La Cour des comptes a publié un rapport inédit soulignant les défaillances de la gestion déléguée des services publics locaux au Maroc. Un document de 199 pages, riche en idées et en propositions, qui va au coeur des problèmes que vivent les habitants des grandes agglomérations. C'est une autre facette de la Cour des comptes qui se dévoile petit à petit et qu'on découvre au fil du temps. Connue pour ses magistrats multidisciplinaires qui veillent à coup d'enquêtes à la conformité réglementaire et au bon usage des deniers publics, l'institution présidée par Driss Jettou regorge d'experts auxquels on confie ces derniers mois des dossiers d'une grande portée stratégique et nationale. Ainsi, après «les régimes de retraite», puis le «système de compensation» ainsi que la stratégie «Maroc Numeric 2013», c'est au tour du dossier de «la gestion déléguée des services publics locaux» de passer sous la loupe de la Cour des comptes. Le rapport, rendu public cette semaine dresse un constat sans appel, notamment en ce qui concerne le secteur de la distribution d'eau, d'électricité et d'assainissement liquide. Il reproche aux sociétés délégataires de «ne pas avoir réalisé totalement les objectifs fixés en matière d'investissement et d'utiliser, parfois, le Fonds de travaux à des fins non conformes à son objet». Pis encore, constate la Cour des comptes, les contrats de distribution liant les communes aux délégataires, censés être réajustés tous les cinq ans, ne sont révisés qu'après des délais dépassant souvent les dix ans, compromettant l'équilibre financier et économique desdits contrats. Pour remédier à ces carences, tout en s'inspirant d'une étude réalisée en 2005 avec la Banque mondiale, la Cour recommande, entre autres, la généralisation du modèle du multiservice qui présente l'avantage d'instaurer une péréquation des tarifs entre les trois services (eau, électricité et assainissement). Un modèle axé sur des périmètres régionaux, voire des sociétés régionales de distribution (dont les actionnaires pourraient être l'ONEE, les collectivités territoriales et les groupes privés), assurant une taille critique pour dégager des économies d'échelle, et par conséquent, une réduction des coûts en vue d'atteindre progressivement l'équilibre économique du secteur. La gouvernance en panne S'agissant du secteur du transport urbain par autobus, là encore, les experts de la Cour des comptes n'y vont pas avec le dos de la cuillère pour mettre à nu les risques financiers auxquels s'exposent les délégataires privés, notamment à Casablanca et à Rabat (déficit structurel de 2,1 milliards de DH à fin 2013). Ces derniers, soulève le rapport, ne réalisent pas le programme d'investissement contractuel tant en matériels roulants qu'en équipements liés à la qualité de service (parkings, ateliers de maintenance, etc.). «Ils ont souvent recours à un parc vétuste, polluant, ne répondant ni aux normes, ni aux contrôles techniques». Voilà, tout est dit. La solution, suggère la Cour des comptes, passe par l'instauration d'un nouveau modèle économique pour le transport public, en tenant compte de l'intermodalité et de l'intégration tarifaire. En matière de propreté, le rapport pointe du doigt le retard qu'accuse le développement du tri des déchets, la faiblesse du taux de recyclage (10%), la prépondérance de la collecte informelle, etc. A ce titre, la Cour des comptes plaide pour un Plan d'urgence de réhabilitation ou de fermeture de l'ensemble des décharges non contrôlées (200 sites déjà identifiés). Le dénominateur commun à l'ensemble des secteurs étudiés relève du domaine de la gouvernance. Le rapport révèle l'absence d'un organe indépendant qui, tel qu'imaginé par la Cour des comptes, jouerait un rôle de veille et d'assurance qualité, d'un centre d'expertise diffuseur de normes et d'une plateforme de coordination et de suivi. Dans le cas particulier du transport urbain, la Cour propose un organe indépendant à l'échelle régionale, voire locale. D'un point de vue opérationnel, la Cour des comptes préconise la mise en place des comités de suivi, des services permanents de contrôle et d'un système d'informations partagées. Elle recommande aussi le recours aux conseil et expertises externes. De leur côté, les collectivités territoriales devraient être dotées d'une «véritable administration communale» possédant les ressources humaines nécessaires en profils et en effectifs pour exercer les métiers liés à la gestion déléguée. Côté financement, parallèlement au transfert de ressources par l'Etat, la mobilisation du potentiel fiscal et la réforme en cours de la fiscalité locale constituent, aux yeux de la Cour, des leviers déterminants pour couvrir les charges supplémentaires induites par le développement de la gestion déléguée. S'agissant du cadre institutionnel, le rapport insiste sur l'adoption et la publication des arrêtés fixant les contrats-types et dossiers par nature de service public, avec un dispositif simplifié pour les contrats de faible importance et un régime dérogatoire en faveur des établissements publics lorsque les impératifs de l'intérêt général l'exigent. Pour éviter les effets négatifs de la dissolution des sociétés délégataires dans les cas de «fin anticipée» ou de «cession du contrat», la Cour des comptes recommande la mise en place d'un dispositif légal permettant la substitution de l'autorité délégante ou du nouvel opérateur dans le capital de ladite société en lieu et place de l'opérateur sortant, et ce par simple transfert des actions. En outre, ajoute le rapport, les autorités délégantes et les sociétés déléguées gagneraient à définir, de manière précise dans le contrat, les modalités de préservation de l'équilibre financier de la gestion déléguée consacrée par la loi, la consistance physique des biens de retour et la nature des investissements projetés ainsi que les délais de leur réalisation. A rappeler enfin que ce rapport réalisé par une équipe composée de six magistrats, sous la direction du président de la Cour des comptes, Driss Jettou, s'est basé sur des séances de travail avec des présidents de conseils communaux, des responsables des ministères de l'Intérieur, des Finances, du département de l'Environnement, de l'ONEE et des managers des différentes sociétés délégataires. Il s'est appuyé également sur les investigations menées par les Cours régionales des comptes, ainsi que sur les études des institutions nationales et internationales.