* Les agriculteurs nont pas été consultés au sujet des négociations avec lUE. * Les réformes pour la mise à niveau de lagriculture nont pas encore commencé. * Le scénario de laccord avec les Américains ne doit pas se répéter. Finances News Hebdo : Comment jugez-vous l'offre européenne concernant le projet d'accord Maroc-UE sur le volet agricole ? Ahmed Ouayach : Pour le moment, on nest pas au stade du jugement de loffre, pour la simple raison quon ne connaît pas cette offre. Une série de réunions ont été organisées où il était question de parler du cadrage des accords. Il y avait deux grandes réunions au niveau du ministère. Il y avait aussi un ensemble de réunions au niveau de chaque filière. Pour le moment, lAdministration se limite à recueillir les doléances des professionnels. A ce jour, on ne connaît ni loffre européenne ni loffre marocaine. Nous navons pas de données officielles, nous avons recueilli des informations à gauche et à droite. Il y a une offre européenne concernant la liste négative pour les produits sensibles. Au niveau de cette liste, il y a des produits de grande importance pour le Maroc, notamment ceux destinés à lexport comme les tomates, les agrumes et les fruits. F. N. H. : Est- ce que les professionnels ont été associés à ces négociations ? A. O. : Au stade où nous sommes, il ny a pas eu dassociation, à vrai dire, des professionnels. Et je ne pense pas quils le seront dans lavenir. Je crois que lAdministration, notamment le département de lAgriculture, sest engagée à nous soumettre les propositions de lUE pour avoir laval et lassentiment des professionnels marocains. Si ce nest pas le cas, nous, nous réservons notre position. F. N. H. : Quelle est la position de la Comader (Confédération marocaine de lagriculture)? A. O. : La position de la Comader est très simple. Il sagit dabord de défendre les acquis. Ça veut dire garder le courant déchange en matière dexport vers lEurope. Nous espérons, au niveau des négociations, non seulement consolider les acquis, mais augmenter les quantités et, bien entendu, sans léser ou déstabiliser notre agriculture. Car le secteur est encore fragile. Nous pensons protéger encore plus les produits sensibles. Mais on ne peut pas protéger dune manière indéfinie ces produits. Tôt ou tard, on doit ouvrir nos frontières et sintégrer dans le commerce international. Nous espérons, du côté du ministère de lAgriculture, quil engage des négociations et également quil lance des chantiers de réformes. A ce jour, on na pas encore commencé ces réformes. LUE va apporter une aide substantielle pour la mise à niveau de lagriculture marocaine. Mais les professionnels ne se sont pas encore réunis pour définir les besoins. F. N. H. : Les divergences d'intérêt entre les filières seraient-elles un handicap pour arrêter une position commune ? A. O. : Je ne pense pas. La position de la Comader est très simple. Il ny a pas de conflit dintérêts. Cest lintérêt national qui prime. Il est question de défendre notre production nationale, de défendre les intérêts dun secteur qui assure lemploi pour près de 70% de la population active dans le monde rural et 50% de la main-duvre au niveau national. Sans oublier la contribution substantielle au niveau du PIB. Le Maroc doit proposer une offre cohérente qui tienne compte des intérêts des uns et des autres. Pour ce faire, il y a une grande concertation entre les différentes composantes de la Comader. Nous avons même créé un groupe de réflexion. Nous allons engager dans les semaines qui viennent des compétences nationales : il sagit surtout dexperts, de chercheurs et de professeurs universitaires pour nous appuyer, nous conseiller et nous accompagner dans le cadre de ces négociations. F. N. H. : Est-ce que le scénario de l'accord avec les Américains va se répéter? A. O. : Je ne le pense pas, parce que nous, en tant que professionnels, nous avons protesté au niveau de lALE avec les Américains. Une famille a été associée - je parle en toute transparence ; je suis là en train de nommer les fruits et les légumes, alors que les associations représentant les secteurs sensibles nont pas été associées. Je ne pense pas que le même scénario va se reproduire avec les Européens car toutes les garanties nous ont été apportées par les responsables du département de tutelle quon va être associé à toutes les étapes des négociations et quon va être consulté lorsque le ministère présentera la version définitive. Pour le moment, nous nallons pas gêner les négociateurs car il y a des choses qui sont du domaine du confidentiel. Mais le moment venu, nous serons obligés de demander le contenu exact des négociations. F. N. H. : Les intérêts marocains seront-ils préservés ? A. O. : Cest aussi bien lobjectif du ministère que des professionnels. Léquipe actuelle des négociateurs a fait un parcours sans faute. Mais nous aimerions quils sentourent de plus de compétence pour approfondir leur dossier et leur réflexion. Il faut dire que notre équipe est jeune, alors quen face il y a de vieux routiers, il y a des lobbies. Il faut que le ministère de lAgriculture soit prudent. Avant de soumettre son dossier définitif à lUE, il faut quil reçoive laval dune commission interministérielle sous la présidence du Premier ministre et regroupant tous les départements concernés comme les Affaires étrangères, le Commerce extérieur, lIntérieur Il y a cette histoire de cadrage et de statut. On a parlé de bon voisinage, on a parlé darrimage, on a parlé de tas de formules. Nous, agriculteurs, nous ne saisissons pas le sens de ces formules. Le problème va être posé et tranché au niveau des Affaires étrangères. F. N. H. : Est-ce que vous êtes pour un démantèlement tarifaire pour les produits sensibles ? A. O. : Nous sommes pour des relations encore plus privilégiées avec lUE. Nous sommes pour le libre-échange. Ça cest clair, cest une évolution obligatoire du commerce mondial. Il est tout à fait normal que notre agriculture et notre économie intègrent ce circuit. Mais ce secteur est très fragile. Il faut donc opérer doucement. Il faut engager sans tarder les réformes et avoir une vision très claire au-delà de 2012. Cest à partir de là quil faut définir laccord avec lUE. Il ne faut pas oublier quon a un accord avec les Etats-Unis, un accord avec la Turquie et un accord multilatéral avec certains pays arabes. Il faut prendre en considération toute cette mosaïque et avoir une position cohérente.