Les retards et les défauts de paiement sont plus fréquents au Maroc que dans d'autres pays. Et pourtant, seules 500 à 600 entreprises marocaines utilisent l'assurance-crédit. F. Louat, administrateur-Directeur général de Coface Maroc, décortique les facteurs aussi bien internes qu'externes de la croissance économique. Finances News Hebdo : Aujourd'hui, plusieurs entreprises exportatrices se sont orientées, en quête de nouvelles opportunités, vers le marché africain, qui regorge certes de potentialités, mais demeure empreint de multiples risques. Comment Coface Maroc accompagne-t-elle ces entreprises pour les prémunir contre d'éventuels chocs ? Frédéric Louat : A travers l'assurance-crédit que met Coface à la disposition de ses clients marocains, nous fournissons une triple forme de protection. En amont, avant que les exportations commencent, nous apportons à nos assurés des informations financières ainsi que des indications sur les limites de crédit acceptables sur leurs prospects africains. Par ailleurs, nous assurons le recouvrement des créances en souffrance qui pourraient survenir. Enfin, naturellement, nous sommes présents pour indemniser nos assurés si leurs créances sur leurs acheteurs africains ne peuvent pas être recouvrées. Cette protection est particulièrement indispensable pour une entreprise marocaine qui exporte vers l'Afrique. En effet, Coface est présente, et a donc une connaissance de terrain, dans 11 pays africains. Or, ces marchés se caractérisent à la fois par la difficulté à obtenir des informations financières fiables si l'on n'est pas sur le terrain, et par un cadre juridique qui rend souvent difficile le recouvrement de créances impayées. De ce point de vue, le soutien que nous pouvons apporter est une ressource dont aucun exportateur marocain vers l'Afrique ne devrait se priver ! F.N.H. : Cela fait huit ans ou plus que Coface est présente au Maroc. Au fil des ans, avez-vous constaté que les entreprises marocaines ont bien progressé dans la gestion des risques. Et quelle place occupe la gestion du poste client dans le management ? F. L. : Effectivement, Coface est présente au Maroc depuis presque 10 ans, sous forme de société de services puis sous forme de compagnie d'assurances. Au fil des ans, nous avons constaté une sensibilisation plus importante des entreprises marocaines à la gestion des risques. Mais cette sensibilisation se fait très lentement. A titre d'exemple, il existe encore très peu d'entreprises marocaines qui ont un «Risk Manager» membre du comité exécutif. C'est le cas presque exclusivement de banques ou de grandes entreprises dans lesquelles il existe un risque industriel élevé (sécurité des personnes, risques environnementaux, etc.). A l'opposé, on pourrait citer l'exemple des plans de continuité d'activité qui se généralisent et s'améliorent, et qui témoignent d'une meilleure sensibilisation à la notion de gestion des risques. Dans ce contexte, la gestion du poste client suit la même évolution, puisque cette gestion se professionnalise progressivement et que l'utilisation de l'assurance-crédit se répand. Mais il reste beaucoup de chemin à faire ! On estime que seules 500 à 600 entreprises marocaines utilisent l'assurance-crédit, ce qui est peu ... C'est d'autant plus surprenant que le poste client représente généralement 30% à 40% du total bilan des entreprises, alors que les retards et les défauts de paiement sont plus fréquents au Maroc que dans d'autres pays. Surtout dans un contexte où les défaillances d'entreprises augmentent de plus de 15% chaque année. F.N.H. : Justement dans votre portefeuille, quel est le pourcentage d'entreprises qui souffrent du retard en matière de paiement ? Et comment se décline-t-il par secteur ? F. L. : En 2016, plus d'un-tiers des entreprises que nous assurons ont enregistré des retards de paiement supérieurs à 30 jours. Ce chiffre appelle plusieurs commentaires : en premier lieu, les retards de paiement sont beaucoup plus fréquents sur les ventes domestiques (sur le marché marocain) qu'à l'export, à l'exception des exportations vers l'Afrique; par ailleurs, la fréquence des retards de paiement a beaucoup augmenté ces derniers mois, depuis le mois de septembre en particulier ; c'est d'ailleurs également le cas des défaillances d'entreprises (liquidations, redressements judiciaires, ...); à la différence des années précédentes, les retards de paiement touchent un grand nombre de secteurs. Historiquement, les retards de paiement étaient très concentrés autour du secteur de la construction et du BTP. Le fait nouveau, en 2016, est que la plupart des secteurs de l'économie ont été touchés par les retards de paiement; enfin, si «seulement» un tiers des entreprises en portefeuille a enregistré des retards de paiement significatifs, la quasi-totalité de nos clients souffre d'un allongement des délais de paiement. Nous avons constaté que les entreprises marocaines ont été obligées d'accorder des délais de paiement contractuels sensiblement plus longs, sous la pression de leurs clients. Même quand elles n'enregistrent pas de retards de paiement, les entreprises mettent plus de temps à être payées in fine. F.N.H. : Quelles