-elle ? Les législatives 2007 : «La politique, ce nest pas que des slogans, cest des objectifs chiffrés, des engagements bien précis. Je suis désolée de dire que je ne vois pas encore de véritables débats, enjeux ou engagements. Beaucoup se disent encore quà la dernière minute, ils sauveront la mise». Journée mondiale de la femme : «Je trouve que cest bien de rendre hommage aux femmes, mais je ne pense pas à moi ni à vous autres ayant réussi leur vie. Je pense à celles dont personne ne parle et qui font un travail extraordinaire, et aussi aux femmes marginalisées Allez voir dans les carrières ce quelles subissent ! Et ce nest pas sur le 8 mars quil faut compter mais sur le travail de terrain». Oualalou et les privatisations : «On est quelquun quand on est dans lopposition, mais on est différent quand on est au pouvoir. Ce sont les normes et les contraintes internationales qui dictent les règles du jeu. On dépend de lagriculture, on est accroché au climat, même si on essaye de sen détacher. On na pas de pétrole. Par contre, lindustrie est en train de progresser et on compte beaucoup sur les chantiers lancés, notamment les rentrées touristiques. Mais il faut diversifier les ressources pour ne pas devenir dépendant». Les islamistes : « Je suis très croyante. Mais la foi nest pas une affaire politique et ne doit pas lêtre. Dieu et la religion sont un domaine privé». La laïcité : « Je suis pour la laïcité, non pas comme la présentent les islamistes, mais la laïcité des grandes démocraties où il existe deux pouvoirs, le spirituel et le temporel. En face dun politicien, je ne lui demanderai pas quelle est sa religion, mais ce quil va pouvoir faire pour le citoyen».