Le célèbre Sigmund Freud avait défini l'inceste comme étant « une pression sociale intériorisée qui refoule l'ambivalence sexuelle à l'égard des membres de la même famille ». On a choisi Freud parmi les grands penseurs qui ont soulevé la question pour traiter le côté « purement sexuel » de l'inceste. Même si partout dans le monde, on tend à reprendre ce problème d'une manière plus clinique, le débat soulevé dernièrement au Maroc est loin de refléter le caractère propre et spécifique de cet acte abominable. Il existe toute une mythologie sur l'inceste. Plus vaste que les recherches scientifiques qui se sont intéressées aux fantaisies sexuelles instinctives. A vrai dire, tant que la « relation » incestueuse ne se transforme pas en « agression » ou abus sexuel, c'est le tabou de l'inceste qu'il faudra divulguer. Mais, lorsque l'inceste est entaché d'une forte dose de violence, le débat est de plus en plus flou, non seulement parce qu'il tombe automatiquement sous le coup de la loi pénale, mais parce que les causes avancées sont tellement générales qu'il est préférable de les relativiser. La pauvreté, l'ignorance, la culture « arriérée » ou encore la condition défavorable de la femme... deviennent, dans ce registre, des freins à la réflexion fructueuse. Par conséquent, débattre de l'inceste, qui n'est pas un phénomène visible, n'est pas discuter de la problématique des mères célibataires, la prostitution ou encore le code de la famille. Car il ne s'agit pas d'une mentalité ou d'un défi à relever pour l'éradiquer. Le 20 et 21 janvier 2004 à Paris, l'Association internationale des victimes de l'inceste avait organisé la première manifestation en France de survivants d'agressions sexuelles et ceux qui les soutiennent. L'esprit de cette manifestation était apparemment inscrit dans ce combat que se livrent certaines associations, partout dans le monde, contre « la maîtrise » de la sexualité. Car en France, l'inceste ne constitue pas une infraction spécifique si la relation est librement consentie et concerne deux personnes qui sont majeures (18 ans) ; l'inceste ne tombe pas sous l'égide de la loi pénale. Dans ce même ordre d'idées, il faut remarquer toujours que le droit français tient compte du lieu familial pour définir et pénaliser certaines infractions sexuelles. Les règles applicables diffèrent selon la nature de l'infraction et son degré de gravité : atteintes ou agressions sexuelles, viol ; à la différence des relations librement consenties « sans violence, menace, contrainte ou surprise » et selon l'âge de la victime. Transposées au contexte marocain, ces règles deviennent choquantes. Non seulement d'un point de vue religieux, mais le bon sens dicte aussi que c'est probablement l'un des traits majeurs qui séparent l'Homme de l'animal. Aujourd'hui, même dans l'Hexagone, on est de plus en plus enclin à considérer les rapports incestueux comme découlant d'une maladie. C'est dire qu'on évacue le champ sociologique pour se positionner au cur de la psychologie. Evidemment, les interférences entre ces deux disciplines sont nombreuses et enrichissent leurs outils de réflexion. Pourtant, l'aspect psychologique tend à être plus spécifique en adoptant la technique de l'étude « du cas par cas ». Toute généralisation devient par la suite abusive, sinon préméditée. Car il ne s'agit pas d'un phénomène observable et qui est de surcroît un tabou. L'inceste, curieusement, est une trappe qui enferme la victime et les témoins. Ne pas en discuter, est un autre débat qu'une explication purement culturaliste ne pourra jamais éluder. Enormément de questions ne s'expliquent pas. Si on prend l'exemple du viol, par exemple, on peut avancer toute une panoplie de causes alors qu'un cas « exceptionnel » pourrait relativiser tout le raisonnement avancé. Autrement dit, on peut avancer qu'un homme a violé une femme parce qu'il n'a jamais eu de relations sexuelles auparavant. Mais que dire des hommes mariés qui violent ? Dans le même sens, on peut avancer que la prostitution est due aux conditions économiques défavorables. Que dire de la prostitution de luxe ? L'expliquer par les arguments de la prostitution « ordinaire » pourrait déformer le débat. L'inceste « marocain » conserve, par conséquent, une spécificité certaine qu'un simple recueil de témoignages ne pourra que donner lieu à une simplification abusive. Le paradoxe de l'inceste n'est que rarement discuté ouvertement. Il n'est pas l'unique sujet d'ailleurs. L'occasion de le soulever nous impose, par conséquent, de le faire, et surtout de manière objective pour pouvoir le clarifier. L'aborder selon un souci de « spectacle » ou avec une empreinte « érotique » finit malheureusement par vider tout le débat de sa vraie signification. C'est comme si après une longue enquête dans une ville marocaine où la prostitution a atteint un seuil inquiétant, le chargé d'études nous dit : « Les filles se prostituent ici par ce qu'elles le veulent ». Les sociétés dites traditionnelles ne sont pas épargnées des grands problèmes qui secouent tous les rassemblements humains partout dans le monde. La liberté qu'on cherche parfois pour débattre de certains sujets tabous ne doit se transformer en un procès de ladite société, avec toutes ses valeurs. L'inceste a existé et existera toujours, comme l'homosexualité, l'adultère ou la pédophilie. Lorsque les projecteurs des sociologiques se braquent sur un sujet tabou, leur touche doit normalement être plus évidente, plus explicative. Car si on ne peut obtenir la guérison des auteurs de l'inceste dans l'immédiat, on peut au moins présager que cet acte n'est pas fatal ou inévitable.