Plusieurs secteurs organisés auparavant sous forme de monopoles sont désormais ouverts à la concurrence, ce qui est censé aboutir à une variété dans l'offre, une qualité améliorée des produits et services ainsi que des prix de plus en plus compétitifs. Le vrai challenge est de doter le Conseil de la concurrence des fondements juridiques nécessaires pour en faire une véritable autorité de la concurrence qui jouit, en plus de sa fonction consultative, d'un pouvoir décisionnaire lui permettant d'assumer avec efficacité ses missions. Mohamed Abouelaziz, conseiller juridique au sein du Conseil de la concurrence, met en évidence les activités publiques à l'épreuve de la concurrence. Finances News Hebdo : La nouvelle Constitution consacre une partie importante au principe de la libre concurrence. Jusqu'à quel degré ces nouveaux textes pourraient remédier aux positions de monopole qui entravent encore le bon fonctionnement du marché ? Mohamed Abouelaziz : La consécration constitutionnelle du principe de libre concurrence constitue une étape importante vers sa confirmation en tant que composante du nouveau pacte politique et social qui nous lie et en tant que véritable valeur sociale devant régir toutes les relations économiques et permettant la consolidation de la liberté d'entreprendre. Ainsi, la Constitution ne garantit plus seulement la liberté pour tout individu ou entreprise d'exercer librement toute activité économique ou commerciale, mais va au-delà en stipulant que cette activité doit être exercée dans le cadre d'une concurrence libre et loyale, ce qui renvoie à deux dimensions complémentaires l'une d'ordre économique, et l'autre d'ordre éthique. En effet, à travers un système concurrentiel, le marché est censé constituer le lieu de compétition entre les opérateurs qui sont enclins à s'engager sur la voie de l'excellence en vue d'offrir la meilleure qualité au meilleur prix, réalisant par là l'objectif économique de compétitivité et l'objectif social de protection du consommateur. D'autre part, en mentionnant la loyauté de la concurrence, la Constitution renvoie à une dimension éthique ayant pour objectif d'assurer la bonne gouvernance au niveau des marchés et de garantir toutes les exigences de transparence et d'équité, ce qui suppose que le marché doit être le lieu de rivalité honnête entre opérateurs, loin de toutes pratiques tendant à attribuer un avantage injustifié à un opérateur au détriment de l'autre ou à générer des situations de rentes non productives. En somme, nous pouvons affirmer qu'à travers la Constitution, notre pays confirme son choix pour un modèle économique équilibré orienté vers l'économie de marché et la libre concurrence, mais dans le cadre d'un système régulé qui prohibe les pratiques anticoncurrentielles et admet des exemptions pour des raisons économiques ou sociales, d'où l'habilitation constitutionnelle du Conseil de la concurrence en tant qu'institution indépendante chargée d'assurer la régulation des marchés en vue de garantir l'exercice de la liberté d'entreprendre dans le cadre d'une concurrence libre et loyale, et de veiller sur la transparence et l'équité dans les relations économiques. F.N.H. : Dans le même sillage, au cours des dernières années l'Etat s'est désengagé d'un certain nombre de secteurs. Aujourd'hui, pouvons-nous prétendre que la concurrence joue pleinement son rôle dans ces secteurs ? Sinon, quels sont les facteurs qui lui portent atteinte ? M. A. : Le désengagement de l'Etat d'un certain nombre de secteurs productifs s'inscrit dans le cadre d'une stratégie qui fut entamée suite à l'adoption de la loi relative à la privatisation vers la fin des années 80 du siècle dernier. Il s'agit d'une orientation qui vise à remodeler le rôle de l'Etat et son recentrage sur les fonctions de régulation et d'encadrement législatif et réglementaire de l'activité économique tout en encourageant l'initiative privée à travers la mise en place des mécanismes nécessaires pour son épanouissement. C'est dans ce cadre qu'il faut inscrire tous les efforts entrepris depuis le début de la décennie 90 du siècle dernier et qui avaient pour objectif d'assurer l'ouverture de notre économie sur son environnement international, la libéralisation du commerce extérieur, la facilitation des procédures de création des entreprises, l'amélioration de l'environnement des affaires et le désencadrement des prix, pour ne citer que ces exemples. Ces efforts ont permis un épanouissement certain de l'investissement interne et ont contribué à améliorer l'attrait de notre pays pour les investissements directs étrangers avec tout ce que cela entraine comme impacts sur l'emploi, l'accès aux biens et services, le transfert et la consolidation du savoir-faire ainsi que sur la croissance économique. Grâce à cette stratégie, plusieurs secteurs organisés auparavant sous forme de monopoles de droit réservés à des acteurs économiques publics investis de missions de service public sont désormais ouverts à la concurrence, ce qui est censé aboutir à une variété dans l'offre, une qualité améliorée des produits et services ainsi que des prix de plus en plus compétitifs, et ce grâce à la concurrence entre les entreprises présentes dans le marché. Le défi qui doit être relevé aujourd'hui est celui de veiller à ce que la concurrence joue pleinement entre les opérateurs à travers la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et celles commerciales déloyales surtout que ces secteurs nouvellement ouverts à la concurrence sont souvent organisés sous forme d'oligopole où le nombre d'opérateurs reste réduit. F.N.H. : Dans une économie comme la nôtre, comment la concurrence, en tant que mode de fonctionnement des marchés, pourrait-elle délivrer toutes ses vertus ou plus précisément, quels sont les fondements de base nécessaires dont elle doit disposer ? M. A. : Tout d'abord, il y a lieu de préciser que la concurrence en tant que mode de fonctionnement des marchés n'a pu délivrer toutes ses vertus qu'au sein des pays où elle constitue une véritable valeur sociale bien ancrée dans tous les rouages de la société et de l'économie. Au Maroc, la concurrence ne constitue pas une fin en soi, comme c'est le cas par exemple dans certains pays