A en croire certains députés de lopposition gouvernementale, le phénomène de labsentéisme durant les séances plénières du Parlement marocain ne serait pas uniquement de lapanage des députés. Les ministres marocains en sont aussi touchés. Après tout, ces accusations mutuelles dabsence pendant lexposition des réponses aux questions parlementaires est assez révélatrice de la dimension prise par la notion de contrôle parlementaire dans cette législature. Cest une question orale émanant du Parti de la Justice et du Développement (PJD) relative à labsence des ministres durant la séance des réponses aux questions orales des députés qui a provoqué le débat sur le sujet. Généralement, les absences sont considérées comme «une spécialité» parlementaire. Il faut souligner que la demande exprimée par le PJD, durant son intervention, nétait rien dautre quune demande selon laquelle «un communiqué émanant du gouvernement doit être régulièrement rendu pour expliquer les causes de ces absences». Le même parti a relevé que «pendant cette législation, huit séances plénières ont connu labsence répétitive de trois ministres, alors quil y avait des questions urgentes concernant des secteurs vitaux comme la pêche, lagriculture ou lenergie». La réplique gouvernementale à ces remarques est venue de Sâad El Alami, alors que la question était adressée au Premier ministre Driss Jettou. Saâd El Alami a commencé son exposé avec des chiffres. «Durant cette législature, avait-il noté, le Parlement marocain avait voté 113 lois sur linitiative du gouvernement. Ce dernier avait répondu à 1614 questions orales et à 6312 questions écrites». Lalibi quantitatif brandi par le département chargé des relations avec le Parlement a pris lallure dune diatribe adressée aux parlementaires marocains. «Pourquoi demanderait-on, a répliqué Saâd El Alami, les causes de labsence des ministres et leur nécessaire motivation, alors que ce nest pas le cas pour les parlementaires?». Au-delà des implications directes de ce débat politique «semi-stérile», cest en fait toute la culture politique des responsables marocains, ministres et députés confondus, qui est mise sur la balance. Car non seulement en raison de labsence des représentants du pouvoir législatif et des membres de lexécutif durant les deux jours de leur débat public qui demeure inexplicable, mais aussi parce quelle concerne dabord les électeurs qui sont supposés suivre ces débats radio-télévisés. Sur ce registre, la grande conclusion tangible est que lindifférence ou «lapathie» politique de plus en plus constatée chez les électeurs marocains se nourrirait dabord de ces absences répétitives de leurs représentants et de ceux qui sont chargés dappliquer les choix étatiques dans les divers secteurs. Mais, le débat soulevé par le PJD concerne «la motivation de labsence des ministres» et leur devoir de rendre compte en public de leurs réalisations, comme cela a été prévu par la constitution marocaine. La démocratie parlementaire implique un débat ouvert et continu entre les parlementaires et les ministres. Et dès que lune des deux parties use de cette arme de «labsentéisme», cela signifie avant tout que la mission politique qui lui incombe est perçue comme ayant un «rôle secondaire» par rapport à dautres, jugées plus urgentes. Autrement dit, la séance des questions orales est de plus en plus perçue comme un exercice politique purement «formel». Le peu dimportance quon lui accorde actuellement démontre que les effets pratiques des questions orales se font de moins en moins sentir. Cest en tout cas la première signification quon pourrait dégager de cet intéressement «bilatéral» des deux pouvoirs législatif et exécutif à légard des questions parlementaires. Dun autre point de vue, linstance législative ne pourrait concrètement contrôler le travail gouvernemental sans une information complète sur les secteurs économiques et sociaux qui nécessitent une intervention urgente. Actuellement, et à cause de labsentéisme, de multiples questions ont été «survolées» par des réponses expéditives qui nenseignent en rien sur le déroulement réel des choses. Le pire cest que, même si le nom du ministre devant répondre à la question orale est connu davance, rien nempêche que le jour J, cest un autre «collègue» qui vient combler labsence et répondre au député ayant posé la question. Ceci est dautant plus remarquable que Saâd El Alami a considéré que ce genre de questions posé par les députés du PJD «pourrait être posé non pas en séance plénière des questions orales, mais soulevé durant les réunions internes du Parlement et du gouvernement au sein des commissions». Cest dire que ceux qui se donnent un rendez-vous hebdomadaire au sein de linstance législative sont conscients de la sensibilité et surtout de la signification de labsentéisme dans limaginaire politique des électeurs marocains.