2016 a vu une succession de chocs affecter l'économie mondiale, avec des effets durables. Dans un tel contexte, la croissance a résisté à 2,4%, mais un rebond est attendu à 2,8% en 2017. Concernant le commerce mondial, ce ne sera plus jamais comme avant : sa croissance sera inférieure à la moyenne d'avantcrise (7%). Dans cette conjoncture marquée par des crises successives, le Maroc a su surprendre. Comment ? En marge de la 4ème édition de l'Observatoire international du commerce, Ludovic Subran, chef économiste du Groupe Euler Hermes, nous éclaire sur les atouts insoupçonnés, les sources de fragilité et sur les enjeux de la prochaine phase. Finances News Hebdo : Après un ralentissement de la croissance du commerce mondial à 2,1% (en volume) en 2016, les analystes tablent sur une hausse à 3,9% en 2017. Pouvons-nous espérer que le commerce mondial retrouve après 2017 son dynamisme d'avant la crise financière de 2008 ? Ludovic Subran : L'espoir d'un retour d'une croissance du commerce mondial à son niveau d'avant-crise devrait rester lettre morte. Certes, Euler Hermes prévoit que la croissance du commerce mondial retrouve en 2017 un niveau plus favorable, mais ce ne sera guère plus que 3,1% de croissance en volume. C'est loin des 7% en moyenne que l'on observait avant-crise. Et cela reste même moins que ce que l'on observait encore jusqu'en 2014. Le dernier maillon a être sorti de la chaîne, à cette époque, ce sont les pays exportateurs de matières premières, qui n'ont plus les moyens d'importer autant qu'avant. F.N.H. : Après la baisse des prix des matières premières, plusieurs pays ont procédé à la dévaluation de leur monnaie. Toutefois, cette série de dépréciations des monnaies n'a pas permis une stimulation du commerce mondial. Pourquoi à votre avis ? L. S. : Lorsque toutes les devises se déprécient en même temps, il est difficile à chacun d'en tirer un bénéfice. Et c'est bien ce qui est advenu lorsque le Dollar s'est apprécié à partir de mi-2014 contre toutes les autres devises. Sur le fond, nous avons observé une efficacité nettement plus grande des dépréciations de devises sur les importations que sur les exportations. Après une dévaluation, le coût des importations est renchéri. Elles deviennent plus chères, ce qui conduit les ménages à acheter davantage en local. Par contre, dans un commerce extérieur qui est resté atone, ces dépréciations ont eu assez peu d'effet sur les exportations. F.N.H. : Au cours des dernières années, le protectionnisme s'est multiplié et a pris plusieurs formes. Quelle lecture pouvons-nous faire de la hausse des mesures de protectionnisme dans un monde considéré comme étant ultralibéral ? L. S. : Je dirais qu'en la matière c'est «des paroles et des actes». Le monde est récemment devenu beaucoup plus protectionniste en «paroles» avec le référendum sur le Brexit et la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis. Par contre, il convient de noter que les mesures protectionnistes n'ont pas attendu. Il y a des «actes» et depuis longtemps déjà. En trois ans, c'est près de 1.850 mesures protectionnistes supplémentaires qui ont été adoptées dans le monde et les Etats-Unis sont au 3ème rang mondial en termes de mesures (126 en trois ans). Est-ce le symptôme d'un monde ultralibéral ? F.N.H. : Pouvons-nous prétendre que le Maroc dispose aujourd'hui des atouts lui permettant de redynamiser le continent africain ? L. S. : Le Maroc peut assurément apparaître comme l'une des figures de proue du continent africain et pas que par sa position géographique. Chez Euler Hermes, c'est le pays qui présente la notation de risque la plus favorable sur tout le continent africain (B1). Cela provient de la relative stabilité macroéconomique du Maroc, dont les raisons sont simples, pas d'inflation, un déficit extérieur réduit à sa plus simple expression, un déficit public qui baisse d'année en année (vers les -3% du PIB en 2017) et des réserves de change confortables (couvrant 7 mois d'importations). En parallèle, le Maroc a développé deux stratégies, l'une d'industrialisation, notamment par attraction d'investissement direct étranger (par exemple dans l'automobile