SAR le Prince Moulay Rachid a présidé mardi la cérémonie des funérailles de Abdellah Baha, ministre d'Etat, décédé dimanche soir après avoir été percuté par un train à Bouznika. Le Chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, entouré de plusieurs membres du gouvernement et d'autres personnalités civiles et militaires ont pris part à cette cérémonie au cimetière des Chouhada à Rabat. S'il fallait résumer en un simple mot ce qu'incarnait feu Abdellah Baha, nous dirions volontiers qu'il était une «conscience» ! On n'a cessé de l'affubler du qualificatif de «boîte noire» du PJD, de «cerveau» du Chef du gouvernement, de sobriquets divers, enfin – et ce n'est pas le moindre et surprenant parti pris – de «tireur de ficelles», à l'ombre de son ami d'enfance qu'est le Chef de gouvernement. Il a fallu une mort si violente et tragique pour voir se projeter des lumières crues sur un personnage qui, toute sa vie durant, a tenu à rester dans l'ombre et se couvrir du manteau de la pudeur. Car Abdellah Baha est né dans l'ombre, il y a grandi et l'a choisie. Mourir sous un train était-il son destin ? S'éclipser de la vie qu'il a tant aimée et respectée, était-il de son libre choix ? Enfin, pouvait-il s'imaginer que la fin de cette belle journée familiale, passée avec sa fille, s'achèverait-elle si violemment ? Il est décédé, emportant ses secrets ou son mystère. L'enquête officielle concluant à la mort accidentelle, une ou d'autres enquêtes parallèles croient encore nous en livrer la teneur...Qu'importe ! Les déclarations du conducteur du train ne suffisent-elles pas de nous convaincre de ce qu'on appelle une mort isolée, accidentelle ? Ce même conducteur, sous un immense et terrible choc, n'est-il pas devenu lui-même si traumatisé à la simple idée de savoir que la victime était cette personnalité que l'on ne pouvait jamais imaginer traverser si imprudemment, à une telle heure avancée, la voie ferrée ? C'était donc Abdellah Baha, prestigieux ministre d'Etat... L'homme du dialogue, le conciliateur, le modérateur est parti...Il avait cette force, qu'un sourire tendre et quasi malicieux venait non pas tempérer mais corriger avec adoucissement, qui vous mettait à l'aise...Abdellah Baha avait ces traits de personnage d'Ordre, une sorte de «cardinal» aux mains onctueuses, à la parole douce et ferme, doué de l'art suprême qui a fait et fait toujours défaut aux hommes politiques : savoir écouter ! Lui, cultivait le sens du dialogue et prêtait la précieuse oreille indistinctement aux nantis comme aux pauvres et livrait les mots idoines à chacun de tous ceux qui venaient le solliciter, la tête légèrement inclinée, le sourire esquissé avec discrétion, cette générosité de coeur et d'âme inscrite sur son fronton sans effort. La politique, disons l'entrée en politique, c'est une manière bien à lui de la faire. Elle repose sur un système de valeurs irréfragables auxquelles il demeurait irréductiblement attaché. L'Islam, bien sûr, en est le fondement, l'islamisme ensuite mué en doctrine politique qui a marqué ses premiers pas, dans la foulée des Zamzemi, Benkirane et autres, évoluant il y a vingt ans d'un courant à un mouvement, à un groupe parlementaire, enfin à un parti, le PJD...dont il sera l'un des piliers aux côtés de Saad El Othmani qui deviendra secrétaire général du parti et qu'il aiguillonnera comme le factotum. C'est sa relation intime, si intime et forte avec Abdelilah Benkirane, qui est un élément central du dispositif qui préside aux destinées du parti islamique. Autant dire que cette relation, décrite comme singulière et exemplaire, participe d'une longue amitié qui remonte à leur jeunesse militante au sein du MUR, comme aussi dans le cadre du journal «Attajdid» qui servit des années durant de pépinière et qui fut dirigé par Abdellah Baha. Eminent stratège, il supervisait les contacts et le dialogue de son parti avec le pouvoir, mené sous forme de débat intransigeant sur les principes, souple dans la forme, docile même à toute ouverture...Dans la pléiade des dirigeants du PJD que l'on rencontrait souvent dans les chaussées du parlement, barbe étincelante sel et poivre, les Benkirane, les Ramid, les Khalfi, il se distinguait par sa discrétion. Il émergeait par une sorte de contrepoids que seule sa pudeur accentuée pouvait expliquer. Pas de bavardage, ni d'accents forts, mais la pédagogie politique, l'art de conjuguer les arguments avec un calme olympien. Convaincre, sans vaincre ! Tel était celui qui incarna l'âme du PJD, la conscience du mouvement islamique, plus que du parti qui en est le bras politique, le «bras armé», ce flux de sympathisants qui grossit d'année en année et assure au parti une assise populaire bien au-delà de ce que l'on espérait. Dans les réunions nombreuses, diverses et multiples, quel qu'en soit le niveau, Abdallah Baha gardait constamment le même profil bas...Il ne prenait la parole que pour parler, parler vrai, démontrer, suggérer. Il n'avait pas besoin de s'imposer car sa nature même en imposait... Le PJD a perdu un homme de valeur, populaire et respecté. Mais le Maroc a perdu, à son tour, un acteur politique d'envergure, défenseur du consensus qui, aujourd'hui, fait défaut à notre échiquier...