* Ce début du troisième millénaire est marqué par un retour en force de la spiritualité; une spiritualité qui prend plusieurs formes et où chacun y va du sien * Marabouts, zaouïas et autres, nont pas perdu de leur lustre puisquils sont très ancrés dans la vie des Marocains. * Une enquête sur la spiritualité et les croyances populaires nous mène sur ces lieux de «Cultes populaires». * Des psalmodies du Coran au sacrifice danimaux Des rituels tout aussi contrastés sont constatés. * Première étape de ce long périple : la Zaouïa Boutchichia à Madagh. En ce début du XXIème siècle, alors que le Maroc entre de plain-pied dans un monde globalisé et très compétitif, alors que les entreprises se lancent dans une course effrénée au chiffre daffaires et à la rentabilité, alors que les immeubles poussent comme de champignons et que la majorité des Marocains est collée à son GSM ou gadgets technologiques on peinerait à croire que la spiritualité occupe encore une place dans la vie quotidienne du Marocain. Et pourtant, ce début du troisième millénaire est marqué par un retour en force de la spiritualité. Enquête sur le terrain, avis recueillis, daucuns saccordent à dire que la spiritualité, chacun la cherche sous différentes formes, aidé en cela par un contexte marocain où le religieux nest jamais bien loin. Ainsi, on ne se défait pas dune chose qui est en nous ou qui gravite autour. Et cette tendance nest pas propre au Maroc ou à un autre pays musulman, mais va au-delà des frontières Par où commencer ? Léquipe de rédaction a fait un brainstorming dans ce sens. Le premier constat est que la spiritualité nest pas forcément leur dada, mais chacun a fouiné dans ses souvenirs et il en est ressorti un semblant de spiritualité que chacun porte en lui ; celui-là va se rappeler tel saint, lautre tel marabout cest ainsi quune liste de sites à visiter a été préparée, la quête ou lenquête commence Le voyage nous mène en premier lieu dans lOriental, plus exactement à Madagh, à 14 km de Berkane, haut lieu de la Zaouïa Kadiria Boutchichia. Cest une Zaouïa où lon prêche la Tariqa Kadiri Boutchichi qui prend naissance au début du vingtième siècle par un soufi exceptionnel, Sidi Boumediene Boutchich. Qatari dorigine et de formation, il va quitter sa région natale dAhfir, près de Berkane, pour sillonner la terre marocaine et algérienne à la recherche du Maître parfait. Dans sa quête, il va réunir dans une seule voie la Tariqa Qadiria et les différentes branches de la Chadilia. Décédé en 1955, Sidi Boumediene est considéré - avec ses deux cousins Sidi Mokhtar et Sidi Abass - comme le principal fondateur de la Tariqa Boutchichia, Tariqa qui connaît une expansion remarquable. En lespace dune trentaine dannées, elle a pu avoir une présence importante sur lensemble du Royaume ainsi quune implantation dans les quatre continents, et ceci sous la direction de son Cheikh actuel Sidi Hamza Boutchich. Sur place à Madagh, une grande pancarte indique la Zaouïa située juste à côté du village très délabré par ailleurs. La Zaouïa est sise à lentrée du village dans une bâtisse imposante dont les portes sont ouvertes tout au long de lannée. Nous y entrons sans que personne ne nous demande qui nous sommes ou ce que nous voulons. «Les gens viennent du Maroc et des quatre coins du monde pour se recueillir et retrouver la paix intérieure», explique un pèlerin croisé sur le parvis de la Zaouïa. Il nous indique le pavillon des femmes. Dans les couloirs conduisant à ce pavillon existent des dizaines de chambres dont quelques-unes peuplées dhommes en djellaba. Nous parvenons sans problème et sans aucune entrave dans une sorte darrière-maison où des femmes se chargent des tâches ménagères. Elles nous accueillent avec beaucoup damabilité et cest leur doyenne qui vient nous aborder la première. Elle, cest Haja Mbarka, une femme dun certain âge, chapelet à la main. Elle nous accueille chaleureusement et nous invite dans un grand salon marocain. Ici, aucune manifestation de luxe, les meubles sont simples. Dans