Dans cet entretien, le patron de la Direction des assurances et de la prévoyance sociale (DAPS), Hassan Boubrik, dissipe les craintes exprimées par les intermédiaires à l'égard du projet de loi élargissant le champ d'intervention de la bancassurance. Selon lui, le réseau classique n'a rien à craindre : «il y a de la place pour tout le monde». Finances News Hebdo : Douze ans après la promulgation du Code des assurances, la DAPS sort un projet d'amendement du livre IV relatif à la présentation des produits d'assurances. D'abord, où en est ce projet ? Et qu'est-ce qui justifierait cette modification du Code si peu de temps après sa mise en place? Hassan Boubrik : Le Code des assurances est entré en vigueur en 2002. La première mouture a été déposée au Secrétariat général du gouvernement en 1999. Par conséquent, plus de 15 années nous séparent du moment où ce texte a été finalisé. La refonte du livre IV du Code des assurances est devenue nécessaire afin de l'adapter à un environnement qui a changé significativement, qu'il s'agisse de la taille du marché, celle des opérateurs ou de l'apparition de nouveaux canaux de distribution (bancassurance, vente à distance...). Certaines dispositions du livre IV commençaient également à poser des problèmes d'application. F.N.H. : La DAPS aurait cédé à la pression des banques au détriment des intérêts des intermédiaires. C'est ce que certains intermédiaires laissent véhiculer comme message en commentant la disposition étendant le champ d'intervention de la bancassurance. Qu'en dites-vous ? H. B. : Nous n'avons cédé à aucune pression. Le texte, tel qu'il est proposé, met de l'ordre dans la distribution et clarifie la question de la présentation des opérations d'assurances. Le cadre réglementaire actuel présente une faille importante : des opérateurs qui ne sont pas habilités en tant qu'intermédiaires pour distribuer certaines catégories d'assurances peuvent quand même le faire à travers la souscription pour compte de tiers et la création d'un bureau captif. C'est ce que font les banques par exemple en distribuant à grande échelle des assurances multirisques habitation ou professionnelle. Alors qu'en tant qu'intermédiaires, les banques ne sont habilitées que pour les assurances de personnes, l'assistance et l'assurance-crédit. En théorie, elles pourraient, à travers ce dispositif, distribuer toutes les autres catégories, même l'assurance automobile. Le projet de loi, en assimilant dans certaines conditions la souscription pour compte de tiers à l'intermédiation et en la soumettant aux mêmes prérequis, met fin à cette pratique. En même temps, il aurait été absurde et contre l'intérêt du marché de ne pas ouvrir l'intermédiation pour les banques à d'autres catégories d'assurances qui entrent naturellement dans leur champ d'activité. F.N.H. : Le texte prévoit également une ouverture à travers laquelle les banques peuvent, sur autorisation exceptionnelle de l'administration, vendre d'autres catégories liées à d'autres produits bancaires. Les intermédiaires disent que rien ne garantit à terme que cette disposition n'ouvre la voie aux banques de les concurrencer dans d'autres segments comme celui de l'assurance automobile ? H. B. : À travers cette disposition, nous n'avons aucune intention d'ouvrir la distribution des assurances automobiles aux banques. Celles-ci ne l'ont d'ailleurs pas demandé. L'objectif est de donner un degré de liberté à l'autorité de contrôle lorsqu'il est nécessaire et qu'il est dans l'intérêt général d'ouvrir la distribution de produits aux banques, et cela sans devoir recourir à la loi (un recours qui peut prendre du temps et requérir beaucoup d'efforts). C'est le cas par exemple de la distribution de la multirisque climatique destinée au monde agricole. De la même manière, il pourrait s'avérer demain utile ou nécessaire d'ouvrir la distribution d'un produit d'assurance particulier aux banques, dans le cadre d'une stratégie nationale sectorielle, de manière conventionnelle, maîtrisée et sans nécessairement porter préjudice au réseau classique d'intermédiaires. Ce serait un non-sens de s'en priver. F.N.H. : La crainte de la concurrence du réseau bancaire sur le segment de l'assurance dommage est-elle justifiée à votre avis ? H. B. : Je pense qu'il faut arrêter d'opposer intermédiaires et bancassurance. Les deux sont importants et concourent au développement du marché. Je rappelle que si le marché marocain des assurances occupe une place de choix en Afrique et dans la région MENA, c'est aussi grâce au secteur bancaire qui a su développer de manière efficace l'assurance vie qui représente aujourd'hui un tiers des volumes. Le réseau classique des intermédiaires ne doit pas rester dans une posture d'arrière-garde. Le projet de réforme du livre IV est une opportunité car il lui donne la visibilité et les moyens pour se préparer à une libéralisation qui sera inéluctable dans l'avenir. Il y va de l'intérêt du marché, de l'épargne et du consommateur. Cette préparation nécessite de mettre les moyens sur la formation, les systèmes d'information et sur l'innovation commerciale. Beaucoup reste encore à faire pour développer le marché et il y a de la place pour tout le monde. Par ailleurs, les expériences internationales en la matière ont montré que l'ouverture de la distribution a souvent permis l'émergence d'un réseau classique plus fort et plus professionnel. En France par exemple, après 25 années d'ouverture complète de la distribution des produits dommages aux banques, celles-ci ne représentent que 13% de ce segment. Le réseau classique, grâce à sa technicité et à la valeur ajoutée apportée aux assurés, continue d'être prédominant. F.N.H. : S'agissant maintenant des conditions d'accès au métier d'intermédiaire, le maintien de l'examen est fortement critiqué par la profession qui estime que le secteur d'intermédiation serait déjà saturé. Qu'en dites-vous ? H. B. : Le dernier examen a eu lieu en 2011. Je pense qu'il n'aurait pas été raisonnable de bloquer le développement du réseau. Le timing retenu me paraît bon. D'ailleurs, l'organisation de cet examen a été soumise à la Commission administration et organisation (CAO) qui a donné un avis favorable à l'unanimité de ses membres, y compris ceux qui représentent la profession des intermédiaires.