Les importations du papier A4 en provenance du Portugal sont frappées d'un droit antidumping pour une période de quatre mois. Une audition publique a eu lieu le lundi 19 mai, organisée par le département du Commerce extérieur. C'était arguments contre arguments entre la société plaignante Med Paper, d'un côté, et Portucel et ses partenaires marocains, de l'autre. La mise en application du droit anti-dumping provisoire sur les importations du papier A4 en provenance du Portugal depuis le 25 avril dernier fait couler beaucoup d'encre. Le papier A4 «portugais», exporté au Maroc par le Groupe Portucel Soporcel, est ainsi soumis, en sus des droits et taxes en vigueur, à un droit antidumping de 10,6% provisoire pour une période de quatre mois. Cette mesure antidumping, décidée par les autorités, trouve sa légitimité dans l'article 15 de la loi n°13-89 relative au commerce extérieur qui stipule que «lorsque des importations causent ou menacent de causer un préjudice grave à une production nationale établie ou retardent sensiblement la création d'une production nationale, elles peuvent être soumises notamment à un droit antidumping. Lequel est mis en place s'il est constaté que le prix d'importation est inférieur à sa valeur normale (...)». Pourtant, Portucel et ses partenaires, à savoir les distributeurs Dicapa, Mapaf, Buropa, Interfer et Interpap contestent la légitimité de cette décision qu'ils jugent «injustifiée». «La taxation, qui porte préjudice à la relation commerciale entre Portucel Soporcel et ses partenaires marocains, a un impact néfaste direct sur le secteur et les consommateurs» et «réorienterait les importations vers d'autres origines européennes, sans pour autant régler le problème du fabricant local», estiment-ils. Ce fabricant local, c'est Med Paper à l'égard duquel ses détracteurs ne sont pas tendres. Alors pas du tout. A l'issue de l'audience publique organisée par le département du Commerce extérieur, le lundi 19 mai courant, dans le cadre de l'enquête antidumping, Portucel Soporcel s'est en effet fendu d'un communiqué cinglant. «L'audience a permis de montrer, chiffres et preuves à l'appui, que si les caractéristiques et les performances du papier Portucel sont telles qu'elles permettent de satisfaire les besoins d'une grande partie des utilisateurs marocains, ce n'est pas le cas du papier Med Paper dont les caractéristiques et les performances ne permettent absolument pas de satisfaire cette demande», souligne le communiqué qui précise qu'«il est donc apparu clairement que les deux types de papier n'étaient pas en concurrence l'un avec l'autre et ne pouvaient donc pas se porter préjudice». Mieux, Portucel démonte l'argument de la concurrence déloyale au niveau des prix, puisque le prix de son papier «a toujours été plus élevé que le prix de Med Paper (...) et a aussi toujours été le plus cher des papiers importés sur le marché marocain». Portucel épluche les comptes de Med Paper Lors de cette audition publique, le moins que l'on puisse dire est que Portucel et ses partenaires marocains ont développé un argumentaire assez fouillé, allant jusqu'à éplucher les comptes de Med Paper qui, rappelons-le, est une société cotée, donc tenue de publier ses résultats. C'est ainsi qu'ils ont relevé que «la marge EBITDA est passée de 10% en 2009 à 21% en 2012, année où la produc-tion de Med Paper pour le papier A4 a cependant été la plus faible». Et de préci-ser que «dans une situation de pénurie de pâte à papier, Med Paper a ainsi privilé-gié la fabrication de produits sur lesquels il pouvait réaliser des marges plus importantes, délaissant ainsi l'activité de papier A4». Fustigeant «les coûts excessifs et une gestion commerciale catastrophique» au sein de Med Paper, ils esti-ment, par ailleurs, que «l'acti-vité de papier A4 n'a jamais représenté plus de 11 à 24% de son chiffre d'affaires entre 2009-2012 et (...) que c'est au moment où les ventes de papier A4 se portent les mieux (2009) que Med Paper fait le plus de perte». Compte tenu de toutes ces raisons, «l'imposition d'une mesure antidumping péna-lisera gravement les uti-lisateurs marocains qui se tournent vers le papier Portucel depuis 10 ans, ainsi que les distributeurs qui ont fait les efforts nécessaires et ont investi pour s'adapter aux nouvelles réalités et aux nouveaux besoins du marché marocain», estiment-ils. Et de conclure que «l'antidumping n'est pas là pour donner une protection