anglo-saxons. C'est un des moyens mis en œuvre pour la réalisation de l'objectif du développement économique et social, ce qui suppose que dans certains cas, des exemptions peuvent être prévues pour des considérations économiques ou sociales, comme c'est le cas en Europe où des exemptions sectorielles et individuelles sont prévues. A cet égard, le Maroc a franchi une étape importante en consacrant au niveau de la Constitution le principe de libre concurrence et en érigeant le Conseil de la concurrence en institution indépendante, chargée d'assurer la transparence et l'équité dans les relations économiques, notamment à travers l ́analyse et la régulation de la concurrence sur les marchés, le contrôle des pratiques anticoncurrentielles, des pratiques commerciales déloyales et des opérations de concentration économique et de monopole. Ceci dit, ce qui est requis aujourd'hui, c'est de doter cette institution des fondements juridiques nécessaires pour en faire une véritable autorité de la concurrence qui jouit en plus de sa fonction consultative d'un pouvoir décisionnaire lui permettant d'assumer avec efficacité ses missions. Cet objectif est, semble-t-il, en passe de se réaliser dans la mesure où les projets de lois relatifs à la liberté de la concurrence et au Conseil de la concurrence ont atteint leur phase finale d'adoption au sein de la Chambre des Conseillers. Maintenant, au-delà de l'adoption de la réforme législative, les principaux défis que nous aurons à affronter concernent d'abord la nécessité de mettre en place une politique globale de la concurrence permettant de dresser une carte sur la «concurrentiabilité» de l'économie marocaine. Ce travail est une condition nécessaire pour identifier les secteurs ayant atteint la maturité nécessaire pour leur ouverture pleine et effective à la concurrence des secteurs qui nécessitent encore une intervention publique, soit pour des raisons économiques, soit pour des considérations de nature sociale. La structuration du tissu productif informel figure également parmi les priorités sur lesquelles une réflexion sérieuse doit être menée d'autant plus qu'il demeure une niche importante favorisant les distorsions de la concurrence. Enfin, le Conseil de la concurrence aura également pour priorité, parallèlement à la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et le contrôle des opérations de concentration, de renforcer et de consolider la culture concurrentielle avec comme objectif de rendre les principes de la concurrence bien ancrés dans les mentalités et les usages. F.N.H. : Comparativement au secteur privé, quelle est la particularité du secteur public face à la concurrence ? M. A. : Face aux règles de la concurrence, les entreprises du secteur public peuvent se trouver dans deux situations. D'une part, ce sont des acteurs économiques ordinaires soumis aux mêmes prescriptions que les entreprises du secteur privé et à ce titre, il leur est interdit de conclure des ententes anticoncurrentielles ou de pratiques des abus de domination au niveau du marché. En outre, ils sont soumis aux mêmes obligations en matière de notification des projets de concentration économique. Ainsi, le droit de la concurrence marocain ne reconnait aucune spécificité au secteur public face aux règles de la concurrence et retient, pour définir son champ d'application, un critère matériel qui s'appuie sur l'exercice d'une activité de production, de distribution et de service. D'autre part, les entreprises publiques peuvent se présenter dans certains cas comme des acteurs exceptionnels ou particuliers du marché notamment pour ce qui est des activités de service public dont elles sont investies et qui trouvent leurs fondement dans des considérations qui vont au-delà des exigences de la concurrence et du marché ou bien encore lorsque leurs pratiques, bien que pouvant avoir un impact sur la concurrence, sont autorisées par un texte législatif ou réglementaire. L'une des problématiques récurrentes qui se présente de par le monde concernant le secteur public face aux règles de la concurrence concerne les abus de position dominante notamment lorsque l'infrastructure essentielle confiée à l'opérateur public est utilisée pour évincer les concurrents, soit à travers le refus d'accès à cette infrastructure ou à travers l'application de prix d'accès prohibitifs. Un autre exemple concerne le cas des «subventions croisées» qui se produit lorsque des subventions publiques sont utilisées par l'entreprise publique au-delà de la mission de service public pour financer et soutenir des activités commerciales dites ordinaires, ce qui peut déséquilibrer la concurrence dans les marchés concernés. F.N.H. : Pouvez-vous nous éclairer sur les déterminants d'une pratique commerciale prohibée ? M. A. : A cet égard, il faut distinguer les pratiques anticoncurrentielles des pratiques commerciales déloyales. Les premières concernent essentiellement deux catégories de pratiques à savoir les ententes anticoncurrentielles qui se produisent lorsque des entreprises se mettent d'accord pour rendre leur stratégie sur le marché prévisible les unes pour les autres au détriment du consommateur et de l'économie notamment à travers la fixation des prix ou le partage géographique du marché L'autre catégorie de pratiques prohibées par le droit de la concurrence concerne les abus de domination qui surviennent lorsqu'une entreprise exploite son pouvoir de marché ou sa position dominante de manière abusive en vue d'évincer ses concurrents du marché ou installer des barrières d'accès à ce marché notamment à travers la pratique de prix prédateurs, les ventes forcées ou les ventes liées. Pour ce qui est des pratiques commerciales déloyales, elles portent sur des comportements qui, à la différence des pratiques anticoncurrentielles, n'affectent pas le fonctionnement du marché dans sa globalité mais touchent les intérêts propres des entreprises. Ces pratiques peuvent porter à titre d'exemple sur l'utilisation de l'image de marque, le dénigrement ou le parasitisme. En tout état de cause, ce que toutes ces pratiques ont en commun c'est qu'elles affectent la concurrence, nuisent au consommateur et impactent négativement la compétitivité des entreprises.