Il n'y a qu'en Afrique que l'on peut voir et tolérer certaines choses. Ce qui s'est passé récemment en Gambie en est la preuve. C'est à peine si la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) n'a pas fait la courbette devant l'ex-président Yahya Jammeh pour lui demander de céder le pouvoir qu'il a confisqué de force après avoir été battu à la régulière lors des élections. Après s'être fait supplier, puis menacer, il a fini par plier bagage pour un exil bien doré. Car Jammeh ne serait pas parti les mains vides : il aurait, selon Mai Fatty, conseiller du nouveau président élu Adama Barrow, vidé les caisses de l'Etat gambien avant de s'envoler pour la Guinée Equatoriale. En toute impunité... pour l'instant. Pour l'instant, car Barrow a promis d'auditer les 22 ans durant lesquels Jammeh a été au pouvoir. Pouvoir qu'il a pris par les armes en 1994, à travers un coup d'Etat contre l'ancien président Daouda Jawara. Ses 22 ans de règne sans partage, ce sont 22 ans de dictature où ses opposants ont été embastillés et la presse muselée, avec de surcroît nombre de disparitions subites et mystérieuses et d'exilés forcés. Et la culture de la peur aura été tellement ancrée dans la population que l'on n'osait pas, en public, prononcer son nom. Mais si certains esprits rebelles dénonçaient déjà les exactions commises par l'exprésident, aujourd'hui qu'il est parti, les voix sont plus audibles et beaucoup plus bruyantes. Dans une émission diffusée dimanche dernier sur la télévision sénégalaise TFM, l'ancien ministre des Affaires étrangères de la Gambie, Sidy Sanneh, a livré des anecdotes cocasses, mais assez graves avec le recul. Il confie ainsi que Jammeh était le premier businessman du pays et avait des intérêts dans tous les secteurs. Il soumettait les investisseurs étrangers à une forme de racket généralisée, ticket obligatoire pour faire des affaires dans le territoire gambien. Même l'abattoir lui appartenait et il était fréquent de voir, durant l'Aïd Al-Adha, les moutons se vendre au sein même du palais présidentiel, confie Sanneh. Le plus risible dans tout cela, c'est que Jammeh se disait aussi guérisseur. Il avait, dit-il, le don de guérir Ebola. Mieux encore, il affirmait sans sourciller qu'il guérissait les malades du Sida, orchestrant des mises en scène rocambolesques à la télévision nationale, devant une population contrainte au silence. Les Gambiens ne lui auront cependant pas laissé le temps de concrétiser l'un de ses rêves les plus fous : transformer la Gambie en monarchie pour en devenir le roi. C'était son ambition ultime. Mais avec tout le pactole qu'il a amassé durant son règne, il a, à 51 ans, de quoi vivre comme un roi et mettre du beurre dans l'épinard de ses vieux jours. Sauf qu'il laisse derrière lui un peuple gambien traumatisé et qui a véritablement besoin d'une thérapie collective.