illégitime à des entreprises qui n'ont pas fait les efforts nécessaires pour s'adapter aux nouvelles exi-gences du marché (...) ni pour faire obstacle aux impor-tations loyales d'un produit qui n'est pas fabriqué par le producteur local». La riposte Bien évidemment, Med Paper, de son côté, n'est pas parti à cette audience publique l'es-carcelle vide. Contacté par nos soins, Mohsin Sefrioui, PDG de Med Paper, a craché ses quatre vérités. Il dénonce «les agissements illégaux du groupe Portucel Sporcel pour s'accaparer le marché natio-nal des ramettes de papier A4 et éliminer par là-même cette industrie nationale, à l'instar de ce que ce groupe a fait dans le marché espagnol et d'autres marchés euro-péens ». Point par point, il démonte les arguments avan-cés par Portucel. Ainsi, la société Med Paper a-t-elle démenti, au cours de l'au-dience publique, le fait que le partenariat entre Portucel et les distributeurs marocains date de 10 ans. «Il a été démontré, sur la base des statistiques officielles d'Euro-sat et de la CCI, que les produits Portucel n'ont jamais été exportés au Maroc avant 2010 et qu'ils n'ont enva-hi le marché marocain que depuis 2010 et ce, grâce à la pratique de prix de dumping qui défie toute concurrence», explique Sefrioui. Concernant la qualité du produit incriminé, à savoir le papier A4, Med Paper a fait valoir, grâce à des ana-lyses faites par des labora-toires officiels, que son papier «comporte des caractéris-tiques physiques, mécaniques et optiques identiques à celles du papier Portucel». «Et, bien que la ramette A4 de Portucel appartienne à une classe dite premium, elle est vendue au Maroc à un prix inférieur au prix de son concurrent Med Paper, appartenant à la classe standard», explique la société qui a d'ailleurs révélé que «Portucel exporte sur le Maroc 73% de la qualité pre-mium, alors que le volume de ses ventes en qualité premium au Portugal ne dépasse guère les 16%». Selon Med Paper, il est inconcevable «d'admettre que le Portugal, dont le PIB dépasse plus de 2,5 fois celui du Maroc, n'absorbe que 16% du papier premium, alors que le Maroc en importe 73%». En clair, «Portucel cherche à pénétrer le marché marocain par la pratique de bas prix en attendant d'éliminer d'une manière déloyale son concur-rent marocain». «D'ailleurs, grâce à cette pratique systé-matique de dumping adossée à une politique commerciale insidieuse, elle a pu accapa-rer en très peu de temps plus de 70 % du marché maro-cain du A4 au détriment du producteur local», explique le management de Med Paper. A l'évidence, au regard des arguments avancés par les uns et les autres, c'est peu de dire que les enjeux éco-nomiques sont importants. Maintenant, reste à savoir ce que va décider la tutelle et, surtout, qu'adviendra-t-il au terme des quatre mois que durera l'application de la mesure anti-dumping ? Wait and see. Les arguments commerciaux et financiers de Med Paper Au cours de l'audition publique, Med Paper est revenue en long et en large sur ses performances commerciales et financières. Selon la société, les ventes d'A4 ont chuté entre 2009 et 2012 de 67%, alors que le chiffre d'affaires (CA) global n'a diminué que de 30% pour la même période; «et malgré une concurrence déloyale acharnée de Portucel, Med Paper a préféré maintenir ses prix du A4». Ainsi, les quantités vendues du A4 sont passées de plus 7.500 t en 2009 à moins de 2.500 t en 2012 et la marge brute globale s'est améliorée grâce essentiellement à la maîtrise des coûts. Par ailleurs, «malgré la fermeture en 2012 de l'usine à pâte à papier au Maroc, Med Paper a continué à s'approvisionner sur le marché international à des conditions plus avantageuses». Sur le plan financier, l'endettement net global a diminué sur la même période, tandis que le besoin en fonds de roulement s'est aggravé à cause du délai d'écoulement des stocks. «Cependant, les délais de recouvrement des créances clients et les délais de paiement des fournisseurs sont restés comparables à ceux pratiqués sur le marché marocain du papier», note Med Paper qui souligne que «l'aggravation du BFR a conduit à un recours à un financement complémentaire externe, aux meilleures conditions du marché». En outre, les montants des frais financiers (FF) sont restés quasiment les mêmes sur toute la période. «Cependant, la chute des ventes et notamment celles du A4 fait que le poids des FF/CA a augmenté en 2012», conclut le management.