ou l'aéronautique), l'autre ayant pour but de devenir un hub pour accéder à l'Afrique de l'Ouest, stratégie appuyée notamment par une diplomatie très active à destination de ces pays. Les dividendes de ces stratégies se font encore attendre, mais les progrès sont là et il fallait que des réformes favorables au climat des affaires soient mises en œuvre tant au Maroc qu'en Afrique de l'Ouest. Cela commence à être le cas, notamment si l'on considère des pays comme la Côte d'Ivoire ou le Sénégal. Gageons que l'avenir permettra de renforcer encore un peu ces relations économiques. F.N.H. : Les équilibres macroéconomiques semblent aujourd'hui atteints et ce, en dépit de l'incertitude du contexte. L'abandon d'un taux de change fixe, comme préconisé par les institutions de Breton Woods, pourrait-il remédier à la faiblesse de la compétitivité dont souffre l'économie marocaine ? Sous quelles conditions ? L. S. : Il est certain que le régime de change actuel est un handicap dès lors que le Dollar s'apprécie, car le panier du Dirham contient 60% d'Euro et 40% de Dollar. Songez qu'en termes effectifs, le Dirham s'est apprécié de 3% après l'appréciation du Dollar intervenue après l'élection de D. Trump. Il serait donc bienvenu de décrocher les évolutions du Dirham de celles du Dollar ou de l'Euro, car il n'y a pas de raison aujourd'hui que le Dirham s'apprécie. Toutefois, cette flexibilisation sera retardée, au moins au 2nd semestre 2017, parce que personne n'est réellement encore préparé au sein des entreprises marocaines à vivre avec un taux de change qui pourrait fluctuer. Lorsque le taux de change ne bouge pas, les instruments de couverture contre le risque de change sont inexistants. Il faudra les voir apparaître, mais cela ne pourra se faire que s'il existe une demande et cette demande ne viendra que si le taux de change bouge. On voit aisément que tout marche ensemble, et que la flexibilisation sera nécessairement progressive. F.N.H. : Le Maroc peine à orienter l'investissement vers des usages productifs ou à forte valeur ajoutée. Quels types de réformes faut-il prévoir pour que le Royaume puisse améliorer son coefficient ICOR ? L. S. : Si le Maroc a un mauvais ICOR, cela veut dire que le retour sur investissement est faible. C'est d'abord parce que les secteurs vers lesquels s'oriente en priorité cet investissement (l'immobilier, le tourisme) ne permettent pas de rendre l'économie plus productive. Une fois qu'un immeuble est construit, il ne rapporte plus rien à l'économie, tandis qu'une usine, elle, rapportera par sa production. D'autre part, les infrastructures représentent une part encore trop faible de l'investissement, notamment de l'investissement étranger (5%). Or, lorsqu'une économie se développe, elle a besoin de ce type d'investissement pour devenir réellement plus efficace. Ces investissements existent, mais ils restent encore trop graduels pour que la croissance marocaine aille au-delà de ce qu'elle atteint les meilleures années (4,5%, comme en 2017 selon les prévisions d'Euler Hermes). F.N.H. : A quel horizon pouvons-nous espérer que le Maroc rejoigne le cercle des pays émergents ? Et comment ? L. S. : Mais le Maroc n'en fait-il pas déjà partie ? La notion de pays émergents n'est pas normalisée. De quoi parle-ton ? Si l'on parle d'une économie qui a décidé d'adopter des mécanismes de marché et qui se réforme pour à la fois développer ces mécanismes (l'Etat de droit, la concurrence...) et favoriser un rattrapage du niveau de vie de ses habitants vers celui des pays riches, le Maroc est clairement engagé sur cette trajectoire. Est-ce à dire que tout en étant sur le chemin, le Maroc a encore beaucoup à faire. Assurément. Mais il ne faut pas mésestimer que le Maroc est sur le chemin et, qu'en cela, on doit le considérer comme un pays émergent. Attention, toutefois, ce n'est pas parce qu'on est sur le chemin qu'on arrive toujours à son terme. Et si le Maroc veut continuer à se développer, il devra accompagner sa stratégie industrielle par d'autres éléments aujourd'hui encore insuffisants, en matière de qualité de l'investissement et de formation de sa main-d'œuvre.