le salon, quelques convives sont arrivés de bon matin dOujda. Lune delles est accompagnée de sa fille malade. On nous sert du thé, du pain chaud, des olives et une confiture faite maison. En fait, même en dehors des grandes célébrations, le sanctuaire accueille des familles dévouées au service de la Zaouïa qui leur offre un toit. La discussion sengage. «Nous venons de Casablanca voir Cheikh Hamza». Haja Mbarka prend un air tristounet : «Le Cheikh est souffrant. Il se repose actuellement dans sa demeure à Naïmat (près de Berkane)», explique-t-elle. A plus de 80 ans, le Cheikh, bien quil ait lhabitude de recevoir tous les convives qui frappent à sa porte, est alité. Il récupère avant la célébration du Mouloud. «Nous venons demander sa baraka pour que Dieu exhausse nos souhaits», explique-t-on à Haja Mbarka. Très futée ou peut-être tout simplement spontanée, elle nous explique quil suffit dêtre sincère et avoir foi en Dieu pour que «Allah Yebelegh Lmaksoud». Elle ne fait aucune référence à de super-pouvoirs du Cheikh, ni sil fallait faire des dons à la Zaouïa. «Nous voulons faire un petit don, à qui sadresser ?». Haja Mbarka rétorque : «Allez le voir, peut-être quil vous recevra !». Elle ne fera aucune allusion au montant à verser. «Ce que tu veux ou peux donner, de toute façon cela ne se mesure pas à largent, qui profitera aux pauvres», mais à ta sincérité et ta foi en Dieu, conclut-t-elle avant de nous inviter à faire nos ablutions pour la prière. Nous nen fîmes rien. Elle ne manifestera pourtant aucun dédain. Elle reste très aimable et nous installe dans le grand salon marocain à côté dune vieille femme venue tôt le matin avec sa fille très souffrante. Car bien que le début du mois de mars soit une saison plutôt plate, la zaouïa organise quotidiennement des séances de psalmodies chaque après-midi où les Fakirs et les Fakirates se réunissent et animent ces séances. Mais, chacun de son côté, car même si on tolère des tenues vestimentaires «légères», la mixité nest pas de mise ici. Les autres femmes habitant la zaouïa, le ménage terminé, viennent se joindre à lassistance quand les Fakirates arrivent. Un enfant imite déjà les faits et gestes des Fakirates quand elles psalmodient le Coran. Sa mère semble très fière que son enfant assimile ces rites quil va probablement reproduire une fois grand. Ces bonnes femmes sinstallent dans un silence quasi religieux, la séance commence. Les convives se laissent emporter par ces voix mélodieuses qui invoquent Allah et son Saint Prophète. Elles entrent dans une sorte de communion avec linvisible. Difficile de décrire cette atmosphère où se mêlent émotion, ferveur et sérénité. Nous nattendions pas plus que cela, nous prenons congé ! À lextérieur, on nous montre la grande salle de conférences en construction pour accueillir les convives qui viennent des quatre coins du monde pour la célébration de fêtes religieuses comme le Mouloud. Selon un chiffre non officiel mais qui est très récurrent, ce sont plus de 30.000 personnes qui se déplacent à Madagh pour la commémoration de la naissance du Prophète (PSL). De retour à Oujda, le constat est surprenant. Malgré la proximité de la zaouïa, on ne rencontre pas forcément plus de convives originaires de la région par rapport à dautres. «Les pèlerins qui séjournent à Oujda sont très surpris quand ils constatent que tous les Oujdis ne sont pas forcément des adeptes de la zaouïa et nous avons souvent droit à des commentaires du genre : «Comment ne puisez-vous pas de cette lumière qui jaillit tout près de vous». Mais, «cest dit amicalement», nous explique cet Oujdi. Les gens de la région sont beaucoup plus intéressés par limpact économique de ces pèlerinages. «Le transport, les nuitées en hôtel, les restos et dautres commerces tirent profit des fêtes religieuses, même si tous les pèlerins ne séjournent pas plus de deux ou trois jours ici. Mais leffet bénéfique est palpable !», constate le gérant dun grand restaurant. Notre voyage touche à sa fin, mais la quête, elle, se poursuit