sont les actions que déploie en général Coface pour prévenir les risques de non-paiement dans des secteurs à forte sinistralité ? F. L. : Dans les secteurs à forte sinistralité, le rôle d'accompagnement de Coface est absolument primordial. En effet, nous jouons un rôle de prévention pour limiter les impayés de nos clients – et, ce faisant, pour limiter les sinistres que nous devons indemniser. Par exemple, nous aidons nos assurés à renforcer leur capacité d'analyse des risques clients, ou bien nous leur suggérons de se faire payer cash plutôt qu'à crédit par certains acheteurs quand nous identifions que ces acheteurs ne seront pas à même d'honorer leurs engagements. Enfin, notre expérience de recouvrement dans les secteurs où nous voyons une sinistralité de fréquence nous permet d'améliorer les taux de récupération des créances impayées, à la fois pour le bénéfice de nos assurés et pour notre propre bénéfice. F.N.H. : D'après-vous, pourquoi la loi 32-10 sur les délais de paiement n'a pas pu remédier à la problématique de recouvrement qui pèse lourdement sur la trésorerie des entreprises ? F. L. : La loi 32-10 n'est pas nouvelle. Elle est entrée en vigueur en novembre 2012. Cette loi n'a pas atteint ses objectifs, puisque les délais de paiement n'ont pas cessé d'augmenter. En fait, l'application de cette loi a souffert de deux faiblesses importantes : en premier lieu, elle était difficile à appliquer, puisqu'elle obligeait les entreprises à déclarer des pénalités de retard fiscalement imposables, alors même que les créances en retard (et plus encore les pénalités de retard) étaient difficiles à recouvrer. Surtout, le champ d'application de la loi 32-10 excluait les établissements publics. Or, les délais de paiement des établissements publics ont joué un rôle dans l'augmentation des délais de paiement dans l'ensemble de l'économie, par effet domino. En ce sens, la modification de la loi 32-10 intervenue en août 2016, notamment son extension aux établissements publics, ne peut qu'avoir un impact positif sur les délais de paiement. Mais il faudra attendre 2018, date d'application de la loi aux établissements publics, pour en voir progressivement l'effet positif. F.N.H. : Globalement, quelle note Coface attribue-t-elle au Maroc et quelle appréciation faites-vous sur les risques qui planent sur son économie ? F. L. : Coface évalue le risque pays Maroc avec une note de A4. C'est une bonne note, puisqu'il s'agit de la meilleure notation d'Afrique. Surtout, la notation du Maroc est remarquablement stable, puisqu'elle n'a pas changé depuis de nombreuses années, alors que les notations de beaucoup d'autres pays ont été dégradées ces dernières années. Le maintien de la bonne notation du Maroc s'explique en particulier par la stabilité politique, renforcée par le sérieux de la politique économique depuis plusieurs années. S'y ajoute une véritable vision économique à long terme. De ce point de vue, Coface suit attentivement la stratégie de montée en gamme et de diversification de la production (exemple des écosystèmes automobiles, aéronautiques, énergies renouvelables, ...), ainsi que l'orientation vers les marchés africains comme relais de croissance. Enfin, la résilience de la croissance en 2016, malgré une conjoncture agricole très défavorable, a été de nature à conforter les économistes de Coface. Inversement, la notation du Maroc reste contrainte du fait de plusieurs risques, parmi lesquels on peut mentionner l'insuffisante productivité et l'insuffisante compétitivité d'une partie des secteurs industriels, le déficit public qui s'améliore mais reste quand même assez élevé, les disparités régionales, le niveau élevé du chômage, certains problèmes structurels liés à la qualification de la main-d'œuvre, ainsi que l'accès des entreprises au crédit (PME en particulier). F.N.H. : Sur le plan international, plusieurs institutions prévoient un rythme de croissance lent du commerce mondial même après 2017. Quels sont les facteurs sous-jacents à un tel rythme de croissance ? F. L. : Voilà effectivement plusieurs années que le commerce international progresse plus lentement que la croissance mondiale. C'est le résultat de trois facteurs : en premier lieu, ces dernières années ont vu une recrudescence des mesures protectionnistes, tarifaires et non-tarifaires, surtout depuis 2008. Par ailleurs, les modèles de croissance privilégiant le «tout-offshoring» il y a encore 10 ans, ont fait place dans un certain nombre de pays à une stratégie de «reshoring». Enfin, il faut garder en tête que le commerce international est très largement influencé par l'Union européenne, la Chine et les Etats-Unis, deux de ces trois économies enregistrant des performances de croissance décevantes ces dernières années. Dans ce contexte, le commerce international devrait continuer à souffrir durablement de ces trois facteurs. Le commerce mondial, exprimé en valeur, pourrait s'accélérer si le redressement du prix des matières premières (surtout des hydrocarbures) se confirmait. Mais il faudra sans doute attendre encore avant que la progression du commerce mondial en volume soit de nouveau un facteur d'accélération de la croissance mondiale.