Alors que la fusion entre les deux maisons-mères de Lafarge et Holcim est dans toutes les bouches, force est de constater que Lafarge Maroc continue de faire cavalier seul et accélère même son rythme d'investissements au Maroc. Une stratégie qui prend à contre-pied les prévisions des analystes pour lesquels l'annonce de la fusion allait créer un certain attentisme chez les deux opérateurs au Maroc, matérialisé par un gel provisoire des investissements. Niet ! Le management de Lafarge Maroc a décliné récemment à Casablanca les axes de développement du groupe au Maroc, tout en revenant sur ses réalisations en 2013. La société revendique ainsi pour l'année dernière une part de marché de 35% dans tous ses segments d'activité et elle compte bien consolider cette position en 2014. Premièrement, le management parle d'une fusion des activités ciments, bétons et granulats gérées par le groupe au Maroc afin de «créer des synergies, économiser sur les charges fixes et déployer une stratégie intégrée». A côté de cette explication officielle, d'autres plus officieuses estiment que ces fusions à l'intérieur de la société donneront une identité plus claire à Lafarge Maroc, ce qui, à terme, facilitera la fusion avec Holcim. Rappelez-vous il y a une semaine, Ciments du Maroc, l'un des concurrents de taille du nouvel hypothétique ensemble, annonçait lui aussi qu'il allait fusionner avec sa filiale Bétomar pour des raisons identiques à celles avancées officiellement par Lafarge Maroc. On pourrait donc penser à une troisième raison tout aussi officieuse que la deuxième : les acteurs du secteur grossissent tout en gagnant en efficacité opérationnelle (économies d'échelles...) pour se préparer à un nouveau champ de bataille, plus grand et plus rentable : celui de l'Afrique. D'ailleurs, si pour Ciments du Maroc le comité de direction a demandé récemment à des équipes internes de se mobiliser pour ressortir avec des projets sérieux en Afrique, Lafarge Maroc a annoncé que l'année prochaine, des exportations commenceront depuis le Maroc vers l'Afrique de l'Ouest. Il faut en convenir, Ciments de l'Atlas (Cimenterie du Groupe Addoha) a pris de l'avance sur ses deux concurrents sur ce point, mais Lafarge, ne l'oublions pas, est un groupe mondial déjà présent en Afrique, tandis que Ciments du Maroc dispose encore d'une position stratégique dans le Sud du Maroc. Les deux parlent d'Afrique, mais il n'y a pas urgence. La guerre est lancée Justement, Lafarge Maroc ne compte pas laisser Ciments du Maroc continuer de profiter de la région Sud aussi facilement. Saad Sebbar, Administrateur Directeur général de Lafarge Maroc, a annoncé que «la cimenterie du Souss sera construite moyennant un budget de 3 Mds de dirhams, dont 15% seront consacrés à des actions sociales et environnementales dans la région». Il y a quelques semaines, le président de Ciments du Maroc déclarait que «si Lafarge s'installe dans le Sud, nous irons nous installer dans le Nord». Le Nord étant l'un des fiefs historiques de Lafarge. La conditionnalité posée par le management de Ciments du Maroc vient donc de tomber. Par ailleurs, les analystes financiers n'ont pas manqué de rappeler au management de Lafarge Maroc que sa maison-mère, ainsi que celle de Holcim ont annoncé qu'elles allaient se lancer dans un plan de désinvestissement pour valoriser leurs actifs en abandonnant les unités de production redondantes, alors que l'investissement signalé par Lafarge Maroc semble en incohérence avec cette décision prise au sommet. La réponse de Saad Sebbar est pour le moins étonnante : «Nous restons concentrés sur nos objectifs. Pour l'instant, Holcim est un concurrent à part entière». Comprenez par là que les investissements de Lafarge ne sont pas en opposition avec ce qu'a déclaré sa maison-mère. Il y a eu concertation. Et d'ajouter «pour l'instant, les informations dont nous disposons font état d'une fusion au premier semestre de 2015 entre les deux entités mères. Si au niveau de ces deux holdings on parle d'une parité d'échange d'une action Lafarge pour une action Holcim, il n'est pas simple de décliner cela sur l'ensemble des filiales. En attendant de savoir ce qui va nous concerner, nous continuons à nous comporter normalement». Mais Lafarge ne souhaite pas s'arrêter en si bon chemin. Elle veut également dominer le marché du logement social et c'est une stratégie globale qui a été développée pour y parvenir. Premièrement, Lafarge Maroc a créé son propre laboratoire de recherche et développement qui est en cours de construction à Bouskoura. Il permettra de faire des «avancées considérables en termes d'innovation et d'adaptabilité de nos offres», explique Sebbar. De plus, Lafarge Maroc travaille à l'élargissement de son réseau Mawadis qui devrait atteindre 130 points de vente en 2014, en parallèle à ses activités de microfinance avec un spécialiste de la place. Cela permettra aux plus défavorisés de financer leurs rénovations et leurs chantiers. Enfin, pour l'activité spécifique du logement social, Lafarge a mis en place un système de produits prêts à l'emploi, «ce qui facilitera énormément le travail des promoteurs tout en réduisant leurs coûts», estime le management. A noter que ce processus a été adopté après de moultes rencontres avec les promoteurs pour connaître leurs besoins. Voilà donc comment la boucle est bouclée : aider le consommateur en le finançant et faciliter le travail du promoteur. De quoi donner du fil à retordre à son nouveau compagnon Holcim, tout en taclant les autres concurrents. Force est de constater que le risque de concentration apparu après l'annonce de la fusion entre ces deux groupes, se transforme en véritable bataille frontale au Maroc. La concurrence entre Holcim, Lafarge Maroc, Ciments du Maroc et Ciments de l'Atlas s'amplifie à vue d'oeil et s'exportera rapidement dans les autres pays de la région. Aussi, la démarche de Lafarge pour maintenir sa souveraineté économique jusqu'aux dernières minutes d'avant-fusion qui devrait se faire dans un an, cache-t-elle peut-être des faits qui nous échappent. Elle démontre par contre un professionnalisme indéniable dans la sacro-sainte pratique «de la concurrence» longtemps décriée dans ce secteur, il faut le dire, à raison, jusqu'à ce que cette manifeste compétition ne vienne réconforter les plus sceptiques. Tout porte à croire que cette guéguerre n'en est qu'à ses débuts.