Najib Akesbi, professeur à l'Institut agronomique et vétérinaire Hassan II de Rabat, analyse avec perspicacité l'augmentation du stock de la dette publique extérieure. Il démontre que cette hausse était prévisible et va dans l'ordre des choses. Akesbi lève le voile sur les raisons de l'accroissement de l'emprunt extérieur des établissements et entreprises publics, tout en rappelant la nécessité de tenir un langage de vérité sur la dette publique globale du pays. Cette dernière se chiffrait à 730 Mds de DH, soit près de 80% du PIB au premier semestre 2014. Finances News Hebdo : D'après les derniers chiffres officiels à fin septembre 2014, le stock de la dette publique s'est établi à 266,9 Mds de DH contre 234,5 Mds de DH à fin 2013, soit une hausse de 33 Mds de DH. Que vous inspire cette nouvelle hausse de la dette publique extérieure ? Najib Akesbi : Tout d'abord, il me semble important de vous faire remarquer que la dette publique globale est plus révélatrice de la situation de l'endettement dans notre pays, d'autant plus que la dette publique extérieure représente 38% de la dette publique globale. Partant, j'estime que le problème se situe plutôt au niveau de la dette globale. Cela dit, l'augmentation de la dette publique extérieure à laquelle vous faites allusion est tout à fait dans l'ordre des choses. Cette hausse était prévisible voire attendue. Malheureusement, l'amplification du stock de la dette publique extérieure sera croissante pour des raisons objectives et structurelles. Il faut garder à l'esprit que depuis plusieurs années, le pays est engagé dans la spirale des «déficits jumeaux». Il existe à la fois un déficit du budget de l'Etat et celui de la balance des paiements. L'Etat est dans une situation qui l'astreint à emprunter pour combler le déficit de son budget et de s'endetter en devises. D'où le recours à l'emprunt externe dans l'optique de renflouer les réserves de change qui sont obérées par le déficit de la balance commerciale et des paiements. Ce qu'il faut comprendre, c'est que le recours croissant à l'endettement externe en l'absence des réformes (finances publiques, commerce extérieur) que tout le monde appelle de ses voeux, est une solution de facilité pour l'Etat. F.N.H. : Le stock de la dette extérieure des Etablissements et entreprises Publics a augmenté de 22,3 Mds et de 9,9 Mds de DH pour le Trésor à fin septembre 2014. Que dénotent ces progressions respectives? N. A. : Il faut bien comprendre que les principaux emprunteurs à l'extérieur sont les établissements et entreprises publics (EEP). Pour cause, ces entités publiques sont les premiers investisseurs du pays. Cela me semble assez problématique car le secteur privé ne joue pas son rôle, celui de s'ériger comme le principal promoteur de l'investissement au Maroc. Résultat des courses, on constate que le secteur public fait office de locomotive en matière d'investissement. A ce titre, je dois vous rappeler que ce sont les EEP qui construisent les routes, les autoroutes, les plateformes industrielles, les ports et les aéroports, etc. Il est opportun de rappeler que l'investissement réalisé principalement par les EEP, est largement financé par l'emprunt extérieur puisqu'ils disposent de ressources limitées. En d'autres termes, ces entités publiques sont acculées à investir dans les infrastructures en empruntant à l'étranger. Ce qui explique l'augmentation de leur endettement extérieur. Par ailleurs, faudrait-il préciser que cet état de fait découle d'une double défaillance, d'abord celle du secteur privé ensuite celle de l'Etat qui dispose d'un budget dont le déficit demeure toujours important. Ce défit budgétaire astreint l'Etat central à réduire ses investissements, poussant ainsi les EEP à prendre le relai. A mon sens, ce qui est particulièrement inquiétant, c'est que la dette extérieure publique des EEP est garantie par l'Etat. En cas de défaillance de ces entités publiques, c'est l'Etat en dernier ressort qui s'acquittera du remboursement de cette dette. C'est dans cette optique qu'il ne faut jamais oublier d'inclure l'endettement des EEP dans la dette publique globale du pays. Or, au Maroc, on a souvent tendance à considérer la dette des EEP comme une composante externe à l'endettement l'Etat. J'insiste particulièrement sur le fait que le gouvernement ne révèle qu'une partie de la réalité lorsqu'il se contente à se référer uniquement à la dette du Trésor pour affirmer que l'endettement du pays se situe autour de 65 à 66% du PIB. A mon sens, cet exercice tronque la réalité car pour appréhender avec justesse l'endettement du pays, il est nécessaire d'aborder la dette publique dans sa globalité en ajoutant à l'endettement du Trésor celui des EEP. En procédant de cette manière, on arrive à la somme astronomique de 730 Mds de DH, soit une dette publique globale représentant près de 80% du PIB au premier semestre 2014. C'est cela la réalité et c'est le véritable chiffre à communiquer aux citoyens si on veut leur tenir un langage de vérité. F.N.H. : Selon vous, la capacité du Maroc à s'endetter à l'étranger ne devrait-elle pas être vue d'un bon oeil ? D'ailleurs, certains responsables publics estiment que la faculté du pays à lever des fonds sur les marchés internationaux, est le reflet de la confiance dont jouit le Maroc auprès des bailleurs de fonds internationaux et d'autres partenaires à cause de ses indicateurs macroéconomiques sains. N. A. : Vous savez, on se console comme on peut. A cela, j'ajoute qu'il y a parfois une volonté de désinformer en tenant ce genre de discours qui n'est pas vérifié par les faits. Il faut comprendre qu'il y a actuellement de la liquidité sur le marché international. Ce qui est conforté par le fait que les principaux acteurs financiers internationaux (Banques, Fonds de pension, etc.) qui ont des ressources à fructifier, sont à la recherche de pays relativement solvables qui peuvent leur garantir le remboursement de leur placement. Tout cela pour vous dire que le marché des capitaux à l'échelle internationale est loin d'être tendu. Les taux d'intérêt y sont très bas même si leur augmentation n'est pas à écarter dans le futur. Donc, lorsque le gouvernement affirme qu'il a reçu plusieurs offres suite à une demande de prêts sur les marchés internationaux, il s'agit là d'une situation tout à fait normale. A l'évidence, le gouvernement obtient certes des prêts à des taux d'intérêt bas, mais il se garde de communiquer sur les taux de prime de risque qui lui sont appliqués. Je dois par ailleurs vous dire que les taux d'intérêt appliqués sur les marchés internationaux sont tellement faibles que même avec des taux de prime de risque élevés, ils demeurent toujours aussi faibles. Ce qui ne veut absolument pas dire que le Maroc jouit d'une confiance extraordinaire, d'autant plus que cette baisse des taux est tout à fait conjoncturelle.